Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Russie-Afrique : Wagner, enquête sur les mercenaires de Poutine

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Mis à jour le 28 juillet 2021 à 15h13
Un mercenaire russe et un membre de la garde présidentielle de Faustin Archange Touadéra, en décembre 2020 à Bangui.
Un mercenaire russe et un membre de la garde présidentielle de Faustin Archange Touadéra,
en décembre 2020 à Bangui. © Photomontage : JA / Photo : ALEXIS HUGUET / AFP

« La symphonie africaine de Poutine » (1/2). Incontournable au Soudan et en Centrafrique, présente en sous-main au Sahel, cette société de sécurité privée officieuse liée au maître du Kremlin est de plus en plus active sur le continent. De Khartoum à Bamako, en passant par Bangui et Saint-Pétersbourg, plongée dans le monde interlope des vrais-faux mercenaires.

L’ambiance est à nouveau festive à la brasserie Le Kiss. En cette soirée du 20 avril, à une centaine de mètres du « point kilométrique zéro », au cœur de Bangui, quelques véhicules sont encore garés devant le bar-cabaret de trois étages, un des meilleurs établissements de la ville. Les lumières du bâtiment éclairent la nuit. En contrebas, l’avenue du colonel Adrien-Conus est déserte. Il est près de 20 heures : le couvre-feu ne va pas tarder à entrer en vigueur. Mais quelques clients, des habitués, n’ont aucune intention de vider les lieux.

Le colonel Vassili a pris l’habitude de faire peu de cas de l’interdiction de circuler. Au volant de son pick-up blindé, cet officier russe au visage juvénile et à la chevelure blonde se sent un peu comme chez lui sur les routes de la capitale. Invité au Kiss, il a décidé de profiter de la nuit. Bon vivant et bien bâti, amateur de plaisirs alcoolisés, l’homme est habillé en civil pour l’occasion. Plusieurs fois, un verre de vin à la main, il trinque au décès d’Idriss Déby Itno, intervenu deux jours plus tôt, et dont il semble se réjouir. Quelques participants grimacent. Si le maréchal n’était pas dans le cœur de tous les Banguissois, célébrer le trépas du voisin a quelque chose d’irrespectueux.

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WAGNER GROUP A PLACÉ SES HOMMES DANS TOUS LES CERCLES DU POUVOIR

Tout à sa soirée et aux deux convives assis avec lui, le colonel n’en dédaigne pas pour autant quelques obligations. Par deux fois, son téléphone le rappelle à la réalité. Identité du contact : Faustin-Archange Touadéra. Le président centrafricain a besoin d’informations. Il souhaite connaître l’avancée des troupes de supplétifs russes sur les terrains d’opération du pays face aux rebelles de la Coalition des patriotes pour le changement – CPC, alliance de groupes armés coordonnée par François Bozizé. Or Vassili, dont peu connaissent le nom complet, est l’homme qu’il lui faut : il est l’un des responsables des mercenaires affiliés à la société de sécurité Wagner, dont il est membre de l’état-major.

Habitué à dialoguer avec le président, le colonel le rassure, brièvement. Ses hommes ont le dessus. L’armée centrafricaine, qui laisse à ses alliés russes la primauté du front, ne devrait pas tarder à pouvoir avancer à son tour et à occuper officiellement les positions conquises. Vassili raccroche et retourne à son verre de vin. La soirée se poursuit, au-delà du couvre-feu. L’homme a suffisamment d’influence pour permettre au cabaret de transgresser le règlement en vigueur. Privilège du pouvoir. Mais qui est donc cet inconnu de la quasi-totalité des Banguissois ?

« Il a le contact direct et régulier avec le président et est un membre haut placé de l’état-major de Wagner en Centrafrique », résume une source de Jeune Afrique ayant bavardé avec lui. Est-il le « patron » de ladite Wagner en terres centrafricaines ? Si sa connaissance des opérations plaide pour cette hypothèse, inutile de chercher une confirmation : officiellement, la société de sécurité – un statut officiellement illégal en Russie – n’opère pas en Centrafrique. La réalité est pourtant tout autre : Wagner Group a entamé la conquête de Bangui voici trois ans. Et si la société y est aujourd’hui si puissante, c’est qu’elle a placé ses hommes dans tous les cercles du pouvoir.

Kalachnikov, Makarov et lance-roquettes

Un membre de la protection rapprochée de Touadéra, de la société russe Sewa Security, à Berengo,
en Centrafrique, le 4 août 2018. © FLORENT VERGNES/AFP

 

Comment Wagner est-elle devenue omniprésente ? En septembre 2017, la France propose de livrer aux Forces armées centrafricaines 1 500 kalachnikovs confisquées au large de la Somalie par sa marine un an et demi plus tôt. La Centrafrique étant sous embargo des Nations unies pour les armes, la décision doit être approuvée par le Conseil de sécurité de l’ONU. Et voilà que Moscou, qui dispose d’un droit de veto, s’oppose au projet. Pour sortir de l’impasse, Paris conseille discrètement à Faustin-Archange Touadéra de plaider sa cause auprès du géant russe. En octobre, le Centrafricain rencontre à Sotchi le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Le Kremlin accepte de lever son veto. Il en profite pour faire une entrée fracassante dans l’épineux dossier centrafricain.

Lavrov propose en effet un accord bien plus large qu’une « simple » levée de veto. La Russie accepte de peser de tout son poids pour faire lever l’embargo dont Bangui espère de longue date un assouplissement. En échange, elle attend un retour sur investissement. Parmi les clauses de l’accord, qui, à l’époque, ne sont pas rendues publiques : la création d’une société minière russe en Centrafrique ou encore l’exploitation par les Russes d’un aérodrome dans la région de Ouadda. En janvier 2018, une première livraison d’armes est effectuée par un avion-cargo Iliouchine 76. Puis les transferts se succèdent : 6 200 kalachnikovs, 900 pistolets automatiques Makarov, 270 lance-roquettes et 20 canons antiaériens en moins de deux mois.

