Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

[Tribune] Quand les pays riches parlent aux Africains

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Mis à jour le 17 mai 2021 à 10h14
 
 

Par  Cheikh Tidiane Dieye

Directeur exécutif Centre africain pour le commerce, l'intégration et le développement (Cacid)

 

Par  Jean-Louis Guigou

Économiste français et président du think tank euro-méditerranéen Ipemed (Institut de prospective économique du monde méditerranéen), qui lance la fondation La Verticale AME.

(@JLGuigou)

Le président chinois Xi Jinping, le Premier ministre indien Narendra Modi, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, le président brésilien Michel Temer et le président russe Vladimir Poutine (de gauche à droite) lors du 10e sommet des Brics, à Johannesburg (Afrique du Sud), le 26 juillet 2018.

Le président chinois Xi Jinping, le Premier ministre indien Narendra Modi, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, le président brésilien Michel Temer et le président russe Vladimir Poutine (de gauche à droite) lors du 10e sommet des Brics, à Johannesburg (Afrique du Sud), le 26 juillet 2018. © Nikolsky/Tass/ABC/Andia.fr

 

Dans la lutte d’influence que se livrent les grandes puissances sur le continent, la Chine et les États-Unis marquent des points. En dépit de son déficit d’image, l’Europe pourrait cependant très vite rattraper son retard si elle change de technique d’approche.

En Afrique, la concurrence entre grandes puissances commence par une concurrence des « narratifs ». Les États-Unis et la Chine parlent aux Africains. Ils répondent, à leur manière, au triple besoin qu’imposent ces derniers : oser penser, partager et agir autrement. Quant aux Européens, ils leur proposent un projet qui n’est encore ni clair ni tout à fait convaincant. Au-delà de ces trois modes narratifs (chinois, américain et européen) en Afrique, il faudra, de plus en plus, tenir compte de celui des Africains aux Africains. Il n’est pas encore très audible, mais il s’élève, et prône l’émancipation et la responsabilité

États captifs

Le « narratif » chinois est de loin le plus structuré. Cela le rend compréhensible par les élites et aussi par les peuples africains. D’abord, les Chinois ont une vision à long terme (cinquante ans), avec la montée en puissance des routes de la soie associant l’Asie à l’Afrique et à l’Europe. C’est audacieux, dans une période dominée par le court terme, et qui, avec le Covid-19, prône la fermeture plutôt que l’ouverture. Puis, ils tiennent un discours tiers-mondiste qui parle aux Africains : « Les Occidentaux nous ont maltraités et colonisés… comme vous ! Ils ont toujours la prétention de dominer et d’imposer leurs conditions et leurs valeurs. Nous, Chinois, le contestons…comme vous. Associons-nous pour changer l’ordre mondial. » Des centres d’études chinoises diffusent la culture de l’Empire du Milieu en Afrique, des forums et des colloques de qualité se multiplient. Enfin, les Chinois excellent dans l’action : des prêts massifs et des infrastructures. Les Chinois sont pressés, les Africains aussi. Certains États du continent s’endettent et deviennent captifs. Les zones économiques spéciales donnent un tour concret à leur partenariat avec les Africains. Elles crédibilisent l’Afrique industrielle et en font un candidat concret aux relocalisations depuis l’Asie. Malgré les critiques sur l’endettement et la confiscation des matières premières, le narratif chinois sur l’Afrique est devenu opérationnel.

Peu structuré, mais efficace

Le narratif américain reste moins structuré, mais il est efficace. L’Amérique se fait aimer par l’image, la télévision, les médias, les outils numériques qui véhiculent la culture américaine. Les universités américaines sont puissantes en Afrique, elles diplôment des cadres qui commenceront leur carrière de l’autre côté de l’Atlantique. Et les évangélistes ne sont pas reste: ils vont porter la parole américaine sur le continent. En réalité, ce narratif masque le peu d’intérêt économique de l’Amérique pour l’Afrique. Reste l’intérêt politico-militaire de la lutte contre le terrorisme – et aussi, il faut le reconnaitre, l’aide en matière sanitaire, notamment grâce aux grandes fondations américaines.

« La Corrèze avant le Zambèze »

Pour sa part, le narratif européen en Afrique a pris du retard, malgré des progrès récents. Celui-ci est lié à une mauvaise image, ancrée, née de la traite des Noirs (XVIe-XVIIIe siècles), de la colonisation (XIXe et XXe siècles) et de la décolonisation mal aboutie. Les relations postcoloniales (France-Afrique, le soutien aux dictateurs pour assurer l’accès aux matières premières ou la sécurité, etc.) n’ont pas permis de dépasser une histoire longue de malheurs, de mépris, de paternalisme, d’exploitation des matières premières et de la main-d’œuvre bon marché. De plus, ces dernières années, le durcissement du débat migratoire d’une Europe qui se referme sur elle-même, n’a pas aidé. Et la crise sanitaire liée au Covid 19 l’a encore davantage éloignée de l’Afrique, réactivant dans l’opinion publique le vieux dicton « la Corrèze avant le Zambèze ». Côté africain, la déception à l’égard de l’Europe s’est souvent transformée en malentendu, puis en rancœur. Entre ces deux continents que la géographie et l’histoire rapprochent tant – pour le pire, mais aussi pour le meilleur grâce aux diasporas, aux échanges humains et culturels – la méconnaissance réciproque s’est, en réalité, installée.

