Urgence climatique : l’Afrique au banc d’essai

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Notre continent fait désormais partie intégrante du mouvement planétaire visant à imposer un modèle de développement plus propre et plus vertueux. Quels sont ses atouts ? Et ses faiblesses ?

Les grands sommets internationaux, surtout lorsqu’il s’agit de mettre toutes les nations autour d’une table pour évoquer les enjeux climatiques ou environnementaux, sont trop souvent, hélas, des montagnes qui accouchent d’une souris. En matière de préservation de l’environnement et de « croissance verte » en Afrique, la COP21, organisée à la fin de 2015 à Paris, a toutefois fait exception à la règle.

Bien sûr, de nombreux pays sur le continent avaient déjà lancé d’ambitieux programmes en la matière avant la tenue de cette conférence. Mais le véritable virage opéré à Paris concerne le regard que la planète – hors d’Afrique et en Afrique même – porte sur le continent.

De victime à acteur à part entière

Jusque-là, on répétait comme un mantra la fameuse formule selon laquelle « l’Afrique est la première victime du réchauffement climatique, alors que c’est le continent qui y contribue le moins ». Ce qui a changé lors de la COP21, c’est le passage de ce statut de victime nécessitant aide et assistance à celui d’acteur à part entière de l’effort général. Et même, potentiellement, de modèle à suivre.

Les pays africains, avec leurs atouts et leurs faiblesses, ne sont plus exclus du grand mouvement planétaire qui tente – plutôt mal que bien, pour le moment – de mettre en place un nouveau modèle de développement plus propre et plus vertueux. La toute récente instauration, en Afrique du Sud, d’une taxe carbone en est un exemple parmi mille autres. Pour beaucoup d’experts, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’Afrique dispose même d’une chance unique : celle, d’une certaine façon, de partir de très loin.

Les pays qui ne disposent pas des technologies anciennes ont tout intérêt à aller directement vers les nouvelles. C’est ça la chance de l’Afrique

C’était déjà l’idée exprimée par Kofi Annan dans un rapport intitulé « Vers une industrialisation verte en Afrique », publié en 2016. « L’Afrique, écrivait alors l’ancien secrétaire général des Nations unies, peut tirer parti de sa situation de continent à faible émission de carbone pour sauter le processus. Les infrastructures n’ont pas besoin d’être améliorées pour devenir résilientes face au changement climatique. »

« Quand l’écosystème existe déjà, renchérit Thierry Téné, cofondateur de l’Institut Afrique RSE, il faut le détruire ou au moins le gérer. Les pays qui ne disposent pas des technologies anciennes ont tout intérêt à aller directement vers les nouvelles. C’est ça la chance de l’Afrique. Voyez la progression fulgurante sur le continent de solutions comme le paiement mobile, alors qu’en Europe les mêmes innovations se heurtent à une multitude de barrières. »

Là comme ailleurs, on retrouve la fameuse théorie du leapfrog, qui veut que le continent pourrait sauter les étapes et développer directement un écosystème respectueux de l’environnement et des populations. Une thèse que soutient également l’économiste français Christian Stoffaës, pour qui « l’économie verte peut constituer un facteur de développement dans les pays pauvres qui n’ont pas de capital et d’investissements coûteux à amortir, contrairement aux pays développés ».

Formules naïves ?

De telles formules peuvent sonner comme autant d’encouragements. Elles peuvent aussi sembler terriblement naïves lorsqu’on les confronte à la réalité d’un continent où, trop souvent, l’exploitation des ressources naturelles (mines, pétrole, gaz, forêts) se fait dans le mépris le plus total de l’environnement et des conditions de vie des populations. Où les décharges à ciel ouvert se multiplient, alimentées aussi bien par les populations locales que par les pays riches qui trouvent là une façon pratique d’évacuer les rebuts qu’ils ne savent ou ne veulent recycler.

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Selon l'Unicef, près de 40 000 enfants travaillaient dans les mines du Katanga,
en RD Congo, en 2014. © Gwenn Dubourthoumieu

« Tout cela est vrai », admet Serge Bouiti-Viaudo, qui a effectué l’essentiel de sa carrière chez Total avant d’être nommé en 2009 directeur de cabinet du ministre des Hydrocarbures au Congo, puis de créer en 2017 son cabinet de conseil spécialisé dans les questions énergétiques.

Mais, assure-t-il, « les choses évoluent. Les grandes entreprises internationales ont toutes signé des pactes, des engagements à respecter certaines bonnes pratiques. Leurs actionnaires sont sensibles au respect des normes, leurs faits et gestes sont scrutés par les ONG ou les journalistes et le moindre dérapage est aussitôt médiatisé. Le Gabon, par exemple, avait commencé à exploiter une mine de fer dans une forêt classée. Le ministre de l’Environnement et celui de l’Industrie s’affrontaient, mais c’est finalement une ONG qui s’est emparée du sujet, les médias et les réseaux sociaux ont suivi… et les autorités gabonaises ont fait marche arrière. Le contexte a changé. »

Reste que le chemin sera long et semé d’embûches, tandis que les échecs seront au moins aussi nombreux que les succès. Parfois, un problème est résolu, mais débouche sur un nouveau défi. L’interdiction des sacs plastique, par exemple, entraîne souvent une utilisation accrue de sachets en papier, posant alors le problème de la déforestation. Et lorsqu’une compagnie minière active au Katanga communique fièrement sur le fait qu’après avoir découvert qu’une espèce protégée de serpents vivait sur son site elle a formé tous ses employés à capturer ces reptiles pour les relâcher ensuite dans un environnement plus propice, on hésite entre applaudir et crier au greenwashing. « Tout ceci n’est pas binaire », résume Serge Bouiti-Viaudo avec philosophie.

Chacun son rythme

Dans les faits, chaque pays avance à son rythme et à sa manière, en tenant compte de ses contraintes propres, comme le montrent les nombreux exemples développés dans les pages qui suivent. Mais s’il faut désigner une zone particulièrement exemplaire, les doigts ont tendance, spontanément, à pointer le nord-ouest du continent.

« Les pays du Maghreb sont plus avancés que ceux d’Afrique subsaharienne en matière de développement et de ressources financières. Les montages de projets y sont plus faciles », résume Nabil Ben Khatra, coordinateur de programmes à l’Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS). Et d’ajouter : « Dans les pays subsahariens, on gère surtout les priorités : sécurité alimentaire, paix, stabilité… La dimension environnementale peut alors passer au second plan. »

Et parmi les pays du Maghreb, « c’est sans conteste le Maroc qui se distingue, ajoute Thierry Téné. Le continent a besoin de plus de projets comme le Plan solaire marocain. Le royaume est vraiment visionnaire. Beaucoup d’autres pays ont des projets, réalisent de belles choses, mais c’est au Maroc que la vision est le plus globale, le plus transversale. Il y a une véritable stratégie qui va jusqu’à prévoir le financement, auquel est également associé le secteur privé. Je dirais que c’est aujourd’hui le pays où l’ambition politique est le mieux matérialisée. »