Surtout, les premiers « conseillers » russes débarquent sur le sol centrafricain. Et deux sociétés, au minimum, y obtiennent leurs premiers contrats : Lobaye Invest, créée dès octobre 2017, et sa filiale chargée d’assurer sa sécurité, Sewa Security Services. En juin et en juillet 2018, Léopold Mboli Fatran, le ministre des Mines, accorde à Lobaye Invest des autorisations de reconnaissance minière dans les régions de Yawa et de Pama. D’autres suivent pour les régions de Ndele, Bria, Birao et Alindao. Quelle connexion entre cette société minière et le groupe Wagner ? Un homme, directeur gérant de Lobaye Invest, attire rapidement l’attention : Evgueni Khodotov, un sexagénaire discret qui ne fait guère parler de lui à Bangui.

Ex-policier de Saint-Pétersbourg né en 1964, le patron de Lobaye travaille cependant dans l’ombre en étroite collaboration avec son compatriote Valery Zakharov, ancien des renseignements militaires russes (GRU) et conseiller du président Touadéra depuis juin 2018. Surtout, Khodotov est à la tête d’une autre société, M-Finans. Or cette dernière opère au nom d’une entreprise russe baptisée Concord, elle-même considérée comme la plaque tournante des activités d’un oligarque bien connu : Evgueni Prigojine, un intime de Vladimir Poutine, qui a favorisé dès les années 1990 son ascension dans le secteur de la restauration – jusqu’à en faire le fournisseur du Kremlin –, puis dans celui de la défense.

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WAGNER GROUP AURAIT ÉTÉ CRÉÉ EN 2013-2014 PAR DIMITRI OUTKIN, ANCIEN LIEUTENANT-COLONEL DU GRU AUX SYMPATHIES NAZIES

Ancien patron de fast-food – il a fait fortune dans les hot-dogs à la chute de l’URSS –, condamné pour escroquerie et incitation à la prostitution en 1981 et libéré neuf ans plus tard, le « cuisinier de Poutine » aurait surtout obtenu de lucratifs contrats – se chiffrant en milliards de dollars – avec le ministère de la Défense russe. Il est à ce titre considéré comme le financier de Wagner, groupe dont la création au détour des années 2013 et 2014 est souvent attribuée à un de ses proches aux sympathies néonazies, l’ancien lieutenant-colonel des forces spéciales et du GRU Dimitri Outkin.

« Dès 2018, on a vu arriver les “conseillers” et les entreprises contrôlées par Prigojine », se souvient un diplomate à Bangui. En France, au Quai d’Orsay, plusieurs notes sont rédigées sur la montée de l’influence russe. On s’inquiète de voir Valery Zakharov convoquer des ministres et s’afficher comme principal conseiller du président, qui s’est entouré d’une garde recrutée par Sewa Security Services. Mais la hiérarchie de Paris, sûre de sa relation historique avec la Centrafrique, choisit de minimiser. Pendant ce temps, les hommes de Prigojine, conseillés par un GRU dont beaucoup sont proches (le premier camp d’entraînement de Wagner en Russie était situé à proximité de Krasnodar et d’une base du GRU), jouent leur partition à merveille.

Exploitant le sentiment antifrançais, n’hésitant pas à soutenir la propagande hostile à Paris, Zakharov et ses hommes placent leurs pions avec un objectif en tête : les retombées financières qu’ils espèrent obtenir pour les entreprises liées à Wagner. « Ils avaient conquis Bangui. Mais il leur restait un problème : comment tirer parti de leur influence sur Touadéra et, surtout, profiter du sous-sol centrafricain, alors que le pays était encore contrôlé majoritairement par les groupes armés ? » résume une source diplomatique.

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TRACTATIONS SECRÈTES, ARGENT LIQUIDE, RÉSEAUX DE RENSEIGNEMENTS LOCAUX… UNE HISTOIRE DIGNE D’UN ROMAN D’ESPIONNAGE

Une solution s’impose rapidement : utiliser leur influence sur un voisin de la Centrafrique, le Soudan. À Khartoum, le poids de la Russie et de Wagner n’a en effet cessé de croître durant les dernières années au pouvoir d’Omar el-Béchir, lequel fait face à l’hostilité des États-Unis, soutien du voisin sud-soudanais depuis son indépendance. Alors Wagner et Prigojine décident d’utiliser la tête de pont soudanaise pour passer un cap en Centrafrique. Tractations secrètes, argent liquide, réseaux de renseignements locaux… L’histoire est digne d’un roman d’espionnage.

Plusieurs concessions minières


Un « consultant » militaire russe lors d’une cérémonie de remise de médailles en présence du président Touadéra,
le 4 août 2018 à Berengo. © FLORENT VERGNES/AFP

Août 2018. À Khartoum, le bâtiment de la direction des renseignements militaires attend une rencontre au sommet. À la manœuvre, le patron des lieux : Jamal Aldin Omar. Depuis plusieurs mois, ses hommes ont pris contact avec les chefs de groupes armés centrafricains, dont Noureddine Adam et Ali Darassa. De discrets allers et retours ont été effectués en hélicoptère entre la capitale soudanaise et la brousse centrafricaine. À ses interlocuteurs, Jamal Aldin Omar explique que Khartoum est prêt à accueillir un dialogue entre le gouvernement de Bangui et les rebelles qui combattent Faustin-Archange Touadéra. Surtout, il se dit soutenu par un allié de poids : Moscou.

Depuis 2013, le soutien russe à Khartoum ne s’est en effet pas démenti. Des mercenaires ont rapidement été repérés, notamment lors de répressions de manifestations, et jusqu’à 300 hommes ont été employés par une société du nom de M-Finance, laquelle a passé un contrat avec les autorités russes pour utiliser des avions militaires et les faire venir au Soudan. Derrière ces mercenaires, Wagner, implantée à travers trois sociétés : M-Finance, M-Invest et Meroe Gold, qui détient plusieurs concessions minières dans le pays. Comme M-Finans en Centrafrique, M-Invest est connectée à Concord, via Megalite, une autre entreprise du système d’Evgueni Prigojine.

