Côte d’Ivoire : les dessous de la rencontre entre Charles Blé Goudé et Guillaume Soro

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Guillaume Soro et Charles Blé Goudé lors de leur rencontre à La Haye, le dimance 24 novembre 2019.

Charles Blé Goudé et Guillaume Soro se sont rencontrés à La Haye, dimanche. Les deux hommes, jadis liés par leur engagement syndical, ne s’étaient plus revus depuis 2010. Leur rencontre, qui sonne leur réconciliation, a été minutieusement préparée.

Un protocole minutieux, un accueil chaleureux. Charles Blé Goudé a mis les petits plats dans les grands pour recevoir Guillaume Soro, dimanche à La Haye. Quand Soro, accompagné de l’ex-ministre Affoussiata Bamba-Lamine et guidée par Youssouf Diaby, directeur de cabinet de Blé Goudé, se jette dans les bras de son ancien bras droit à la Fédération estudiantine et scolaire (Fesci), il lâche, furtivement, une petite phrase : « Des gens  vont mourir aujourd’hui ». Une allusion tout autant destinée aux détracteurs de la rencontre qu’aux partisans des deux hommes, mus par l’émotion.

Les hésitations de Soro

La photo des deux hommes posant fièrement côte à côte et arborant de larges sourires, qui se veut le symbole d’une réconciliation entre des ennemis d’hier, a été longuement préparée.

Tout a commencé le dimanche 3 novembre. Ce jour-là, Affoussita Bamba-Lamine est dépêchée auprès de Charles Blé Goudé par Guillaume Soro. Elle lui indique la volonté de son patron d’avoir un tête-à-tête avec lui.

Blé Goudé ne répond pas favorablement immédiatement. Il prend d’abord le temps de consulter ses conseillers, tout en sondant ses partisans via les réseaux sociaux. Parmi ses proches, deux camps se dessinent entre les partisans d’une telle rencontre et ceux qui y sont opposés. Mais une majorité finit par se dégager en faveur des premiers. Blé Goudé instruit alors son directeur de cabinet, Youssouf Diaby, un ancien de la Fesci qui a aussi connu Soro, d’organiser la rencontre.

Dans le communiqué publié à l’issue de la rencontre, dont chaque mot a été pesé, les deux hommes « exhortent  le régime d’Abidjan à organiser des assises politiques nationales inclusives, en vue de vider tout le passif de la récente crise qui a endeuillé la Côte d’Ivoire, afin de créer les conditions idoines pour une stabilité et une paix sociale durable ».

La fin d’une inimitié ancienne ?

Un message commun, envoyé à Alassane Ouattara, leur nouvel adversaire commun, qui avait pourtant été au cœur de leur première rupture, en 1998. Les deux hommes, alors amis, se sont alors séparés suite à une mésentente sur le choix du secrétaire général de la Fesci qui devrait succéder à Soro. Ce dernier préférait qu’un proche prenne sa suite, en l’occurrence, Yayoro Karamoko, devenu par la suite président des jeunes du Rassemblement des républicains (RDR d’Alassane Ouattara). Charles Blé Goudé, soutenu par Laurent Gbagbo et la machine du Front populaire ivoirien (FPI), s’est tout de même lancé à la conquête du puissant syndicat étudiant. Un combat remporté par Blé Goudé.

Quand Soro se retrouve, en septembre 2002, à la tête de la rébellion des Forces nouvelles (FN) qui voulait renverser Laurent Gbagbo, Blé Goudé met un terme à ses études en Europe et regagne Abidjan, où il prend la tête des Jeunes patriotes. S’en suit une longue rivalité, ponctuée par une réconciliation de façade, en 2007, après la signature des accords de Ouagadougou entre Gbagbo et Soro. La dernière rencontre entre les deux hommes remonte à 2010. Ils ne s’étaient plus revus depuis.

Quel degré de collaboration ?

Envisagent-ils désormais un cadre de collaboration en vue de la présidentielle d’octobre 2020, pour laquelle Soro est candidat ? « Non, on n’en pas là », tranche un proche de Blé Goudé. ce dernier n’en a pas fini avec la justice internationale. Sous liberté conditionnelle de la Cour pénale internationale (CPI), dans le procès où il est co-accusé de Gbagbo, notamment pour « crimes de guerre », il attend le verdict final des juges en appel.

Une chose est certaine, si la rencontre ne soulève pas beaucoup de débats dans le camp Soro, dans celui de Blé, l’heure n’est pas à l’unanimité. Le patron de presse Douadé Alexis Gbansé, qui a milité à la Fesci et se présente comme un « frère » de Blé Goudé continue de s’interroger sur la pertinence de cette rencontre. « Finalement, c’est quoi la morale politique dans ce pays ? C’est quoi le projet pour les 30 millions d’habitants ? Ils semblent dire : “Après moi, tu seras président ? Non, moi avant, et toi après ?”. Je conseillerai à Blé Goudé et à Soro qui, par la force des choses, se retrouvent tous deux en Europe, de songer à montrer l’exemple à suivre à Ouattara, en organisant les assises politiques de leur génération », martèle Gbansé.