Pourtant, d’autres voix se font entendre, en Afrique comme en Europe. Le regard change sur le continent qui se transforme en profondeur. Cela nourrit un narratif encore fragile mais novateur, qui cherche à faire naître un désir d’Afrique en Europe et un désir d’Europe en Afrique, sur des bases non plus rentières, mais productives, non plus imposées, mais coproduites. L’entreprise est vaste, elle demandera du temps et du courage politique, mais elle a commencé.

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LES AFRICAINS NE SONT PAS SEULEMENT NOS VOISINS, CE SONT NOS PARTENAIRES NATURELS, C’EST AVEC EUX QUE NOUS BÂTIRONS LE MONDE DANS LEQUEL NOUS VOULONS VIVRE.

Le « penser autrement » des Européens a bien changé ces dernières années. Durant son mandat à la tête de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker s’est fait le promoteur d’une « nouvelle alliance ». Angela Merkel a proposé un plan Marshall pour l’Afrique qui serait fondé, non plus sur le seul commerce, mais sur l’investissement productif. Quelques mois après son élection, Emmanuel Macron disait vouloir « arrimer les deux continents, européen et africain, à travers la Méditerranée et créer une grande région Afrique-Méditerranée-Europe ». La présidente Ursula von der Leyen a imposé aux Commissaires de ne plus travailler « pour » mais « avec » l’Afrique. Dans son discours sur l’état de l’Union le 18 septembre 2020, elle a déclaré : « Les Africains ne sont pas seulement nos voisins, ce sont nos partenaires naturels, c’est avec eux que nous bâtirons le monde dans lequel nous voulons vivre. » La  direction générale du développement et de la coopération essaye de s’engager dans cette nouvelle stratégie avec l’Afrique.

Dans le même temps, le narratif des Africains aux Africains a, lui aussi, bien évolué. De plus en plus d’acteurs, surtout les intellectuels et les jeunes, dessinent, jour après jour, les contours de l’avenir qu’ils souhaitent pour l’Afrique : justice, souveraineté économique, équité dans les relations internationales, de transformation structurelle, insertion dans les chaînes de valeur globale, intégration régionale, diversification des partenariats commerciaux, innovation, technologie, transparence et bonne gouvernance. Dans son plaidoyer contre les accords de partenariat économique entre l’Europe et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), l’ancien président de la République du Sénégal, Abdoulaye Wade, préconisait, dès 2007, au nom de l’Afrique, une nouvelle alliance Afrique-Europe qui, s’écartant de toute réaction défensive face à l’arrivée de nouveaux concurrents commerciaux asiatiques sur le continent africain, invitait à un nouveau partenariat fondé sur une vision d’avenir partagée.

De la dépendance à la responsabilité

Cette vision de l’Afrique par les Africains s’est précisée au cours des dernières années. À titre d’exemple, le discours du président ghanéen Nana Akufo-Addo, qui recevait le président Emmanuel Macron le 12 décembre 2017, était clair : « Il faut en finir avec la charité […]. Les aides, ça n’a jamais marché, ça ne marchera jamais […]. Une nouvelle Afrique est en marche, riche de sa population, de sa jeunesse, de ses richesses naturelles […]. L’Afrique doit voler de ses propres ailes et créer des opportunités pour retenir sa jeunesse. » L’Afrique ne veut pas devenir « l’usine du monde », mais elle veut transformer sur place « ses » matières premières et créer des possibilités d’emploi et d’espérance démocratique pour les jeunes.

Comment faire converger ces nouveaux narratifs européens et africains ? Peut-on imaginer un narratif commun ? Évidemment, oui. Mais cela suppose quelques préalables.  Notamment : changer de comportement Pour les Européens, c’est passer de l’esprit de conquête à l’esprit de partage. Pour les Africains, c’est passer de la dépendance à la responsabilité ; changer d’objectif : passer du simple commerce au partage des chaînes de valeur (comme la Chine l’a fait avec les pays du Sud-Est asiatique) en promouvant la coproduction euro-africaine ; changer de méthode, en passant du top-down au bottom-up, c’est-à-dire à une approche territoriale des besoins de la population et de l’action des sociétés civiles locales.
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TANT QUE NOUS N’AURONS PAS UN NARRATIF COMMUN ENTRE AFRICAINS, MÉDITERRANÉENS ET EUROPÉENS, NOTRE ACTION RESTERA LIMITÉE ET DISPERSÉE

On n’avancera pas concrètement sans mettre en place quatre outils qui ont fait leurs preuves entre les deux Amériques, comme entre la Chine et les pays du Sud-Est asiatique : un outil de coordination des think tanks européens et africains pour penser la réponse à ces défis communs et tracer la voie d’une meilleure intégration de la région AME ; une institution financière intercontinentale pour sécuriser les investissements et assurer la mobilité des capitaux ; un traité économique de coproduction pour la réindustrialisation de l’Europe, et l’industrialisation de l’Afrique à partir de ses matières premières et de ses besoins ; une institution de concertation politique cogérée, pour mettre sur pied des politiques et des régulations communes.