« Les systèmes sont les mêmes en Centrafrique et au Soudan, avec des sociétés locales liées à d’autres entreprises connectées à Concord et à Prigojine », explique une source sécuritaire. Si Evgueni Khodotov est l’homme de Wagner à Bangui, un autre homme agit en sous-main à Khartoum, à la tête de M-Invest et de Meroe Gold. Il se nomme Mikhaïl Potepkin. Bras droit local de l’oligarque de Saint-Pétersbourg, il a par le passé été lié à des opérations de propagande sanctionnées par les autorités américaines, et l’une de ses présumées complices, Anna Bogatcheva, est toujours recherchée par le FBI. Il est aussi un ancien employé de l’Internet Research Agency et a été membre de la Fondation de la protection des valeurs nationales, deux organisations liées à Evgueni Prigojine.

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EN AOÛT 2018, PRIGOJINE PARRAINE L’ACCORD DE KHARTOUM ENTRE LE GOUVERNEMENT CENTRAFICAIN ET PLUSIEURS GROUPES ARMÉS

En ce jour d’août 2018, dans le secret du siège des renseignements militaires soudanais, Potepkin est bien présent. Mais il n’est pas seul à prendre place dans la salle de réunion climatisée mise à disposition par Jamal Aldin Omar. Entouré d’une quinzaine de gardes du corps en uniforme, Evgueni Prigojine a fait le déplacement. Le sexagénaire connaît bien Khartoum. Il s’y rend régulièrement à bord de son jet privé, emmenant avec lui deux autres aéronefs, pour ses hommes et pour ses bagages.

À ses côtés, son bras droit Dimitri Outkin, mais aussi Valery Zakharov, l’homme de Bangui, lui-même accompagné par le jeune Dimitri Sytyi, qui lui sert d’interprète mais qui est aussi l’homme des opérations de propagande en terres centrafricaines. En face d’eux, la plupart des chefs des groupes armés de Centrafrique ont répondu à l’invitation faite par Khartoum au nom des hommes de Wagner. Ali Darassa est présent, tout comme Abdoulaye Hissène, Mahamat al-Khatim, Noureddine Adam ou encore Maxime Mokom.

Selon plusieurs sources, tous ont reçu l’équivalent de plusieurs dizaines de milliers d’euros en espèces. Installés durant deux heures dans de confortables fauteuils autour de la grande table de réunion, les « rebelles » vont peu s’exprimer. Evgueni Prigojine, dont les hommes ont préparé le sommet avec les renseignements soudanais, monopolise la parole. « Le gouvernement nous a amenés à Bangui pour vous combattre », déclare-t-il d’emblée. Puis l’oligarque entre dans le vif du sujet : « Mais nous savons que ce sera difficile. Il faut que nous trouvions une solution. »

« Evgueni Prigojine a présenté ses hommes puis plaidé pour un accord entre les groupes et le gouvernement centrafricain », se souvient un participant, qui s’est confié à Jeune Afrique. « Ensuite, il a exposé son idée de partenariat gagnant-gagnant. Il voulait parrainer des accords et parvenir à un partage des ressources, préfecture par préfecture. Une part pour Bangui, une part pour le groupe qui contrôle la région et une dernière part pour Wagner », poursuit notre source. Un tour de table est effectué. Chacun se dit favorable à un dialogue à Khartoum. Les participants restent prudents mais s’accordent pour se revoir un mois plus tard, à la fin de septembre, dans les mêmes locaux.

« La deuxième réunion a entériné le dialogue à Khartoum. Chacun a précisé ce qu’il en attendait, puis on s’est séparés », raconte notre participant. Le 5 février 2019, Prigojine réunit une dernière fois les protagonistes dans son hôtel de la capitale soudanaise, bien décidé à obtenir un accord de paix et à réussir là où l’ONU a pour le moment échoué. Outre les leaders de groupes armés, le Premier ministre centrafricain, Firmin Ngrebada, est de la partie, tout comme sa ministre de la Défense, Marie-Noëlle Koyara. Après d’ultimes tractations, l’accord dit « de Khartoum » est paraphé le même jour sous l’égide de l’Union africaine et de son commis-saire pour la paix et la sécurité, l’Algérien Smaïl Chergui. Le lendemain, il est signé par le président Faustin-Archange Touadéra au Palais de la renaissance de Bangui. Wagner tient sa victoire diplomatique.

Zakharov et Sytyi, duo de choc

« Après l’accord de Khartoum, l’emprise de la Russie et de Wagner est devenue plus forte encore à Bangui. Ils ont renforcé leur relation avec Touadéra et Ngrebada, et ont intensifié le message selon lequel ils avaient réussi là où les autres avaient échoué », explique un diplomate. À la manœuvre : Valery Zakharov, l’ancien officier de renseignement omniprésent à la présidence, et son cadet Dimitri Sytyi, les deux hommes que Prigojine lui-même présentait comme « les représentants de Wagner à Bangui ». Le premier va jusqu’à s’exprimer au nom du gouvernement centrafricain sur les réseaux sociaux. Le second, qui parle anglais, français, espagnol et russe, est quant à lui l’un des principaux artisans d’opérations de communication antifrançaises.

Diplômé en marketing d’une école de commerce parisienne et en management de l’université de Catalogne, Sityi, jeune homme de 32 ans, a ainsi travaillé avec le Bureau information et communication, discrète officine rattachée à la présidence. Dirigée jusqu’à il y a peu par un proche parent de Touadéra, l’actuel ministre de l’Intérieur Michel Nicaise Nassin, le « Bureau » est notamment chargé d’alimenter des sites internet en contenus favorables aux intérêts du couple russo-centrafricain. Selon un document obtenu par Jeune Afrique, il prévoit des plannings de publications destinées, au choix, à communiquer sur « certains hommes politiques » en les présentant « comme des ennemis du peuple », à « dénoncer le double jeu de la Minusca » et, surtout, à insister sur « la victoire des Faca et des forces russes ».

« En 2017 et 2018, Wagner a mis en place ses relais en Centrafrique. En 2019, après l’accord, c’est passé à une autre dimension », explique un homme politique centrafricain. « Les activités minières de Lobaye se sont étendues, et le nombre de mercenaires a augmenté, tandis que l’influence de Wagner sur le gouvernement allait s’accentuant », ajoute un ancien ministre, qui conclut : « Et ça, c’était avant la dernière présidentielle et la création de la Coalition des patriotes pour le changement… » Car si la signature des accords de février 2019 a constitué une victoire pour Prigojine et ses hommes, les mêmes groupes armés signataires vont lui fournir l’occasion de franchir une nouvelle étape dans sa stratégie.

