Au Sénégal, le lac Rose vire au vert

Célèbre attraction touristique située à quelques kilomètres de Dakar, le lac Retba a perdu son emblématique couleur. Et c’est désormais tout son écosystème, confronté à la montée des eaux, qui se voit menacé. Reportage.

Par  - à Dakar
Mis à jour le 29 avril 2023 à 11:54
 
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Pendant le dernier hivernage, les eaux de pluies ont été redirigées vers le lac Rose, et cet excès d’eau a déséquilibré son écosystème. Depuis, il ne produit plus de sel et a perdu son aspect rose, privant le secteur du tourisme et l’industrie du sel, employant 1500 personnes, de leurs revenus. À Keur Massar, le 6 avril 2023. © Sylvain Cherkaoui pour JA

 

Les derniers sacs viennent d’être chargés dans le mototaxi. Une dizaine de sacs de sel de 23 kg, que Daouda K. espère vendre 2 500 F CFA dans les communes environnantes. Auparavant, ces sacs s’échangeaient à 600 F CFA, 800 F CFA maximum. Mais, rareté oblige, les prix ont flambé ces derniers mois. Et pour cause : cette cargaison de sel, que l’exploitant malien regarde partir avec un air anxieux, est sans doute l’une des dernières qu’il pourra vendre cette année.

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« C’est tout ce qu’il nous reste, soupire-t-il en désignant les quelques sacs encore posés sur la berge. Dans le lac, il n’y a plus rien. » Comme beaucoup des quelque 1 500 saliculteurs, souvent originaires du Mali ou de la Guinée, qui vivaient jusqu’à présent de l’exploitation du sel du lac Rose, Daouda K. ira sans doute rapidement chercher du travail ailleurs. Dans les marais salants de Kaolack, peut-être ? Ici, le Malien ne peut plus travailler. À quelques mètres de là, deux travailleurs récoltent à la pioche des coquillages auxquels s’accrochent des résidus de sel. Ils seront ensuite vendus aux éleveurs de poules.

Crise du tourisme

L’exploitation de sel du lac, qui n’a plus de rose que le nom, est complètement à l’arrêt depuis que les inondations de l’hivernage dernier ont fait drastiquement augmenter son niveau, passé de 3 à 6 mètres. Cette montée a diminué la teneur des eaux en sel et rend désormais impossible la saliculture. Or c’est cette forte concentration – qui en faisait l’une des étendues d’eau les plus salées au monde, avec plus de 350 grammes par litre – et la présence d’algues et de micro-organismes qui donnaient au lac sa couleur. Situé en bordure de l’océan Atlantique et à une quarantaine de kilomètres de Dakar, le lac Rose était jusqu’il y a peu une destination prisée des voyageurs.

De la belle surface rosée qui en faisait l’une des principales attractions touristiques de la région, le lac Retba est passé à une teinte verdâtre peu engageante. Sur ses rives, des pirogues en bois, qui servaient auparavant à récolter le sel ou à promener les touristes, restent échouées sur la rive, inutilisées.

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En cette matinée d’avril, les promeneurs sont rares aux abords de l’eau et dans les échoppes du marché artisanal. Au-delà de l’exploitation du sel, l’attractivité du lac Rose faisait vivre tout une commune : guides touristiques, artisans, hôteliers… Dont l’activité a aujourd’hui ralenti. « La beauté du lieu attirait les touristes, qui s’intéressaient aussi à la façon dont les exploitants travaillaient et à la tradition de récolte », explique Amadou Bocoum Diouf, le gérant d’un campement de la zone.

Si son hôtel a été préservé, d’autres établissements, construits près du lac, ont été engloutis par les eaux. Certains ont été obligés de fermer. Les gérants de ceux qui sont encore debout décrivent une situation difficile, dans un contexte de crise nationale du tourisme, liée notamment au Covid-19. « C’est catastrophique. La clientèle, étrangère notamment, a fortement diminué, déplore Daba Gaillard, propriétaire d’un hôtel situé non loin des rives du lac. On se rend compte que les tours-opérateurs ont retiré le site de leurs circuits depuis la disparition du rose. »

Eaux toxiques ?

À quelques dizaines de mètres du rivage, Ibrahima Ndiaye tend le bras. « C’est ici que la brèche s’est étendue, explique le président de l’association Aarr lac Rose (« protéger le lac Rose »). Les eaux qui se déversent là sont pompées par le plan Orsec » – un plan national lancé par Dakar pour aider les populations à faire face aux inondations de 2022. Les habitants reprochent aux autorités de réorienter vers le lac, sous la pression de l’urbanisation galopante dans la région, les eaux des communes environnantes inondées, telles Keur Massar, Bambilor ou Sangalkam.

ILS CHERCHENT À UTILISER LE LAC COMME UNE SOLUTION À LEURS PROBLÈMES ET À EN FAIRE UN BASSIN DE RÉTENTION

« Depuis l’hivernage dernier, elles font en sorte que les eaux pluviales soient redirigées ici. Elles cherchent à utiliser le lac comme une solution à leurs problèmes et à en faire un bassin de rétention », dénonce Ibrahima Ndiaye. Pourtant, les autorités ont bien pris en compte les difficultés auxquelles la zone se retrouve confrontée. En octobre dernier, le président Macky Sall instruisait ses ministres de présenter un « rapport circonstancié sur la situation actuelle du lac Retba en vue de la préservation des écosystèmes et des activités économiques autour de ce site naturel classé ».

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Quelques semaines plus tard, le ministre de l’Eau, Serigne Mbaye Thiam, et le ministre de l’Environnement, Alioune Ndoye, se rendaient sur place et mettaient sur pied un comité régional de développement consacré à la sauvegarde de l’écosystème du lac Rose. Des prélèvements ont été réalisés par des experts, mais leurs conclusions n’ont pas encore été rendues publiques. Contactés par Jeune Afrique, les deux ministres n’ont pas donné suite à nos sollicitations.

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Faute de sel, les collecteurs ramassent les coquillages afin d'en faire un supplément alimentaire pour volaille. Cela fragilise le sol et affecte la pérennité du lac Rose. © Sylvain Cherkaoui pour JA



De quoi inquiéter Ibrahima Ndiaye, en dépit des efforts réalisés par les habitants de la zone, qui pompent l’eau du lac et la déversent dans la forêt. À proximité du site, la société Socabeg bâtit une cité pour les habitants dont le logement se trouve sur le trajet du TER en construction. Sur le chantier que Jeune Afrique a pu visiter, des tranchées de canalisation se dirigent clairement vers la brèche qui donne directement sur le lac. Le déversement de ces eaux usées constituerait un désastre écologique. Sollicité par JA, le maire de la commune de Tivavouane Peulh, à laquelle le lac Rose est rattaché, n’a pas répondu.

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« Nous avons des solutions pour alimenter le lac naturellement. Arrêter le drainage, trouver une source d’alimentation : la mer ou des bassins versants naturels », éclaire toutefois Mansour Gaye, un militant écologiste qui se mobilise aux côtés des habitants. « Pourquoi ne pas en faire une aire marine protégée, comme c’est le cas de la lagune de la Somone ? Il faut prendre la question au sérieux et mettre en place une gestion durable de notre patrimoine commun. » Amadou Bocoum Diouf renchérit : « Le lac Rose, c’est un site qui vend bien le Sénégal. Mais à force de négligence, on risque fort de le perdre. »