Ouattara, Gbagbo, Bédié… Les locales, tour de chauffe avant la présidentielle

Derniers scrutins avant la course à la magistrature suprême de 2025, les élections régionales et municipales du 2 septembre prochain représentent un test majeur pour les partis politiques. Et pour tous les Ivoiriens.

Mis à jour le 31 mai 2023 à 08:02
 
 

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Photo de famille avec les membres du Parlement réunis en Congrès, le 25 avril 2023, à Abidjan. Autour d’Alassane et Dominique Ouattara : Jeannot Ahoussou Kouadio, président du Sénat, et Adama Bictogo, président de l’Assemblée nationale (à g.), et Tiémoko Meyliet Koné, vice-président du pays (d.). © ISSOUF SANOGO/AFP

 

 

La campagne électorale n’est pas encore officiellement ouverte en Côte d’Ivoire, pourtant tous les ingrédients en sont déjà réunis. Sur le terrain, les alliances se font et se défont, des rapprochements se précisent, les dons aux plus démunis et les cadeaux aux associations locales se multiplient, des concerts pour les jeunes s’organisent, les promesses s’entrechoquent… Et les appétits politiques s’aiguisent.

Le 2 septembre, des millions d’Ivoiriens seront appelés à renouveler leurs représentants locaux dans le cadre d’élections régionales et municipales couplées. Un tour de chauffe pour les partis, à deux ans de la prochaine course à la magistrature suprême, prévue en 2025.

Qui contrôlera les mairies et les conseils régionaux ? En 2018, le camp présidentiel s’était imposé dans 18 régions sur 31 et avait raflé 92 mairies sur 201. Cette année, sa stratégie, planifiée bien en amont de celles de ses concurrents, tient en quelques mots : étendre un peu plus son maillage territorial et confirmer son hégémonie. Nombreux sont les observateurs qui parient sur une nouvelle percée de la majorité, face à une opposition qui peine, pour l’heure, à se rassembler, malgré des tractations visant à aboutir, dans certaines circonscriptions, à des listes communes.

Grande offensive du RHDP

Le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir) a dévoilé les noms de ses candidats le 20 avril. Mais, dès novembre 2022, le camp présidentiel s’était positionné dans les régions et dans les plus grandes villes du pays, s’octroyant une avance sur ses concurrents.

Ainsi, depuis plus de six mois, Adama Bictogo, le président de l’Assemblée nationale, fait activement campagne dans les dédales de Yopougon, immense et précaire commune de 1,5 million d’habitants dans l’ouest d’Abidjan, acquise à la majorité depuis 2013, mais où la liste commune du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, de l’ex-président Henri Konan Bédié) et de la plateforme Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS, pro-Gbagbo) s’était imposée lors des législatives de mars 2021. Le député d’Agboville y déploie des moyens importants et fait tourner à plein régime ses réseaux. Dernier coup d’éclat : la visite à « Yop » de la star congolaise Koffi Olomidé, en avril.

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Alassane Ouattara sera, on le sait, très vigilant quant aux résultats de ces scrutins locaux. Il s’est personnellement impliqué dans le choix des candidats, réclamant la mobilisation de tous les poids lourds de la majorité.

Ainsi, le Premier ministre, Patrick Achi, brigue à nouveau la tête du conseil régional de La Mé (Sud-Ouest), qu’il dirige depuis bientôt dix ans. Son épouse, Florence Achi, est candidate pour la première fois à Adzopé, chef-lieu de la région et village de son époux.

Une dizaine de ministres sont sur la ligne de départ, à l’instar de Téné Birahima Ouattara, ministre de la Défense et frère cadet du président, dans la région du Tchologo (Nord), de Kobenan Kouassi Adjoumani, ministre de l’Agriculture, dans le Gontougo (Nord-Est), d’Anne Désirée Ouloto, ministre de la Fonction publique, dans le Cavally (Ouest), ou encore de Mamadou Touré, ministre de la Promotion de la jeunesse, porte-parole adjoint du RHDP, candidat dans le Haut-Sassandra (Centre-Ouest).

