«En pourcentage, c'est l'Afrique qui compte le plus de personnes affectées par la faim»

En mai 2021, l'index du prix de la nourriture calculé mensuellement par la FAO était en augmentation pour le douzième mois consécutif, atteignant ainsi son plus haut niveau depuis septembre 2011. En cause, l'augmentation du prix des huiles végétales, du sucre et des céréales (photo d'illustration).
En mai 2021, l'index du prix de la nourriture calculé mensuellement par la FAO était en augmentation pour le douzième mois consécutif, atteignant ainsi son plus haut niveau depuis septembre 2011. En cause, l'augmentation du prix des huiles végétales, du sucre et des céréales (photo d'illustration). © AFP - Ishara S. Kodikara

Lundi 12 juillet, l'ONU a présenté un rapport alertant sur la nette augmentation de la faim dans le monde. La pandémie de Covid-19 et les confinements ainsi que la hausse du prix de certaines denrées qu'elle a entraînée a exacerbé cette situation. Le rapport indique par ailleurs que la faim progresse plus vite en Afrique qu'ailleurs dans le monde. Dominique Burgeon, directeur à Genève du bureau de liaison de la FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture) est l'invité de RFI.

RFI : L’objectif de l’ONU d’éradiquer la faim dans le monde d’ici à 2030 ne sera pas atteint. C’est désormais une certitude. La faim chronique touche 10% de la population mondiale. Comment se situe l’Afrique dans ces sombres statistiques ?

Dominique Burgeon : Si en terme de nombre de personnes, c’est effectivement l’Asie qui a le plus de personnes qui sont confrontées à la faim, en matière de pourcentage, c’est malheureusement l’Afrique avec 21% de la population qui compte le plus de personnes affectées par la faim. 21% de la population, 282 millions de personnes sur un nombre total de 768 millions de personnes en 2020 qui étaient confrontées à la faim.

Alors comment expliquer cette progression de la faim dans le monde, et en particulier en Afrique ?

En fait, la tendance globale était à la diminution jusque 2014-2015. Depuis 2015, malheureusement, nous voyons que cette tendance s’est inversée et que le nombre de personnes confrontées à la faim continue à augmenter, avec une augmentation bien plus forte qui a été enregistrée au cours de l’année 2019 liée en particulier aux conséquences indirectes de la pandémie du Covid-19.

Mais en matière de paramètres, on voit qu’on a malheureusement les conflits, les événements climatiques extrêmes, les catastrophes naturelles et les chocs économiques lesquels viennent s’accumuler sur un terreau de grande pauvreté et d’inégalité. Tout cela fait qu’effectivement, on a eu un renversement de cette tendance avec une augmentation forte au cours de la dernière année liée au Covid-19 et, malheureusement, de nouveau, une augmentation qui n’a pas été uniforme entre les divers continents et entre les différents pays.

On voit qu’en Afrique, on a une augmentation de 3%, alors qu’en Amérique latine, on a une augmentation de 2% et en Asie, une augmentation d’un peu plus de 1% du nombre de personnes confrontées à la faim en 2019. Donc, effectivement, on voit des grandes disparités qui ont trait aux chocs auxquels les pays sont confrontés, et à leur capacité d’absorber ces chocs et d’appuyer leurs populations pour qu’elles ne tombent pas dans cette situation d’insécurité alimentaire et de faim.

► À lire aussi : Le nombre de gens qui ont faim dans le monde a considérablement augmenté en 2020

Et sur le terrain, comment cela se traduit-il pour les populations ?

C’est vrai qu’on peut dire que le terme de « prévalence de la sous-alimentation » est un terme très technique, mais concrètement qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que les personnes n’ont pas accès à une alimentation de qualité en quantité suffisante, de manière stable, au cours de l’année afin de leur permettre de conduire une vie saine et productive.

Donc, cela veut dire en gros que, quand elles ont accès à une alimentation, c’est souvent une alimentation qui est très peu diversifiée. Et quand elles sont confrontées à des chocs - on parlait des conflits et des extrêmes climatiques, etc. -, on voit que malheureusement, et à chaque fois, cela complique leur capacité à accéder à une alimentation et qu’elles coupent sur la quantité, sur la qualité pour parfois arriver.

Et malheureusement on voit sur le continent africain qu’il y a beaucoup de crises alimentaires dans des pays comme la République démocratique du Congo qui est en matière d’insécurité alimentaire aigüe la plus grande crise alimentaire au monde, où on a le plus grand nombre de personnes qui sont en insécurité alimentaire aigüe, on voit que si on ne parvient pas à fournir de l’aide humanitaire, mais aussi très vite à enclencher le processus de développement, cela pourrait conduire à des situations de famine.

Il y a des gens qui meurent de faim aujourd’hui en Afrique ?

Il y a des gens qui meurent de faim en Afrique et des conséquences de la faim. Quand vous avez faim, votre capacité à résister aux maladies est beaucoup plus faible. Le problème, c’est qu’on ne doit pas attendre qu’il y ait une déclaration de famine dans un pays pour effectivement agir. Il faut agir bien plus tôt, quand on montre des tendances graves par rapport au nombre de personnes en insécurité alimentaire aigüe.

Quelles sont les solutions que vous proposez à ces problèmes de faim chronique ?

Le rapport met en particulier en évidence six voies possibles vers la transformation des systèmes alimentaires qui ont trait à l’intégration de l’action humanitaire des politiques de développement et de consolidation de la paix, le renforcement de la résilience face au changement climatique et face à l’adversité climatique, aussi qui promeut des interventions le long de la chaine d’approvisionnement en vue de réduire les coûts des aliments nutritifs, de promouvoir des stratégies afin de lutter contre la pauvreté des inégalités structurelles, et enfin de travailler sur le comportement des consommateurs.

Et donc, tout cela, ce sont des solutions qui sont envisagées dans ce rapport. Il est évident qu’il ne s’agit pas de les adopter tels quels, dans leur ensemble pour tous les pays, mais bien d’avoir une analyse détaillée de la situation pays par pays, en appuyant les autorités à faire cette analyse afin de pouvoir proposer des changements politiques et des portefeuilles d’investissement qui seraient capables d’au moins d’inverser la tendance d’ici 2030.

 À réécouter : Journée mondiale contre la faim: la faim gagne du terrain dans le monde (Priorité Santé)

Dans son rapport 2021, la FAO alerte sur un emballement de la faim dans le monde
Dans son rapport 2021, la FAO alerte sur un emballement de la faim dans le monde © FAO
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