Abebe Sélassié (FMI) : « À moyen terme, la croissance subsaharienne devrait se stabiliser à 4 % »

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Les prévisions du Fonds monétaire international (FMI) publiées vendredi 12 avril confirment le regain de croissance en Afrique subsaharienne, où les économies devraient progresser de 3,5 % en 2019 contre 3 % en 2018.

Si la croissance devrait accélérer en Afrique en 2019, selon les chiffres dévoilés par le FMI vendredi 12 avril, les pays dépendant des exportations de matières premières non transformées devraient en profiter moins que les pays dont l’économie est plus diversifiée. Abebe Aemro Sélassié, directeur du département Afrique du FMI, analyse pour Jeune Afrique les politiques qui contribueraient à une accélération du développement de la région.

Jeune Afrique : Pourquoi la croissance en Afrique subsaharienne accélère-t-elle ?

Abebe Aemro Sélassié : La croissance subsaharienne devrait continuer à se redresser cette année pour atteindre 3,5 %, un chiffre en hausse par rapport aux 3 % de 2018. Elle devrait ensuite se stabiliser à 4 % sur le moyen terme. L’amélioration de la croissance en 2019 est le fruit de la reprise économique dans de grands pays tels que le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Angola, dans un contexte d’augmentation de la production pétrolière et de diminution de l’instabilité politique.

Il est important que les pays encouragent la croissance tirée par le secteur privé

Malgré cette amélioration, les perspectives de croissance dans ces pays, et plus généralement dans tous les autres pays dotés de ressources naturelles, demeurent relativement modérées. À moyen terme, la croissance ne devrait pas atteindre le seuil de 5 % dans ces pays et l’amélioration des conditions de vie devrait y être plus lente que dans le reste du monde. En revanche, à moyen terme, environ la moitié des pays de la région, pour la majorité non dotés de ressources naturelles, devraient connaître une croissance d’au moins 5 % et voir leur revenu par habitant augmenter plus rapidement que dans le reste du monde.

Comment passer d’une croissance basée sur l’investissement public à une croissance basée sur l’entreprise privée ?

Il est important que les pays encouragent la croissance tirée par le secteur privé en supprimant les distorsions de marché, en répartissant mieux les dépenses publiques et en prenant des mesures qui privilégient l’investissement privé et la prise de risques.


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Parmi ces mesures : une amélioration de l’approfondissement du secteur financier, de l’ouverture et de l’intégration commerciales (notamment au sein même du continent dans le contexte de la zone de libre-échange continentale) ; la garantie d’un environnement d’affaires sain et la fourniture de biens publics satisfaisants – notamment des infrastructures, un système de santé et un système d’éducation suffisamment développés.

Comment les déficits budgétaires peuvent-ils être maîtrisés ?

Dans de nombreuses situations, cela peut passer par un ajustement basé sur les recettes. Nous évaluons le potentiel de recettes à 3 % voire à 5 % du PIB dans les différents pays de la région. Pour faire de ce potentiel une réalité, il faudrait améliorer les politiques fiscales et les réformes administratives. Il s’agirait d’élargir l’assiette fiscale pour couvrir de nouvelles activités et de nouveaux contribuables, de minimiser les incitations et les exemptions fiscales, d’introduire de nouveaux instruments tels qu’une taxe foncière moderne, de simplifier la procédure de paiement des impôts, etc.

Quel est le coût des conflits ?

Les conflits armés infligent des souffrances énormes et d’importants coûts économiques et sociaux. Le nombre de conflits en Afrique subsaharienne et leur intensité ont diminué significativement depuis le début des années 2000. La région demeure sujette aux conflits, avec environ 30 % des pays affectés par un conflit en 2017. Par ailleurs, la nature des conflits a changé : les guerres traditionnelles ont été remplacées par des conflits non-gouvernementaux, notamment la prise pour cible de civils par le biais d’attaques terroristes, particulièrement dans le Sahel.


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La perte de vies humaines, la destruction des infrastructures et des institutions, l’instabilité politique tout comme l’incertitude plus importante liée aux contextes conflictuels entravent l’investissement, les exportations et la croissance économique. Nos recherches montrent que les conflits peuvent diminuer la production par habitant de 15 à 20 % encore cinq ans après leur début. Les effets négatifs des conflits débordent sur les pays voisins du fait de flux migratoires et d’une baisse d’activité.

Quels sont les barrières qui limitent le développement du commerce interrégional africain ?

Les droits tarifaires entre les différentes communautés régionales économiques, et parfois même à l’intérieur des communautés économiques régionales, demeurent relativement élevés. Il est donc encourageant de constater que la Zone de libre-échange continentale (Zlec) semble prête à agir en promettant de réduire la plupart des droits tarifaires.

Les exportations interrégionales en Afrique sont plus diversifiées et possèdent un contenu technologique plus élevé que les exportations africaines vers le reste du monde

Cela stimule le commerce des produits finis. On constate que les exportations interrégionales en Afrique sont plus diversifiées et possèdent un contenu technologique plus élevé que les exportations africaines vers le reste du monde. Le commerce interrégional est composé de 40 % de produits finis, alors que les exportations vers le reste du monde sont à 75 % d’origine minière (pétrole brut par exemple).

Cela dit, les réductions tarifaires doivent être complétées par des politiques visant à réduire les goulets d’étranglement non tarifaires au commerce. Les goulets d’étranglement les plus importants se rapportent aux infrastructures et à la logistique commerciale ; il s’agit notamment des services douaniers et des procédures de contrôle.


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Parmi les autres barrières non tarifaires qui devraient être supprimées figurent les quotas, les licences, les subventions et l’application restrictive de mesures telles que les règles d’origine et les mesures sanitaires et phytosanitaires. Il est également important d’intégrer davantage les services financiers en élargissant les systèmes de paiement régionaux et en introduisant un système d’échange entre les banques centrales. De même, un centre de compensation multidevises pourrait servir de support à l’intégration commerciale.

Plus généralement, la libéralisation du commerce des services pourrait requérir une coordination des politiques commerciales ainsi que des réformes réglementaires domestiques.