Aïssa Maïga: au Niger, «le mode de vie des nomades entravé par la question de l’eau»

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Dakar accueille à partir de ce lundi 21 mars le 9e forum mondial de l’eau. Ce rendez-vous sera l’occasion de débattre de thèmes comme la sécurité dans l’accès à l’eau, l’assainissement, ou l’importance de l’eau dans le développement rural. Ces derniers mois, un documentaire - Marcher sur l’eau, réalisé par la comédienne Aïssa Maïga- a illustré à quel point les difficultés d’accès à l’eau pesaient sur les communautés villageoises. Le film, tourné pendant plusieurs mois dans un village du Niger, Tatiste dans la région de Tahoua, donne la parole à ses habitants. Aïssa Maïga est notre invitée Afrique.

RFI : Ce qui frappe quand on découvre avec vous le village de Tatiste, c’est de voir à quel point ce village est victime dans son quotidien du changement climatique. « Notre monde a subi un bouleversement, les temps qu’on connaissait sont révolus », explique d’entrée de jeu le chef de village Biguel Boulessey.

Aïssa Maïga : Tout à fait. C’est une des choses qui m’a vraiment frappé, c’est l’idée que le réchauffement climatique a complètement transformé le rythme des pluies, et donc l’accès à l’eau en une ou deux générations. Le mode de vie d’une population nomade, les Peuls Wodaabe, se retrouvent absolument entravés avec la question de l’eau qui est entêtante et avec une sédentarisation forcée qui ne permet pas non plus de faire face à tous les problèmes liés au manque d’eau.

Très concrètement explique le chef de village, il n’y a plus autant de marigots qu’avant, maintenant il ne reste plus que l’eau des puits, et le puits est vraiment un lieu essentiel…

Oui, le puits est l’endroit où se réunissent des centaines de personnes tous les jours, et c’est également l’endroit où on peut puiser cette eau avec l’aide des ânes qui sont attachés à trois ou quatre, en plus de la force humaine, pour soulever l’eau. Elle est tellement profondément enfouie que c’est vraiment une épreuve de force, et il arrive aussi que les hommes, qui sont en état de le faire, restent toute la journée au puits. Non pas parce qu’ils ont besoin de le faire pour eux, mais parce qu’il y a tout au long de la journée certaines femmes qui ne sont pas accompagnées d’hommes, des enfants qui viennent là qui sont sans adultes. Et il y a une solidarité qui s’organise autour du puits parce que sans cette solidarité-là les gens ne s’en sortent pas tout simplement. 

On en arrive à une conséquence très concrète des problèmes d’accès à l’eau visible dans votre documentaire, c’est que la recherche de l’eau c’est une activité qui prend du temps, beaucoup de temps…

Oui, c’est chronophage, et on le ressent dans la vie des enfants également. Dans un village comme Tatiste, il y a une école. Les parents se mobilisent pour que leurs enfants soient scolarisés, mais quand dans une journée, les parents vont au puits et qu’ensuite le père doit aller s’occuper du bétail et que la mère elle doit s’occuper du repas, il arrive évidemment qu’on demande aux enfants de prendre le relai. Donc ces enfants qui sont dans ces salles de classe sont amenés au cours de la matinée, ou au cours de l’après-midi, à devoir quitter la classe pour participer à la corvée familiale. Et donc vous pouvez imaginer ce que ça donne dans une classe, c’est une déperdition d’énergie qui est absolument faramineuse et c’est un absentéisme forcé.

Les enfants donc quittent la salle de cours, mais les adultes aussi sont amenés à s’éloigner de plus en plus du village. L’un des habitants de Tatiste l’explique d’ailleurs dans votre caméra, « le manque d’eau en a fait partir beaucoup c’est pourquoi nous sommes si peu nombreux à Tatiste ».

Alors, c’est toute la structure familiale qui explose en raison du manque d’eau. Pour sauver le cheptel, les hommes vont partir seuls, sans leur famille parce que pour trouver des terres sur lesquelles il y a de quoi nourrir les bêtes, il faut aller de plus en plus loin. Et les mères, les femmes, partent dans les capitales des pays voisins, elles partent en petits groupes, elles essayent de ne pas voyager seules, et elles atteignent la capitale du Nigeria, du Togo, du Benin, ou ailleurs pour faire des petits boulots. Dans ce contexte, les enfants, les jeunes restent au village et il n’est absolument pas rare qu’une jeune fille soit à la tête de sa famille comme c’est le cas de Houlaye dans le film qui doit s’occuper de sa fratrie en l’absence de ses parents. Et ça, c’est quelque chose qu’on n’imagine pas forcément que le réchauffement climatique et le manque d’eau qu’il génère dans certains endroits a ce genre de conséquences sur la structure familiale et sur l’existence quotidienne de ces familles.