Tant que nous ne partagerons pas une vision commune, des outils puissants pour une intégration économique régionale productive, soutenable et solidaire, notre région restera le fruit des convoitises de puissances extérieures. Tant que nous n’aurons pas un narratif commun entre Africains, Méditerranéens et Européens, notre action restera limitée et dispersée. Bâtissons ce narratif commun, pour mettre en œuvre nos préférences collectives.

Au moins 5 000 migrants arrivent dans l'enclave espagnole de Ceuta, un record en un jour

Deux migrants parlent à un agent de la garde civile espagnole à Ceuta. Lundi 17 mai, au moins 5 000 migrants sont arrivés dans cette enclave espagnole en une seule journée, un record.
Deux migrants parlent à un agent de la garde civile espagnole à Ceuta. Lundi 17 mai, au moins 5 000 migrants sont arrivés dans cette enclave espagnole en une seule journée, un record. Antonio Sempere AFP

C’est un fait sans précédent. Au moins 5 000 migrants, dont un millier de mineurs, sont parvenus, lundi 17 mai, à atteindre l'enclave espagnole de Ceuta depuis le Maroc voisin, arrivant à la nage ou à pied quand la marée le permettait, ont indiqué les autorités espagnoles, évoquant un « record » pour une journée.

Des hommes, des femmes et des enfants ont utilisé des bouées gonflables, d'autres des canots pneumatiques et certains ont même nagé jusqu'au territoire espagnol de Ceuta. 

Selon un porte-parole de la garde civile espagnole, la marée était si basse à certains endroits qu'on pouvait pratiquement arriver à Ceuta en marchant. 

À l'aube, ils n'étaient encore qu'une centaine. Mais au fil des heures, le flot n'a cessé de gonfler. Dans la nuit de lundi à mardi, le porte-parole de la préfecture a annoncé à l'AFP que 5 000 personnes avaient franchi la frontière et que ce chiffre, inédit, pourrait encore augmenter.

Des migrants tentent régulièrement de rejoindre Ceuta en escaladant les hautes clôtures qui séparent cette enclave du Maroc. 

Fin avril, une centaine de migrants marocains avaient déjà gagné ce territoire espagnol, à la nage. La majorité d'entre eux avaient ensuite été expulsés vers le Maroc. 

Contexte de tensions diplomatiques entre Madrid et Rabat

Ces arrivées s'inscrivent dans un contexte de tensions diplomatiques entre Madrid et Rabat, rappelle notre correspondant à MadridFrançois Musseau. Même si le gouvernement socialiste espagnol le nie, en relâchant la surveillance policière à Finideq, la ville frontalière, Rabat punit son voisin pour avoir hébergé dans un de ses hôpitaux à la mi- avril Brahim Ghali, le leader du Front Polisario, ce mouvement qui revendique l’indépendance du Sahara occidental, occupé par le Maroc depuis 1976.

Pour Rabat, c’est une provocation qui méritait des représailles. Celle-ci a pris la forme de cette arrivée massive, qui déborde les infrastructures de Ceuta, petit territoire qui ne dispose que d'un seul hangar habilité par l’armée et d’une capacité de 200 personnes pour accueillir les sans-papiers. Madrid aimerait rapatrier ces migrants arrivés à la nage, mais pour cela il faudra le feu vert du Maroc. Or, pour l’heure, la tension est à son comble entre les deux pays en raison du conflit au Sahara occidental. Rabat souhaite une pleine reconnaissance de sa souveraineté sur ce territoire. Madrid veut une négociation avec le Front Polisario.

Les saisies de faux médicaments se multiplient au Sénégal

Une saisie de faux médicaments (image d'illustration).
Une saisie de faux médicaments (image d'illustration). TANG CHHIN Sothy / AFP

La semaine dernière, les services des douanes ont annoncé avoir mis la main sur plusieurs tonnes de médicaments non homologués, d’une valeur de plus d’1,5 milliard de Francs CFA (près de 2,3 millions d’euros). Une saisie record, près de la frontière avec la Gambie. Plusieurs opérations du même type ont été menées ces derniers mois. Le syndicat des pharmaciens du Sénégal dénonce un « manque de volonté politique » pour lutter contre le trafic.

Avec notre correspondante à DakarCharlotte Idrac

La marchandise était cachée sous des caisses de poisson dans un camion frigorifique en provenance de la Gambie. Dans les cartons, entre autres, des antalgiques mais aussi 650 kilos de comprimés testés à la morphine pure.

« Cette saisie est inédite par le modus operandi d’abord mais également de par la quantité, explique le lieutenant-colonel Alpha Touré Diallo, chef du bureau Relations publiques et de la communication à la direction des Douanes. Les saisies de médicaments, c’est vraiment une chose récurrente au Sénégal, la sanction est relativement faible par rapport à la dangerosité du trafic. Et nous comptons également sur collaboration des populations. »

Un phénomène qui n’est pas nouveau, mais qui s’aggrave selon le Syndicat des pharmaciens privés du Sénégal. Docteur Assane Diop, son président, dénonce une situation « alarmante ».