« La CPC leur a ouvert un boulevard »

Nous sommes à la mi-décembre 2020. Depuis quelques semaines, la tension est montée d’un cran à Bangui. L’opposition est vent debout contre la tenue de l’élection présidentielle, dont le premier tour – que le président Touadéra veut à tout prix maintenir – est prévu pour le 27 décembre. François Bozizé s’est vu refuser le droit de se porter candidat par la Cour constitutionnelle.

S’il a choisi de soutenir officiellement Anicet-Georges Dologuélé, l’ancien président a discrètement pris langue avec une partie des groupes armés signataires de l’accord de Khartoum et qui envisagent de prendre à nouveau les armes pour empêcher la tenue du scrutin. Le 17 décembre, six d’entre eux, menés par Abbas Sidiki, Ali Darassa, Mahamat -al-Khatim, Noureddine Adam, Maxime Mokom et Dieudonné Ndamaté, annoncent la création de la Coalition des patriotes pour le changement. Deux jours plus tard, ils dévoilent leur intention de marcher sur Bangui. Le 27, Bozizé déclare soutenir les rebelles et demande à ses partisans de ne pas aller voter, trahissant au passage son engagement auprès de Dologuélé. « Cela a été le point de bascule, explique un diplomate. La communauté internationale s’est retrouvée dans l’obligation de soutenir Touadéra dans la défense de Bangui. Or qui pouvait défendre la capitale ? »

« L’offensive de la CPC a ouvert un boulevard à Wagner », tranche une source sécuritaire. La mission de l’ONU en Centrafrique (Minusca) se retrouve prise au piège. « On a été obligé de combattre aux côtés des mercenaires dans certaines zones, mais il fallait bien défendre la population », explique un cadre des Casques bleus. En décembre, janvier et février, les hommes de Sewa Security Services combattent sporadiquement face aux rebelles de la CPC, qui, après avoir un temps espéré prendre Bangui, décident de se replier et de profiter de la profondeur du territoire. Le 11 février, Valery Zakharov, véritable porte-parole bis de la présidence, déclare que le gouvernement est en passe de « contrôler tout le territoire ».

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DANS L’ANCIENNE ENCEINTE DU PALAIS DE L’EMPEREUR BOKASSA, LES HOMMES DE WAGNER SONT COMME CHEZ EUX

Dès lors, la mainmise russe est quasi totale. Depuis le camp de Berengo, où il est installé depuis avril 2018, l’état-major de Wagner prend les décisions avant de les communiquer à Bangui à la présidence et au ministère de la Défense, où – pure façade – Moscou a officiellement dépêché un conseiller en la personne du général Oleg Polguev. Dans l’ancienne enceinte du palais de l’empereur Bokassa, les hommes de Wagner et de Sewa Security Services sont comme chez eux. Une partie des lieux est aménagée pour la formation des soldats centrafricains, et la piste de l’aérodrome, longue de deux kilomètres, a été réhabilitée. Mais le cœur du camp, qui abrite le bunker de l’état-major, est interdit aux locaux. Quant aux abords du périmètre, officiellement sous le contrôle du ministère de la Défense, il est gardé jour et nuit par des Blancs encagoulés.

Le propre fils de l’ancien empereur, Jean Serge Bokassa, s’est vu refuser à plusieurs reprises l’accès au mausolée de son père et n’a pu s’y rendre que deux fois depuis l’arrivée de Wagner, dont les chefs lui ont imposé des conditions et ont tenu à être présents et à prononcer un discours lors des cérémonies d’hommage autorisées. Dans le courant de 2019, alors qu’ils occupaient les lieux depuis un an, les hommes de Prigojine ont même fini par lui offrir un immense tableau de trois mètres de haut et six mètres de long, représentant… le mausolée de son père, nouvellement agrémenté d’un mât portant les drapeaux russe et centrafricain. Une attention « à la limite de l’insulte », que l’intéressé acceptera finalement non sans mal.

Mine d’or prometteuse


Dernier exemple en date : le 3 novembre 2020, alors qu’il souhaitait rendre l’hommage annuel à son père, Jean Serge Bokassa s’est à nouveau vu refuser l’accès au mausolée. L’homme politique avait obtenu quelques jours plus tôt l’autorisation de Marie-Noëlle Koyara. Peine perdue : la bonne volonté de la ministre n’aura aucun effet sur la hiérarchie russe, et la cérémonie aura lieu en dehors de Berengo, à quelques kilomètres. « Le gouvernement n’a quasiment aucune prise sur les décisions de Wagner. Il leur donne carte blanche », déplore un homme politique. « Les Russes reconquièrent des localités puis appellent les Faca pour qu’elles viennent occuper le terrain », précise une autre source, proche de la Minusca.
 

Quelle est la force de frappe de Wagner et de Sewa Security Services ? « Le flou est total », confie-t-on à l’ONU. Au 18 avril, Moscou reconnaissait le déploiement en Centrafrique de « 532 instructeurs », mais plusieurs sources bien renseignées estiment que le chiffre avoisinerait les 2 000 hommes, dont un peu moins d’un millier pourraient être stationnés à Berengo et dont une partie, arabophone, serait originaire de Syrie et de Libye. Discrets, masqués, parfois aperçus dans certains magasins de Bangui où ils viennent se ravitailler avec leurs camions de transport, Wagner leur promettrait, outre leur salaire, de payer 50 000 roubles (environ 570 euros) à la personne de leur choix en cas de décès sur le front.

« Depuis Berengo, ils peuvent déplacer des troupes, des armes ou du matériel minier comme ils le souhaitent », analyse un expert onusien. Plusieurs aérodromes ont été réhabilités à Ndelé, Birao et Ouadda. Dans cette dernière localité, Lobaye Invest travaille aujourd’hui avec le chef de groupe armé Zakaria Damane, influent dans la région. Elle est également présente, au minimum, à Yawa, dans la Lobaye, et à Ndassima, dans la Ouaka, où se situe la mine d’or réputée la plus prometteuse du pays – et où opère une autre société liée aux intérêts russes, Midas Ressources, laquelle a récupéré en 2019 des droits d’exploitation auparavant attribués à la canadienne Axmin. Dix-sept hélicoptères seraient aussi stationnés au camp de Roux, à Bangui, sans compter les avions gros–porteurs Antonov qui atterrissent à l’aéroport banguissois de Mpoko.