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Le chef de l’État déploie aussi les membres de son cabinet. Fidèle Sarassoro, son directeur de cabinet depuis 2017, est en lice dans la région du Poro (Nord) – jusqu’à présent dirigée par un doyen du RHDP, Coulibaly Tiémoko Yadé, 82 ans –, tandis qu’Éric Taba, chef du protocole de la présidence, se présente dans la commune abidjanaise de Cocody.

Ralliements opportuns

Le RHDP fait feu de tout bois pour empêcher les candidatures indépendantes et peut compter sur les ralliements d’élus locaux. En novembre 2022, Bonaventure Kalou, ex-attaquant du Paris-Saint-Germain (PSG), élu en 2018 en tant qu’indépendant à Vavoua – une commune de plus de 500 000 habitants du centre du pays, très pauvre et dépourvue de toute infrastructure de base –, annonçait rejoindre la majorité.

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Un mois plus tard, Richard Yara, conseiller régional dans la Nawa (Sud-Ouest) et membre du bureau politique du PDCI, et Raymond Yapi N’Dohi, ancien maire de Koumassi, prenaient le même chemin. Ils seront suivis par N’Cho Acho Albert, le maire d’Agboville, Narcisse N’Dri, l’ancien directeur de cabinet d’Henri Konan Bédié, Kouamé Kouakou Lacina, ancien maire de la commune de Bocanda (Centre), ou encore Zézé Souassou Nicole Gohourou, élue maire en indépendante à Guibéroua (Centre-Ouest) la ville natale de Charles Blé Goudé.

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Cette dernière qualifiait ce virage de « logique pour améliorer les conditions de vie des populations ». Bitumage des routes, travaux de voirie, etc., les élus locaux le savent, mieux vaut se rapprocher de l’appareil d’État pour bénéficier de ses moyens. Une expression a même été popularisée par un député, lui-même transfuge : « aller au restaurant ».

Le PPA-CI à l’épreuve du terrain

À la grande question « qui pèse quoi aujourd’hui ? » répondront les résultats du Parti des peuples africains de Côte d’Ivoire (PPA-CI), de Laurent Gbagbo, particulièrement attendus. L’ancien président ivoirien a mis sur pied cette formation « panafricaniste et souverainiste » en 2021, à son retour en Côte d’Ivoire, après son acquittement définitif par la Cour pénale internationale (CPI) alors qu’il était inculpé pour crimes contre l’humanité durant la crise postélectorale de 2010-2011.

Exit le Front populaire ivoirien (FPI), laissé à Pascal Affi N’Guessan après des années de bras de fer juridique. Le PPA-CI, nouvel instrument politique de Gbagbo, prépare son baptême du feu. Il tentera de se faire une place dans 22 des 31 régions du pays et dans 129 communes sur 201.

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Aux régionales, à l’exception du Poro, à la frontière malienne, où le parti présente Seydou Soro, alias « Soro Coton » (président du conseil d’administration de l’Intercoton sous Laurent Gbagbo), le PPA-CI évite le nord du pays. Dans ce septentrion traditionnellement acquis au camp présidentiel, le PPA-CI le sait, ses chances de victoire sont extrêmement minces. Mais ce n’est pas la raison qui aurait poussé sa direction à concentrer ses efforts dans la moitié sud du pays.

Justin Koné Katinan, le porte-parole du parti, avance « la fracture sociopolitique […] encore forte » en Côte d’Ivoire et accuse les autorités d’« institutionnalisation de la violence comme mode de conservation du pouvoir », ce qui empêche son déploiement dans le Nord.