« Le Sénégal est en train de devenir une plaque tournante de ce trafic. On retrouve les médicaments presque partout, au cœur de Dakar, nous avons un gros point de vente illicite qu’on appelle Keur Serigne Bi. Mais ce qui pose vraiment gros souci, c’est ce qui se passe à Touba pù nous avons dénombré plus de 400 boutiques qui vendent des médicaments et des faux médicaments en toute impunité. »

Touba, ville sainte de la confrérie des Mourides. Le syndicat appelle une nouvelle fois le gouvernement à réagir, et à criminaliser le trafic de faux médicaments.

La ruée vers l'or artisanal du Sahara et du Sahel (1)

Mineur dans une mine d'or artisanale au Sahel
Mineur dans une mine d'or artisanale au Sahel AFP

Depuis le début des années 2000, on assiste à un fort développement de l'orpaillage, autrement dit l’exploitation artisanale de l’or, au Sahara et au Sahel. Regard sur cette situation, en deux volets, avec pour commencer un entretien avec le géographe Géraud Magrin qui dresse un état des lieux des ruées vers l'or qui ont enflammé cette partie de l'Afrique.  

Géraud Magrin est professeur de géographie à l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et directeur de l'UMR Prodig (Pôle de recherche pour l'organisation et la diffusion de l'information géographique), spécialisé sur les activités extractives en Afrique et auteur d’articles parus dans Hérodote en 2019 sur les ruées vers l'or au Sahara Sahel et sur l’or en Mauritanie dans la revue l'Espace Politique en 2020. 

RFI : Géraud Magrin, l’Afrique connaît-elle une intensification de son exploitation aurifère ?

Géraud Magrin : Depuis le début des années 2000, l’Afrique connaît une nouvelle intensification de l’exploitation de son or, mais ce n’est qu’une nouvelle page d’une histoire très ancienne. Depuis l'époque romaine, l'exploitation de l'or a été le support de construction politique importante en Afrique de l'Ouest notamment par le royaume du Mali.  Des provinces anciennes de cet empire, qu'on appelait le Bambouk et le Bourré, situées à la frontière de la Guinée et du Mali, ont été d’importantes zones de production d'or depuis le Moyen-Âge. Le pays Akan, entre le Ghana et la Côte d'Ivoire, le pays Lobi entre le Burkina et la Côte d'Ivoire ont aussi produit de l'or depuis extrêmement longtemps, comme la vallée du Nil l’a fait depuis l'Antiquité. Dans ces régions, l’exploitation a été plus ou moins intermittente. Il y a eu des moments où elle a été très intense et d’autres où elle l’était moins, en fonction de l'évolution politique et du contexte économique global. D'une manière générale, avec la découverte du Nouveau Monde par les Européens à la fin 15e siècle, l’or africain a perdu de son poids géopolitique au niveau international. 

Or, depuis le début des années 2000, on assiste à un nouveau développement de l'activité aurifère sur le continent. A la suite des encouragements institutionnels de la Banque Mondiale dans le cadre de plans d'ajustement structurel, des codes miniers ont été refaits pour rendre plus attractif l'investissement industriel dans l'or et dans la même temporalité, on a vu une intensification de l'exploitation artisanale de l'or. En parallèle, l'augmentation du prix de l'or au niveau international a joué un rôle important. Les cours de l'or ont commencé à augmenter progressivement au début des années 2000 et puis vers 2005-2006 cette hausse s'est accélérée. Elle ne s'est pas ralentie avec la crise économique de 2008-2009 qui a pourtant touché beaucoup de matières premières, car l'or est apparu à ce moment-là comme une valeur refuge. Les cours sont restés très élevés, ils ont un petit peu baissé en 2011-2012 et puis en 2017, mais ils sont repartis à la hausse en 2018 et maintenant ils sont à des niveaux historiques très élevés. L’once d’or en 2004 était à 400 dollars, en juillet 2019 elle était à 2000 dollars. Donc ce haut niveau du cours de l'or au niveau mondial est un élément contextuel important pour expliquer l'intensification de l'exploitation de l'or. 

Plusieurs milliers de mineurs, venus de tout le Mali mais également des pays voisins, y cherchent de l’or en creusant des trous profonds dans le sol.
Plusieurs milliers de mineurs, venus de tout le Mali mais également des pays voisins, y cherchent de l’or en creusant des trous profonds dans le sol. RFI/David Baché

Peut-on parler de ruées vers l'or au Sahara et au Sahel ?

Il y a des endroits où l'exploitation de l'or était connue depuis longtemps et ne s’est jamais vraiment arrêtée, même s’il y a eu des périodes où cela avait ralenti comme au Burkina Faso, au Mali, en Guinée, en Côte d'Ivoire, au Ghana et dans le sud-est du Sénégal. Dans ces régions d’Afrique de l’Ouest, où il y avait une ancienne exploitation artisanale de l'or, celle-ci s'est intensifiée dans le contexte des années 2000. Donc on ne peut pas vraiment parler de ruée dans ce contexte-là, mais on a eu une augmentation parfois très importante avec l'apparition de nouveaux sites et l’arrivée de gens venus exploiter l'or. 