« On constate des livraisons d’armes constantes depuis décembre. Les quantités sont très importantes », alerte un expert. « Souvent, cela vient de Port-Soudan, où Wagner a ses quartiers. Ensuite, cela peut atterrir et être déchargé la nuit à Bangui, ou aller jusqu’à Berengo ou dans d’autres bases, comme celle d’Am Fadok, à la frontière soudano-centrafricaine. Même à Mpoko, les contrôles sont inefficaces, et une bonne partie passe sous les radars de l’ONU et n’est pas déclarée », ajoute une source sécuritaire.

Les 23, 24 et 25 janvier 2021, deux avions Antonov immatriculés au Soudan et exploités par les forces aériennes soudanaises ont ainsi effectué des vols vers l’aéroport de Mpoko, livrant « des armes, des munitions et du matériel militaire », détaille, entre autres, le dernier rapport du groupe d’experts de l’ONU, adressé au Conseil de sécurité le 29 juin. « Les livraisons se sont enchaînées à un rythme jamais vu depuis l’imposition de l’embargo sur les armes, en 2013 », conclut le même document.

Assassinats de journalistes et de civils

Déjà soupçonnés d’avoir commandité l’assassinat, en juillet 2018, de trois journalistes russes venus enquêter en Centrafrique sur leurs activités, les hommes d’Evgueni Prigojine sont depuis plusieurs mois sous la pression constante de la communauté internationale. L’ONU indique avoir « reçu de nombreux rapports faisant état d’assassinats aveugles de civils non armés par des instructeurs russes », en particulier dans les régions minières. Le 21 février, à Ippy, un civil non armé tué par balle ; le 13 janvier, deux personnes handicapées abattues près de Paoua et de Grimari ; le 8 mars, deux civils peuls de Gotchélé tués car assimilés à des rebelles… Au sein du Conseil de sécurité, Moscou a récemment été prié de s’expliquer sur sa relation avec les sociétés de sécurité privées et les exactions en Centrafrique. Il n’en a rien fait, niant tout lien, mais la pression monte.

« Les Russes risquent de se retrouver piégés. Les accusations se multiplient, tandis que les groupes armés n’ont en réalité fait que se replier et conservent leur capacité de nuisance. Combien de temps Wagner va-t‑elle poursuivre le combat ? » s’interroge un diplomate. Une source sécuritaire analyse la situation de façon similaire : « Poutine a voulu marquer des points face à Emmanuel Macron en 2017 et en 2018, car celui-ci venait d’être élu. En outre, le sous-sol a attiré les convoitises de certains acteurs. Wagner a permis de jouer sur les deux tableaux, avec l’avantage que le Kremlin peut nier tout lien avec elle. Wagner a avancé et occupe des centres urbains. Mais pour combien de temps ? Les groupes armés ont reculé, mais ils savent que le temps joue pour eux. »

Au tour de Bamako ?



Depuis quelques semaines, les hommes de Wagner font davantage profil bas à Bangui. Valery Zakharov a suspendu ses comptes sur les réseaux sociaux et n’apparaît plus guère dans la capitale centrafricaine, où il était jusqu’à il y a peu omniprésent. La sécurité rapprochée du président est quant à elle davantage composée de Centrafricains, alors qu’elle était le domaine des Russes ces dernières années. Enfin, sous la pression de la France, un remaniement a mis fin en juin à la primature de Firmin Ngrebada, considéré comme proche de Moscou, tandis que Marie-Noëlle Koyara quittait la Défense. « Moscou a demandé à Wagner de se faire plus discrète, pour ne pas pousser trop loin le bras de fer avec les Français et le Conseil de sécurité », croit savoir un diplomate à Bangui.
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DIAW, CAMARA, GOÏTA LUI-MÊME, ONT EFFECTUÉ UNE PARTIE DE LEURS CLASSES EN RUSSIE

Evgueni Prigojine a-t-il d’ores et déjà le regard braqué sur d’autres horizons ? Des émissaires de Wagner ont en tout cas été repérés dès la fin de l’année 2019 à Bamako, où ils espéraient profiter du sentiment antifrançais pour proposer les mêmes services qu’en Centrafrique. « Ils tiennent un discours contre le néocolonialisme et proposent leur aide en tant que partenaire et non en tant que puissance tutélaire. Cela rencontre un écho dans les anciennes colonies », détaille un diplomate sahélien. Depuis la prise de pouvoir au Mali d’Assimi Goïta (aujourd’hui président de la transition), de nombreux observateurs n’ont pas manqué de remarquer que plusieurs de ses proches, notamment Malick Diaw (président du Conseil national de transition) et Sadio Camara (ministre de la Défense), ainsi que Goïta lui-même, avaient effectué une partie de leurs classes en Russie.

Selon des sources militaires maliennes, Diaw et Camara étaient en outre en formation à Moscou de janvier à août 2020, quelques jours seulement avant le coup d’État qui les a propulsés au pouvoir. Enfin, plusieurs manifestations pro-russes et antifrançaises ont également été organisées, à Bamako comme à Sikasso. « On connaît la stratégie de Wagner pour tisser sa toile, nous y sommes attentifs », tempère une source au sein des renseignements français.

Plusieurs entreprises françaises d’armement se sont néanmoins inquiétées de contacts pris par l’entourage de Goïta avec des intermédiaires russes. « En Centrafrique, la France a perdu de l’influence avec le retrait de l’opération Sangaris. Les pays sont différents, mais il ne s’agirait pas de revivre le même scénario au Mali après la fin de Barkhane », poursuit notre analyste. Le risque a été jugé suffisamment sérieux pour que les renseignements militaires français érigent « la pénétration russe » au rang de priorité au Mali, mais aussi pour toute la zone sahélienne.