Plus au sud donc, elle a choisi Stéphane Kipré, vice-président exécutif du parti, chargé de l’implantation, et ex-gendre de Gbagbo, pour ferrailler dans le Haut-Sassandra. Le député Hubert Oulaye, président exécutif du PPA-CI, se positionne pour sa part dans le Cavally. Quant à Assoa Adou, compagnon de route historique de Gbagbo et président du conseil stratégique du parti (CSP), il se lance dans l’Indénié-Djuablin (Sud-Est).

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Dans la région voisine du Sud-Comoé, Georges Armand Ouégnin, également membre du CSP, fera face au président de région sortant, Aka Aouélé, qui préside aussi le Conseil économique, social, environnemental et culturel. L’ancien ministre de Gbagbo Sébastien Djédjé Dano, lui, est attendu dans le Gôh (Sud).

 

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Le député Michel Gbagbo, candidat désigné par le PPA-CI pour défendre ses couleurs dans l’immense commune abidjanaise de Yopougon, où il affrontera Adama Bictogo, le président de l’Assemblée, qui y mène campagne pour le RHDP. © ISSOUF SANOGO/AFP

Sans surprise, à Yopougon, Michel Gbagbo, député et fils de l’ancien président a été choisi pour affronter Adama Bictogo. Il pourrait bénéficier d’un accord avec le PDCI, qui y présente le député Dia Houphouët Augustin Yohou. C’est à « Yop », considéré comme l’un de ses fiefs, que le septuagénaire Laurent Gbagbo a tenu un grand meeting le 31 mars dernier, dans le cadre de sa « fête de la renaissance ». L’occasion pour le Woody, relativement discret depuis son retour à Abidjan, de rassurer ses partisans « sur son envie et sa volonté de faire du PPA-CI le principal parti d’opposition et sur sa détermination en vue des prochaines élections locales », avait alors confié Katinan.

Où en est le PDCI ?

Du côté du PDCI, de longues tractations ont finalement accouché des noms de 27 candidats aux régionales, parmi lesquels l’ex-secrétaire général du parti, Alphonse Mady Djédjé, dans le Haut-Sassandra, et Simon Doho, président du groupe parlementaire du parti, dans le Guémon (Ouest) .

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Dans la capitale, Yamoussoukro, le parti a finalement désigné Patrice Kouamé Kouassi, au détriment du maire sortant, Jean Kouacou Gnrangbé Kouadio, édile depuis une vingtaine d’années et qui souhaitait se représenter. Il affrontera, côté majorité, Souleymane Diarrassouba, le ministre de l’Industrie et du Commerce.

À Grand-Bassam, Linda Diplo représentera l’ancien parti unique, malgré le soutien exprimé par la base à Georges-Philippe Ezaley, secrétaire exécutif en chef adjoint de Bédié. Enfin, dans la commune abidjanaise de Cocody, le PDCI a désigné le maire sortant, Jean-Marc Yacé. Quant à la députée de la commune, Yasmina Ouégnin, qui convoite ce mandat, elle a déjà fait savoir qu’elle se présenterait, mais en indépendante : un coup dur pour le parti, qui, comme le RHDP, tente à tout prix de limiter l’éparpillement des voix.

Le FPI, partenaire particulier du RHDP

Après des mois de négociations, le FPI, dirigé par Pascal Affi N’Guessan, s’est pour sa part entendu avec le RHDP sur « un accord de partenariat » pour « la réconciliation nationale, la cohésion sociale et la démocratie ». À Cocody, son candidat, Issiaka Sangaré, secrétaire général du parti, a d’ores et déjà fait part de son soutien au RHDP.

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Le camp présidentiel n’a cependant pas manqué d’aligner des candidats dans le Moronou (Centre-Est), l’unique région acquise au FPI. Et c’est Mathias Ahondjon N’Guessan qui a été désigné pour y affronter Pascal Affi N’Guessan, candidat à sa réélection. Le FPI sera cependant dans la course sur l’ensemble du territoire, sans cacher le manque de moyens financiers dont pâtiront ses candidats pour faire campagne.