En revanche, on a davantage parlé de ruée vers l’or un peu plus au nord en Afrique sahélo-saharienne avec des déplacements massifs de populations venues exploiter l'or. Cela a commencé au Soudan vers 2008-2009, dans la vallée du Nil, entre le Soudan et l'Égypte, puis il y a eu des ruées vers l'or dans le Centre-Sud du Soudan et puis dans le Darfour. On a eu l'impression alors qu'il y avait une sorte de front non linéaire qui se déplaçait par zone géographique. Cela a commencé au Soudan, puis vers 2013 au Tibesti dans le nord du Tchad, à la frontière de la Libye, ensuite en 2014 au nord du Niger sur le plateau du Djado et dans le massif de l’Aïr. En 2016, on retrouve des ruées vers l'or dans le Tchad central vers le lac Fitri, en Mauritanie, entre Nouakchott et Nouadhibou et le long de la frontière avec le Sahara Occidental jusque dans la zone de Zouerate. Enfin, en 2018, de nouvelles ruées vers l’or apparaissent sur la frontière algérienne, au nord et nord-est du Mali dans la région de Kidal

Carte de l'orpaillage au Sahel et au Sahara
Carte de l'orpaillage au Sahel et au Sahara © HERODOTE

Dans toutes ces régions, le mécanisme est identique. Une nouvelle circule selon laquelle quelqu'un a trouvé de l'or quelque part. Souvent ce « quelqu'un » a été en lien avec des explorations géologiques qui ont été menées parfois pour le compte du gouvernement ou pour celui d'entreprises industrielles qui ont des permis de prospection. Il y a des cartes géologiques qui se sont affinées et des gens qui ont travaillé dans des bureaux d'études ou directement pour des entreprises minières parfois juste comme chauffeurs ou comme employés, sans forcément avoir des responsabilités particulières, qui vont jouer un rôle dans les découvertes par les populations des zones aurifères. Suite à cela, des exploitations artisanales apparaissent. Les plus importantes se structurent, mais vous avez aussi des ruées qui se déclenchent et au bout de quelques jours ou de quelques semaines, tout s’arrête. Certains sites vont fonctionner seulement quelques mois parce qu’on a trouvé plus intéressant ailleurs, ou parce que le gouvernement mène la vie dure aux orpailleurs, ou parce que les entreprises veulent les faire partir. On est donc avec ces exploitations artisanales dans une géographie extrêmement mouvante et instable, qui n’empêche pas, dans certains cas, des processus d’installation dans la durée et l’investissement dans des formes d’exploitation mobilisant des capitaux non négligeables.

Que représentent ces entreprises artisanales dans la région par rapport aux entreprises industrielles ?

Même si la ressource exploitée est la même, les réalités économiques, sociales et politiques sont très différentes. Des pays comme le Mali et le Burkina Faso ont chacun une dizaine de mines industrielles en production. En moyenne, sur chaque mine industrielle, il y a environ 2000 emplois, bien payés, mais cela ne représente que 20 000 emplois à l’échelle de pays de 15 à 18 millions d’habitants. À côté de cela, au Mali comme au Burkina, on estime qu’il y a 1,5 à 2 millions de personnes qui vivent de manière directe ou indirecte de l’exploitation artisanale de l’or. Le ratio en termes d’emplois est sans commune mesure. Par ailleurs, les mines industrielles fournissent des revenus aux entreprises, mais elles fournissent aussi des rentes aux États, qui peuvent représenter plus de la moitié des recettes budgétaires et de 60 à 80% des exportations, alors que la production des mines artisanales échappe, dans des proportions variables suivant les pays, au contrôle étatique. 

Au Soudan, la situation est très particulière. C’est un pays qui a une exploitation artisanale d’or très importante, encouragée par le gouvernement soudanais qui n’a pas pu se doter de mines industrielles, car le pays était sous embargo américain en lien avec les tensions géopolitiques qui remontent à la fin des années 1990. Alors que sa rente pétrolière promettait de diminuer en 2011 avec l’indépendance du Sud-Soudan, l’État a encouragé l’exploitation artisanale de l’or sous son contrôle. La production d’or au Soudan est très supérieure à celle du Mali et du Burkina Faso, de l’ordre de 70 tonnes d’or par an : c’est l’une des productions les plus importantes d’Afrique et elle est pratiquement entièrement réalisée de manière artisanale, ce qui inclut des petites mines et des processus d’extraction et de transformation largement mécanisés. 

En images
Le site de Koflatié se trouve dans le cercle de Kangaba, près de la frontière guinéenne, à environ 140 kilomètres de Bamako.
Le site de Koflatié se trouve dans le cercle de Kangaba, près de la frontière guinéenne, à environ 140 kilomètres de Bamako. © © RFI/David Baché

Comment expliquez-vous ce fort développement des exploitations artisanales depuis 20 ans?