Paris s’inquiète encore davantage au sujet du Tchad voisin. « Wagner est très bien implantée en Libye, où elle est proche de Khalifa Haftar, et a noué des contacts avec des rebelles tchadiens », explique une source sécuritaire. Lors de l’attaque ayant conduit à la mort d’Idriss Déby Itno, en avril, le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT) était même en partie équipé d’armement d’origine russe. Le sujet d’un rapprochement entre rebelles tchadiens et mercenaires russes a d’ailleurs été abordé au début de juillet à l’Élysée lors des échanges entre Emmanuel Macron et Mahamat Idriss Déby.

Ce dernier est en outre d’autant plus vigilant depuis que, selon N’Djamena, cinq de ses soldats ont été enlevés puis exécutés au Tchad le 30 mai, non loin de la frontière avec la Centrafrique, dans des affrontements avec des soldats centrafricains et des supplétifs russes. Si Bangui affirme avoir poursuivi des rebelles centrafricains en territoire tchadien, les autorités tchadiennes qualifient les faits de « crimes de guerre » et pointent du doigt les mercenaires de Wagner. Une enquête conjointe est en cours, mais la tension n’est pas retombée. Après Khartoum et Bangui, Wagner parviendra-t-elle à satisfaire ses ambitions et celles du Kremlin plus à l’ouest du continent ? La discrète symphonie africaine jouée en duo par Vladimir Poutine et son allié Evgueni Prigojine, de la Libye au Mozambique en passant par le Soudan et la Centrafrique, semble en tout cas encore inachevée.

Tidjane Thiam : clap de fin dans l’affaire qui avait causé son départ de Credit Suisse ?

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Mis à jour le 27 juillet 2021 à 19h04
Tidjane Thiam, au Credit Suisse, à Zurich, le 13 février 2020.
Tidjane Thiam, au Credit Suisse, à Zurich, le 13 février 2020. © Ennio Leanza/AP/SIPA

 

La banque a trouvé un accord extrajudiciaire aux poursuites pénales de l’affaire Khan, à l’origine du départ du franco-ivoirien.

C’est un feuilleton rocambolesque qui a trouvé son issue le dimanche 25 juillet 2021. Credit Suisse est parvenu à un accord à l’amiable avec « toutes les personnes impliquées » dans l’affaire qui a ébranlé le colosse helvète en septembre 2019. Celle-ci concernait la filature présumée de son ex-star de la gestion de fortune, Iqbal Khan, et de Peter Goerke, alors responsable du personnel.

Outre l’image de l’institution financière zurichoise, cette histoire de surveillance avait fini par écorner la réputation de son directeur général de l’époque, le banquier franco-ivoirien Tidjane Thiam.

Ce dernier – qui a restructuré Credit Suisse au cours de son mandat, au prix de fortes pertes durant les trois premières années de son plan – avait été contraint de démissionner début 2020. Il a quitté la banque le 14 février après avoir présenté de solides résultats annuels (2019) avec des bénéfices au plus haut depuis 2010.

Mais, dès l’exercice suivant, des difficultés ont émergé pour la banque. En 2020, Credit Suisse a subi un recul de plus de 20 % de son bénéfice net, principalement en raison d’une hausse des provisions pour pertes sur crédit, de provisions pour litiges majeurs et d’une dépréciation du hedge fund York. Depuis quelques mois, la banque helvète est fragilisée par deux nouveaux scandales liés à la fintech britannique Greensill Capital et au fonds Archegos.

Reliquat de poursuites

« Cette affaire est désormais close », a déclaré la porte-parole de la banque, Simone Meier, dans la presse suisse en commentant la conclusion de l’accord à l’amiable. Mais ni le nombre de personnes concernées par le règlement ni le montant des indemnités éventuelles n’ont été dévoilés, les parties étant soumises à une clause de confidentialité.

D’après le journal suisse NZZ am Sonntag, qui a révélé l’accord, cette transaction doit permettre l’abandon des plaintes au pénal déposées par Iqbal Khan – désormais coprésident de la gestion de fortune du concurrent UBS – contre la banque et des détectives privés qui l’auraient suivi, ainsi que sa femme, dans Zurich.

Toutefois, la procédure n’est pas entièrement close puisque les poursuites engagées par la Finma, le régulateur suisse chargé de la surveillance des marchés financiers, sont toujours en cours. En effet, en septembre 2020, cette autorité a ouvert une procédure dite d’enforcement à l’encontre de Credit Suisse dans le contexte de l’affaire des filatures.

Après une première enquête diligentée en décembre 2019 et désormais achevée, la Finma s’intéresse à présent « aux indices de violations du droit de la surveillance dans le contexte des activités de filature et de sécurité de la banque, examinant notamment la manière dont ces activités ont été documentées et contrôlées ». Aucune précision n’a depuis été donnée, l’enquête pouvant durer « plusieurs mois ».

Nouvelle vie pour Tidjane Thiam

Pour Tidjane Thiam, qui a toujours nié avoir eu connaissance de tels agissements présumés, la fin de cette aventure a également signifié la fin de sa carrière banquière. Mais, pour celui que d’aucuns considèrent comme un « prodige de la finance », rebondir sur le devant de la scène financière a été tout aussi naturel.

Le financier franco-ivoirien a ainsi accepté plusieurs mandats représentatifs, dont l’entrée au conseil d’administration du groupe de luxe Kering, mais aussi un engagement auprès des chantres du « capitalisme inclusif » au sein du Vatican. Il s’est également rapproché du continent qui l’a vu naître avec un mandat de président du conseil d’administration de Rwanda Finance Limited. Mais aussi avec sa participation active dans la réponse économique au Covid-19. Tidjane Thiam fait en effet partie de la task force de l’Union africaine consacrée à ce sujet.

Plus récemment, et toujours dans ce cadre, il a été consulté par Emmanuel Macron pour la mise en place du Sommet sur les économies africaines qui s’est tenu à Paris le 18 mai dernier. À la fin de ce même mois, il était, par ailleurs, membre de la délégation accompagnant le président français lors de son déplacement historique au Rwanda, puis en Afrique du Sud.

