Mali, Burkina, Niger… Pour Air France, la fin de l’âge d’or ?

En quittant précipitamment Bamako, la compagnie française s’est attiré les foudres des autorités locales. Alors que les dessertes de plusieurs destinations africaines sont suspendues, les concurrents sont déjà en embuscade.

Mis à jour le 1 septembre 2023 à 17:33
 
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Un Airbus A320 d’Air France au départ de l’aéroport parisien Roissy-Charles-de-Gaulle, le 27 octobre 2015. © Christian Hartmann/REUTERS

 

 

Plus de 10 000 sièges proposés en août 2022, moins de 5 000 l’année suivante. Pour Air France, la suspension des vols entre Paris et Bamako, en vigueur depuis le 7 août, est loin d’être indolore. Et pour cause : après Abidjan et Dakar, la capitale malienne était, à l’été 2022, la 3e destination d’Afrique subsaharienne (si l’on excepte la ville française de Saint-Denis), en matière de capacité, selon le fournisseur de données aériennes OAG.

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Si Niamey et Ouagadougou sont loin derrière, avec une offre de 4 000 sièges pour chacune des deux destinations en août 2022, l’arrêt brutal de leurs dessertes par la compagnie française, depuis le 27 juillet pour la première et le 7 août pour la seconde, n’en signifie pas moins la perte cumulée de plusieurs milliers de sièges, représentant au moins 3 millions d’euros de manque à gagner, selon nos estimations. Ajouter le Mali à ce calcul revient, à peu de chose près, à doubler la facture.

Concurrents en embuscade

D’un point de vue purement économique, Air France n’avait donc aucun intérêt à suspendre ses opérations dans les trois pays. La décision du ministère français des Affaires étrangères de placer ces derniers, à compter du 7 août, en vigilance rouge (« zones formellement déconseillées »), n’a pas laissé le choix à la compagnie, qui a opté pour la sécurité et rapatrié son personnel. Au moins jusqu’au 10 septembre, pour le Mali et le Burkina Faso, et « jusqu’à nouvel ordre », pour le Niger, nous confirme la compagnie qui assume « avoir suivi les recommandations officielles ».

Cette résolution – brutale, la décision du Quai d’Orsay ayant été prise un dimanche, à la veille de son entrée en vigueur – n’a pas été du goût des autorités maliennes, déjà en froid avec la France, selon lesquelles la compagnie française a commis un « manquement notoire » aux termes de son autorisation d’exploitation.

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« Ce manquement entraîne l’annulation de votre autorisation d’exploitation de vols », a signifié à Air France l’Agence malienne de l’aviation civile. Une procédure que la compagnie française s’efforce de relativiser : « Nous devrons soumettre une nouvelle demande d’autorisation lorsque nous reprendrons les vols, c’est une procédure normale », indique Air France, qui s’efforce, selon nos informations, de renouer le contact avec Bamako. Car l’agence malienne prévient aussi que les créneaux d’Air France « pourraient être accordé[s] à une autre compagnie qui le[s] solliciterait ».

Une compagnie nationale malienne ?

Et si la création d’une compagnie nationale en partenariat avec la Russie, évoquée par Assimi Goïta dans la foulée du sommet Russie-Afrique, reste encore un vœu pieux, d’autres candidatures, bien plus concrètes, sont dans les tuyaux.

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Parmi les compagnies installées dans la sous-région, Air Sénégal, par exemple, dispose d’une flotte d’A330 qui pourrait lui permettre de mener ce genre d’opérations. « Comme toute entreprise, nous évaluons en permanence le marché et les possibles nouvelles routes », indique à Jeune Afrique une source proche de la compagnie, qui ne souhaite ni confirmer ni infirmer son intérêt pour la ligne en question.

Corsair, qui exploite une ligne estivale Paris-Bamako sur les droits de trafic maliens, n’a pas interrompu ses vols en dépit des recommandations du ministère français des Affaires étrangères. Et alors que son planning initial de trois vols par semaine – qu’elle effectue avec un A340-300 et un équipage loués pour l’occasion – devait s’arrêter le 28 septembre, elle envisage d’opérer quatre fréquences hebdomadaires à compter du 2 octobre, cette fois avec sa propre flotte A330, précise-t-elle à Jeune Afrique.

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D’un point de vue juridique, « chaque État est souverain sur son espace aérien et a le droit d’accorder l’autorisation ou non à une compagnie aérienne », explique le spécialiste du droit aérien international Hamadi Gatta Wagué, contacté par Jeune Afrique. « Dans le domaine aérien, le bilatéralisme est privilégié, mais les accords sont souvent confidentiels », précise le doctorant en droit aérien Bassirou Koumé, selon lequel ces accords « peuvent être remis en question à tout moment ».

14 % du chiffre d’affaires

Cette crispation marque un tournant dans les relations entre le Mali et la compagnie française, qui a fêté, en 2017, les 80 ans de la ligne Bamako-Paris. « Peu importe les événements qui ont pu survenir, conflits ou situations sécuritaires mouvementées, nous n’avons jamais interrompu notre desserte et continuerons à être fidèles à cette destination », assurait alors à Jeune Afrique son directeur général, Franck Terner. Tout au plus, la compagnie s’était adaptée en réduisant momentanément ses fréquences et en n’hébergeant plus son personnel navigant sur place, par mesure de sécurité.

Et si une interruption forcée a tout de même dû être opérée pendant la pandémie de Covid, l’Afrique subsaharienne a été, pour la compagnie, l’une des régions les plus résilientes dans la période qui a suivi, représentant en 2021 près de 18 % de son chiffre d’affaires réseau – un chiffre retombé à 14 % en 2022, lorsque d’autres destinations, notamment en Asie, ont commencé à reprendre des couleurs.

La crise semble moins profonde au Burkina Faso – dont les autorités n’ont pas fait de telles déclarations. Quant au Niger, la situation y est encore confuse. Libreville, fermée depuis le 30 août à la suite du putsch gabonais, est aussi une destination importante pour Air France, qui offrait près de 9 000 sièges en vol direct pour la destination, en août 2022. Mais la suspension, pour l’instant jugée temporaire, y est de ce fait moins préoccupante : la compagnie française envisage sérieusement la reprise de ses opérations dès le petit matin du 3 septembre.