Il y a eu tout d’abord le prix de l’or, mais il y a aussi l’évolution des techniques et leur accessibilité. De nombreux matériaux fabriqués en Asie arrivent en Afrique à un faible coût et rendent l'exploitation de l'or beaucoup plus rentable. Par exemple, l’arrivée de détecteur de métaux plus performants et moins coûteux a été un des facteurs qui a favorisé le développement de ruées vers l’or. Mais la récupération de paillettes d’or en surface étant assez vite épuisée, ce qui permet de fixer des sites plus importants, c’est l’exploitation de gisements filoniens en creusant des puits qui sont de plus en plus profonds. Aujourd’hui, il y a des puits qui sont creusés jusqu’à 100 mètres de profondeur grâce à des innovations en matière de coffrages (bois ou même ciment) pour leur permettre d’être plus solides et par l’usage de motopompes fabriquées en Inde ou en Chine qui permettent d’évacuer l’eau des puits et de les exploiter toute l’année. 

Le troisième grand facteur qui a contribué à ce développement, ce sont les conditions démographiques et socio-économiques. Dans cette partie de l’Afrique, on a une croissance démographique très forte avec un très grand nombre de jeunes qui arrivent sur le marché du travail. L’économie formelle et les systèmes agricoles sont incapables de fournir des horizons socio-économiques satisfaisants pour une grande partie de ces jeunes. C’est une donnée structurelle de base qu’il ne faut pas oublier. À l’échelle de l’Afrique, ce sont environ 22 millions de jeunes qui arrivent tous les ans sur le marché du travail, et dans des pays comme le Mali, le Niger et le Tchad, entre 300 et 400 000, ce qui est considérable.  

Un facteur aggravant dans les pays du Sahel réside dans la situation sécuritaire et politique, qui fait que certains secteurs comme par exemple le tourisme, qui fournissait des emplois précieux au Sahara et au Sahel pour un certain nombre de jeunes, ont quasiment disparu et donc perdu tous leurs emplois. Dans ce contexte-là, la recherche de l’or est une activité qui fournit un horizon, un espoir pour de très nombreuses personnes avec des profils extrêmement diversifiés.

L'orpaillage, l'extraction artisanale de l'or, est particulièrement vulnérable face aux groupes jihadistes au Sahel.
L'orpaillage, l'extraction artisanale de l'or, est particulièrement vulnérable face aux groupes jihadistes au Sahel. Universal Images Group Editorial via Getty Images

Ces exploitations artisanales sont-elles légales ou illégales ?  

Cette notion est toujours ambiguë. Le cas de la Mauritanie en est l’illustration. Dans ce pays, l'État a défini les conditions de l'exploitation artisanale. Donc, vous pouvez faire reconnaître un droit d’exploitation artisanale. Dans la réalité, seul un très faible nombre d'acteurs effectue la démarche, paye ce qu’il faudrait et se voit reconnaître un droit officiel d’exploiter du minerai. En dehors de ce cadre, l’exploitation est illégale. Pourtant, elle se déroule massivement dans une région au centre-ouest de la Mauritanie autour de la ville de Chami, qui a été organisée par l’État en site de transformation. Chami est une ville de fonctionnaires construite en 2012, située à mi-distance sur la route entre Nouadhibou et Nouakchott, pour des raisons sécuritaires et de quadrillage du territoire en plein désert. Des territoires à proximité de la petite ville ont connu en 2016 une ruée vers l’or et l’État s’est dit que c’était une bonne occasion pour donner corps à cette ville qui servait de base arrière pour ceux qui partaient exploiter l’or. Dans un rayon de 150km autour de la ville, une quarantaine de sites d’orpaillage sont répartis en 2 ou 3 zones principales. À Chami, l’État a encadré et organisé la transformation de l’or qui est alimentée notamment par tous les sites illégaux. Les entreprises qui bénéficient de permis industriels, notamment la mine de Taziast, tolèrent plus ou moins des orpailleurs sur leur territoire, en dehors des zones exploitées. La transformation de l’or artisanal, contrôlée par l’État sur le site de Chami, se fait en utilisant du mercure dans des conditions sanitaires et environnementales qui posent question, alors qu’on est à moins de 30 km à vol d’oiseau du Parc national du Banc d’Arguin, qui est l’un des grands pôles de biodiversité en Afrique de l’Ouest. Donc, la partie exploitation reste illégale, mais la partie transformation est légale. On est là dans un cas où l’État a une position ambiguë, car il voit bien l’intérêt de l’activité et il la tolère.

Au Niger, l’État a fermé les yeux sur les ruées vers l’or dans le Djado et dans l’Aïr, car même s’il se méfiait des orpailleurs qui sont souvent des gens armés, et tout en redoutant que que l’or ne finance les groupes armés, il a considéré que l’or restait une soupape sociale qui permettait à de nombreux jeunes de ne pas aller vers ces groupes armés et de trouver de quoi vivre autrement. 

Donc, la position des États est ambivalente. D’un côté, ils voient bien l’intérêt de cette activité, qui fonctionne comme un stabilisateur, une soupape socio-économique et politique. D’un autre côté, ils ont encore de faibles capacités institutionnelles pour contrôler effectivement une activité dispersée dans des territoires situés loin des centres nationaux, de surcroît dans des zones affectées par l’insécurité.

A lire aussi : Les circuits flous de l’orpaillage au Sahara et au Sahel (2)

Mali : Assimi Goïta peut-il rester au pouvoir ?

| Par 
Mis à jour le 12 mai 2021 à 17h3
Le vice-président malien Assimi Goïta aux funérailles d’Amadou Toumani Touré à Bamako, le 17 novembre 2020.