En parallèle, il a lancé début 2021 une SPAC cotée à la Bourse de New York qui vise à faire l’acquisition de sociétés principalement actives dans le secteur des services financiers.

Mali – Tentative d’assassinat d’Assimi Goïta : les premiers éléments de l’enquête

| Par et 
Mis à jour le 21 juillet 2021 à 16h43
Assimi Goïta, le chef de l’État malien, arrive à la Grande Mosquée de Bamako pour la prière, quelques instants avant d’être la cible d’une tentative d’assassinat, le 20 juillet 2021.
Assimi Goïta, le chef de l'État malien, arrive à la Grande Mosquée de Bamako pour la prière,
quelques instants avant d'être la cible d'une tentative d'assassinat, le 20 juillet 2021. © .REUTERS/Stringer

Le chef de l’État malien célébrait la fête de la Tabaski dans la Grande mosquée de Bamako quand il a été victime d’une tentative d’assassinat au couteau. Retour sur cet évènement qui a secoué Bamako.

Ce qui devait être un jour de fête a bien failli tourner au drame. Ce mardi 20 juillet, à la suite de la prière de la Tabaski (Aïd el-Kébir), la fête du Sacrifice, à la Grande Mosquée de Bamako, le président de la transition malienne, le colonel Assimi Goïta, a été la cible d’une tentative d’assassinat.

Peu après 9 heures (heure de Bamako), alors que les fidèles se retirent avec l’imam Amadou Kallé, un individu armé d’un couteau tente de porter atteinte à la vie du chef de l’État, alors que ce dernier prenait la suite du prédicateur pour égorger un mouton, comme le veut la tradition. Rapidement, l’assaillant bute sur le cordon de sécurité qui entoure le président malien et est maîtrisé.

La sécurité rapprochée du président de la transition, en treillis, embarque l’agresseur à l’arrière d’un pick-up. Vêtu d’un boubou marron et le visage en partie dissimulé sous un chèche bleu, l’assaillant est un enseignant, selon un commissaire de police interrogé par l’AFP.

Zones d’ombre

Avec lui, un deuxième homme est embarqué par les forces de sécurité, qui le prennent pour un complice. Il s’agissait en fait d’un membre des forces spéciales, armé d’un pistolet, que la garde présidentielle n’avait pas reconnu.

Si plusieurs témoins présents sur les lieux – journalistes ou hommes politiques – , ont assuré de prime abord que « deux ou trois personnes auraient participé à l’attaque », il semble, selon les premiers éléments de l’enquête, que l’assaillant a agit seul. « Les investigations sont en cours pour savoir combien de personnes sont impliquées, assure une source à la présidence. Pour l’heure, nous ne pouvons confirmer l’arrestation que d’un seul assaillant. » Dans le camp présidentiel, on affirme également que ce dernier était sous l’effet de la drogue. Ses motifs sont inconnus.

Le procureur de la République près la Cour d’appel de Bamako a annoncé, ce mardi 21 juillet, l’ouverture d’une enquête pour « atteinte à la sûreté de l’État » et « tentative d’assassinat ».

Escorté par une dizaine d’hommes – garde présidentielle, forces de police et militaires – le président Assimi Goïta est à son tour évacué des lieux sous les applaudissements de quelques hommes et femmes parés de leurs boubous de fête. Affichant une mine sereine, il prend même le temps de saluer de la main les curieux massés à l’entrée de la mosquée.  « Que dieu lui donne la force », scandent alors en bambara quelques badauds.

Derrière lui sortent plusieurs membres du gouvernement. Parmi eux, le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga, qui, selon la tradition, s’est joint à la prière de la Grande mosquée, ainsi que plusieurs ministres. Les familles fondatrices de Bamako sont elles aussi présentes.

À peine sorti de la Grande Mosquée, Assimi Goïta prend la direction de sa résidence de Kati à bord de son pick-up blanc. Sain et sauf, « le président n’a pas été blessé », confirme son entourage. L’un de ses gardes du corps aurait été « légèrement touché » à la main en tentant de retirer le couteau des mains de l’assaillant, affirme un proche de Goïta.

Appel à l’apaisement

Entouré de son Premier ministre et de plusieurs membres du gouvernement – Mossa Ag Attaher, ministre de la Jeunesse et des Sports, Lamine Seydou Traoré, ministre des Mines, de l’Énergie et l’Eau, Sadio Camara, ministre de la Défense et des anciens Combattants, Daoud Aly Mohammedine, ministre de la Sécurité et de la Protection civile, Mamadou Koné, ministre des Affaires Religieuses, et de Malick Diawara, président du Comité national de la transition (CNT) –, rassemblés « par solidarité autour du président », Assimi Goïta a adressé, depuis sa résidence de Kati, ses vœux aux Maliens en direct sur les ondes de l’ORTM, appelant « au pardon et à la cohésion» après l’attaque.

« Tout va bien, il y a toujours des mécontents qui peuvent vouloir tenter des choses […] J’aimerais rassurer l’opinion nationale et la communauté internationale que je vais très bien, a assuré le chef de l’État. Je souhaite une bonne fête de Tabaski à toute la communauté musulmane malienne. Cette fête est un moment de communion et de pardon. Je demande à tous les Maliens de saisir cette opportunité pour se pardonner et se réconcilier pour la stabilité et pour la paix au Mali. »

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LES PROCHES DU PRÉSIDENT ÉVOQUENT « UNE TENTATIVE D’ASSASSINAT », ASSIMI GOÏTA PRÉFÈRE PARLER « D’ACTE ISOLÉ »

Les proches du président assurent qu’une enquête est en cours pour faire la lumière sur cette « tentative d’assassinat », qu’Assimi Goïta préfère qualifier « d’acte isolé ».

Après avoir prononcé ses vœux, Assimi Goïta a, selon la tradition, égorgé un mouton à sa résidence, avant d’aller se recueillir sur la tombe de sa mère, au cimetière de Kalabancoro, « afin de célébrer la Tabaski comme il se doit », confie l’un de ses collaborateurs.