Le vice-président malien Assimi Goïta aux funérailles d'Amadou Toumani Touré à Bamako, le 17 novembre 2020. © MICHELE CATTANI/AFP

Le chef de la junte qui a renversé Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août 2020 demeure influent. Mais, ses proches l’assurent, il s’effacera à l’issue de la transition. Et ce malgré ceux qui l’appellent à participer à la présidentielle.

C’est un geste symbolique pour un anniversaire tout aussi symbolique. Le 20 janvier dernier, à l’occasion des 60 ans de la création de l’armée malienne, le colonel Assimi Goïta a procédé à la pose de la première pierre d’un hôpital militaire à Banankoro, près de Bamako. Coût du projet : 26 milliards de francs CFA (39,6 millions d’euros), financés par l’État. L’édifice devrait être livré dans deux ans. Il sera équipé notamment d’une zone d’atterrissage pour hélicoptère et permettra la prise en charge de blessés de guerre.

Pour cette cérémonie en grande pompe, le vice-président de la transition était entouré du Premier ministre, Moctar Ouane, du président du Conseil national de transition (CNT), le colonel Malick Diaw, de quelques ministres – dont celui de la Défense et des anciens Combattants, Sadio Camara –, et de représentants de la hiérarchie militaire.

En ce jour de fête pour les Forces armées maliennes (FAMa), Assimi Goïta a une pensée pour les soldats déployés sur le terrain. Jusqu’au 18 août, date à laquelle Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) a été renversé, Goïta était l’un d’eux. Il commandait le Bataillon autonome des forces spéciales et des centres d’aguerrissement (BAFS-CA) basé à Sofara, dans le centre du Mali. Après le putsch, il a été porté à la tête du Comité national pour le salut du peuple (CNSP).

Si celui-ci a depuis été dissous, ses membres occupent désormais des places de choix dans la gestion de la transition. Goïta lui-même en est devenu le vice-président chargé des questions de sécurité et de défense. Un poste taillé sur mesure quand, sous la pression de la Cedeao et d’une partie de l’opinion malienne, le CNSP s’est résolu à céder la direction de la transition à un civil.

Une énigme

Dix mois après son irruption sur le devant de la scène politique, le colonel demeure une énigme. Militaire et fils de militaire, pur produit des écoles militaires maliennes et passé par des centres de formation à l’étranger, Goïta, 38 ans, tient à rester discret. « Pour l’instant, il ne veut pas communiquer, glisse un membre de son entourage. Il se concentre sur ses dossiers. »

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EN TENUE DE COMBAT, LE VISAGE MASQUÉ ET L’ARME À LA CEINTURE, ASSIMI GOÏTA SE DÉPLACE TOUJOURS À BORD D’UN HUMMER

De fait, ses prises de parole sont rares. Est-ce parce que la gestion de la crise sécuritaire est l’un des chantiers prioritaires de la transition et qu’il se sait très attendu sur cette question ? Le plus souvent en tenue de combat, le visage masqué et l’arme à la ceinture, Assimi Goïta se déplace toujours à bord d’un Hummer. Sa sécurité rapprochée est assurée par des membres des forces spéciales, autrement dit par « ses » hommes.

Depuis les bureaux de la vice-présidence, également situés sur la « colline du pouvoir », à Koulouba, Goïta « pilote la réorganisation de l’armée », assure un membre du Conseil national de transition (CNT), proche du colonel. « Les unités de combat sont équipées d’armes lourdes. Il orchestre aussi l’acquisition de véhicules, de drones et d’avions au profit de l’armée, ajoute-t-il. Le programme d’action gouvernemental prévoit également de recruter 25 000 nouveaux militaires, dont 5 000 dans les prochaines semaines, afin de renforcer les capacités de l’armée. »

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LE PUTSCH A EU TRÈS PEU D’IMPACT SUR LA VIE QUOTIDIENNE DES SOLDATS

Les mois ont passé depuis la chute d’IBK, mais Goïta – que les spécialistes des questions sécuritaires qualifient volontiers d’ « anti-Sanogo » en référence à l’auteur du coup d’État qui a renversé Amadou Toumani Touré en 2012 – n’a pas vu son blason se ternir. Il conserve une bonne image au sein de la troupe.

« Du point de vue militaire, le putsch a eu très peu d’impact sur la vie quotidienne des soldats, analyse Marc-André Boisvert, chercheur indépendant sur les questions de défense et auteur d’une thèse sur l’armée malienne. Sur le terrain, il n’y a pas eu de trêve durant le coup d’État. Les choses ont continué comme s’il ne s’était rien passé. »

Pour le chercheur, s’il n’y a pas eu de grand changement dans le fonctionnement de l’armée, il y a cependant une différence dans la manière dont elle est perçue par l’opinion publique et dans sa communication. « Les FAMa ont souvent été accusées d’exactions au cours des dernières années, rappelle-t-il. Le gouvernement d’IBK a toujours géré la patate chaude en leur laissant un chèque en blanc tout en rassurant la communauté internationale en annonçant qu’il allait enquêter sur ces allégations. » À l’en croire, l’ex-junte se sent peu concernée par ces accusations et ne prend donc pas la peine d’y répondre.