RDC : le parc de la Salonga sauvé ? L’arbre ne doit pas cacher la forêt

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Par  Damien Glez

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

Glez

En RDC, alors que le parc national de la Salonga a été retiré de la liste du patrimoine mondial en péril, des militants écologistes invitent à ne pas s’arrêter en si bon chemin…

Il y a, en matière de classification, des changements censément encourageants qui invitent à l’inquiétude, comme lorsqu’une nation quitte le décompte des pays pauvres très endettés (PPTE), signe de développement qui peut annoncer la fin de certaines aides juteuses. Depuis le 19 juillet dernier, le parc national congolais de la Salonga, créé en 1970 par Mobutu Sese Seko, ne figure plus sur la liste du patrimoine mondial en péril, grâce aux « améliorations apportées à son état de conservation ».

Manifeste bonne nouvelle pour la plus grande réserve de forêt tropicale humide d’Afrique, qui s’étend sur 36 000 km2. La zone joue un rôle déterminant dans la régulation du climat –notamment par la séquestration du carbone– et dans la préservation d’espèces menacées comme le bonobo, l’éléphant de forêt, le crocodile africain au museau effilé et le paon du Congo.

Satisfecit

Si cette annonce de l’Unesco constitue un satisfecit pour la RDC, c’est que les dangers qui planaient sur le parc étaient en partie imputés au gouvernement, en particulier du fait de la délivrance controversée de licences de forage pétrolier empiétant sur la zone protégée. Or, les bonnes nouvelles à proclamer au monde ne sont pas légion dans une zone d’Afrique centrale où les cousins des bonobos –les humains– subissent régulièrement les affres des violences dévastatrices, de la malnutrition aiguë et d’épidémies diverses comme celle du choléra ou de la maladie à virus Ebola.

Pour autant, tout va-t-il pour le mieux dans le meilleur des Congo boisé ? Pour le ministère congolais de l’Environnement, l’annonce que le parc de la Salonga n’est plus en péril est « une occasion de mieux penser la gestion de la tourbière », cet ensemble de zones humides qui garantissent, dans le bassin du Congo, la biodiversité sur une superficie totale de 145 000 km2. Trente milliards de tonnes de carbone y seraient actuellement stockées, selon l’ONG Greenpeace. Un service environnemental à l’échelle de l’humanité toute entière.

Prenant au mot les autorités et à son compte la sagesse africaine qui enseigne qu’on ne doit pas « enterrer un cadavre en laissant ses pieds dehors », Greenpeace Afrique exhorte les autorités à prendre des mesures similaires  et à annuler les blocs pétroliers dans le parc des Virunga et le reste de la Cuvette Centrale. « Ce sont de vastes zones riches en biodiversité qui fournissent de l’eau potable, la sécurité alimentaire et des médicaments aux communautés locales et qui rendent des services environnementaux à l’humanité », plaide pour l’ONG Irene Wabiwa Betoko, cheffe de projet international pour la forêt du bassin du Congo.

 
 

Espionnage : le « PegasusGate » est aussi africain

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Par  Damien Glez

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

Damien Glez

Dans le scandale mondialisé de l’espionnage massif de journalistes ou activistes via le logiciel Pegasus, l’Afrique n’est pas en reste… 

L’Africain lambda a toujours la nette impression que son continent n’est « in » que dans le pire et « out » que dans le meilleur. « Out » dans l’accès aux vaccins anti-Covid qu’il a du mal à dupliquer lui-même et « in » dans l’insécurité avec, d’après l’édition 2021 du Global Peace Index, cinq pays parmi les dix les moins pacifiés de la planète. Même lorsque le cynisme politique se fait « high tech », l’Afrique est dans la place. C’est ce que tend à démontrer le récent « PegasusGate »…

C’est le 18 juillet dernier qu’un consortium de dix-sept rédactions coordonnées par la plateforme Forbidden Stories, en collaboration avec le Security Lab d’Amnesty International, annonçait qu’environ 50 000 numéros de téléphone avaient été les cibles d’un puissant logiciel espion distribué par l’entreprise israélienne NSO Group. Connu sous le nom de Pegasus, le programme malveillant infecte aussi bien les iPhones que les appareils Android, et permet aux opérateurs de siphonner, en sourdine, des localisations, des messages, des photos, voire des captations inopinées d’appels ou de visuels via l’activation secrète de microphones et de caméras.

Trois pays africains accusés

Officiellement destiné à confondre les criminels et les terroristes, le logiciel se serait retrouvé entre les mains de pays au bilan douteux en matière de droits de l’homme et aux intentions peu compatibles avec le respect de la vie privée et du secret professionnel. Dans des pays comme la Chine ou l’Azerbaïdjan, la majorité des cibles du logiciel intrusif auraient été journalistes, opposants, avocats ou défenseurs des droits de l’homme.

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L’ALGÉRIE, LA RDC, L’ÉGYPTE, LE MAROC, L’OUGANDA, LE RWANDA ET LE TOGO FIGURENT DANS L’ACCABLANT PALMARÈS DU « PEGASUSGATE »

Partie émergée de l’iceberg ? L’Agence France-Presse évoque déjà 180 hommes et femmes de presse, 600 politiciens, 85 militants des droits humains ou encore 65 chefs d’entreprise. Or, certaines cibles de cet espionnage massif ont été contraintes à l’exil, voire assassinées, comme l’emblématique Saoudien Jamal Khashoggi

La sophistication technologique serait-elle hors de portée de régimes africains dont certains aiment faire vibrer la corde sensible de budgets nationaux trop étriqués pour satisfaire les besoins sociaux de base ? Pas sûr, si l’on en croît l’enquête du consortium de journalistes. Sous réserve de confirmation des données et de démonstration du cadre d’utilisation, trois pays du continent figurent dans l’accablant palmarès du « PegasusGate » :  le Maroc, le Rwanda et le Togo. Il y a quelques années, c’est l’entreprise de logiciels basée en Italie Memento Labs que Reporters sans frontières avait accusé d’avoir permis le hacking de journalistes d’Éthiopie et du Maroc.

L’heure est aux dénégations, à commencer par celles de la société NSO Group qui affirme n’avoir vendu son logiciel espion qu’à des « gouvernements approuvés » qui seraient au nombre de 36. La bien attentionnée entreprise de sécurité informatique auraient-elle été victime d’un piratage informatique ?