« Il y a toutefois lieu de s’inquiéter quant à la cohésion interne de l’ex-CNSP, estime un connaisseur de la scène politique malienne. Une bagarre entre les militaires putschistes ne manquerait pas d’avoir des répercussions sur le pays ». « Pour l’heure, il y a quelques divergences de points de vue, mais pas de dissensions », assure un de leurs proches.

Bilan très critiqué

Le bilan sécuritaire des nouveaux maîtres du Mali est néanmoins très critiqué, notamment par les leaders du Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), qui ont manifesté pendant des mois pour réclamer la démission d’IBK en 2020. Dans les régions du centre, de plus en plus de villages tombent sous le joug de groupes qualifiés de terroristes et l’insécurité gagne désormais le sud du pays.

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LES NOMINATIONS DE HAUTS GRADÉS À DES POSTES DE GOUVERNEUR ONT DONNÉ LE SENTIMENT QUE L’ARMÉE S’ACCAPARAIT LES LEVIERS DU POUVOIR

« Les officiers se font nommer dans des bureaux climatisés et restent dans les centres urbains au lieu d’aider à récupérer l’intégrité du territoire », regrette Ibrahima Ikassa Maïga, coordinateur national du M5-RFP. Les nominations de hauts gradés à des postes de gouverneur puis de directeur d’institution publique ont en effet donné le sentiment que l’armée, déjà influente dans le gouvernement et le CNT, s’accaparait les leviers du pouvoir.

Une crainte renforcée par le fait qu’en l’absence d’un organe unique de gestion des élections, les scrutins sont organisés par le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MATD), que dirige le lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga et que les gouverneurs représentent dans les régions.

Candidat ou pas ?

Assimi Goïta serait-il en train de mettre en place un système destiné à le maintenir au pouvoir ? Depuis quelques semaines, Issa Kaou Djim, le quatrième vice-président du CNT, le presse de se porter candidat à la présidentielle prévue en février 2022. « L’imperturbable patriote Assimi Goïta sera le candidat du peuple en 2022, a-t-il lancé début mars. Nous pensons qu’il n’y a pas d’autre choix, car il faut arrêter les politiciens de 1991. »

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ASSIMI GOÏTA N’A AUCUN INTÉRÊT À RESTER AU POUVOIR

Si le colonel ne s’est jamais officiellement exprimé sur la question, son entourage confie que les sorties d’Issa Kaou Djim, qui est aussi l’ancien porte-parole de l’imam Mahmoud Dicko, l’agacent. « Cela ne lui plaît pas du tout, affirme un de ses visiteurs réguliers. Sa candidature n’est pas prévue par la loi et Assimi Goïta n’est pas un homme qui viole la loi. »

« Cet appel à se présenter n’est pas sérieux. Il est porté par une personne qui n’a, de surcroît, aucune crédibilité, renchérit un ministre. La priorité pour nous, c’est la sécurité, l’organisation des élections, la réconciliation des Maliens et la refondation de la nation. »

« Assimi Goïta n’a aucun intérêt à rester au pouvoir, car les institutions internationales ne le lui permettraient pas », abonde Mohamed Amara, sociologue à l’Université des lettres et sciences humaines de Bamako. Il est vrai que la charte de la transition n’autorise pas les acteurs de premier plan à se présenter en 2022.

« Si, au début de la transition, il était présenté comme un novice dans la gestion de la chose publique, il a depuis découvert le marigot politique », ajoute Amara, qui explique que la défiance entre militaires et classe politique s’est renforcée au fil des mois et que Goïta ne semble pas chercher à nouer une alliance avec quelque parti que ce soit. « Je ne suis pas de ceux qui croient que Goïta veut se présenter aux élections », ajoute un diplomate ouest-africain basé à Bamako.

Une vision à long terme

« Les putschistes ont maintenant compris comment fonctionnaient les choses et ils savent qu’à court terme, ils ne peuvent pas garder le pouvoir, analyse Marc-André Boisvert. Si un chef de junte veut réussir sa propre transition, il doit trouver un chemin discret vers l’extérieur pour ne pas finir comme Dadis Camara, Amadou Haya Sanogo ou n’importe quel autre putschiste ces vingt dernières années. Goïta est quelqu’un d’extrêmement intelligent. Je pense qu’il veut effectivement se retirer comme l’assurent plusieurs membres de son entourage. Après, va-t-il rester dans les FAMa ? Ou va-t-il occuper quelques postes à l’étranger pour revenir dans une dizaine d’années dans l’arène politique ? Le temps nous le dira. »

La nuance est importante : si tous s’accordent à dire que le jeune colonel n’a pas l’intention de se lancer dans la course à Koulouba lors de la prochaine élection, aucun n’écarte la possibilité d’un retour sur le devant de la scène dans quelques années, comme l’avait en son temps fait ATT. À en croire l’un des proches de Goïta, l’ancien président est d’ailleurs l’un de ses modèles.  Et d’ici là, il sera intéressant de voir s’il apporte son appui à un acteur politique. Nul doute que le soutien du vice-président de la transition sera déterminant pour remporter le scrutin, tout comme le sera celui des religieux. Les candidats en sont conscients et le courtisent déjà.