À Bouaké, Simone Gbagbo prêche le pardon entre Ivoiriens

L’ancienne première dame célébrait ce 30 avril la première « fête des libertés » de son nouveau parti, le Mouvement des générations capables (MGC). Un premier grand rassemblement qui a aussi permis de jauger sa nouvelle force de mobilisation sur la scène politique ivoirienne.

Par  - à Bouaké
Mis à jour le 1 mai 2023 à 16:17
 

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Simone Gbagbo (à g.), le 30 avril, lors du premier grand rassemblement de son parti, à Bouaké, en Côte d’Ivoire. © Aïssatou Diallo

 

 

C’est accompagnée d’une fanfare et de chants de ses militants que Simone Gbagbo a fait son entrée sur le terrain de N’Dakro, un quartier périphérique de Bouaké. Malgré une pluie abondante toute la matinée, des centaines de membres du Mouvement des générations capables (MGC) sont bien là pour scander des slogans à la gloire de l’ancienne première dame et agiter des petits drapeaux à son effigie. Beaucoup arborent des pagnes bleu et rose aux couleurs du parti.

« Simone », comme la surnomme ses partisans, esquisse quelques pas de danse puis s’installe à la tribune. Elle est entourée de cadres de MGC et de leaders d’autres partis qui ont répondu à son invitation. Les délégations du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), la formation d’Alassane Ouattara, et du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), celle d’Henri Konan Bédié, conduite par le général Gaston Ouassénan Koné, sont très applaudies.

À chaque parti sa fête

« C’est Simone Gbagbo, on connaît », continuent à scander les militants qui ont convergé depuis la veille de plusieurs régions pour prendre part à cette première édition de la « fête des libertés » version MGC.

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Instituée en 1990 par le Front populaire ivoirien (FPI), dont elle a été l’une des fondatrices avec Laurent Gbagbo, la fête de la liberté commémore chaque 30 avril le combat du parti pour l’avènement du multipartisme en Côte d’Ivoire.

 

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Des militants de MGC à Bouaké le 30 avril 2023. © Aïssatou Diallo

 

 

Cette année, il y en aura trois du genre, soulignant la division de la gauche ivoirienne. Les 31 mars et 1er avril, le Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI) de Laurent Gbagbo a célébré la « fête de la renaissance », marquant le deuxième anniversaire de son acquittement définitif par la Cour pénale internationale (CPI), qui l’accusait de crimes contre l’humanité pendant la crise post-électorale de 2010-2011. Les 5 et 6 mai, ce sera au tour du FPI de Pascal Affi N’Guessan d’organiser à son tour sa « fête de la liberté » à Man, dans l’ouest du pays.

Bouaké comme symbole

Pour Simone Gbagbo, qui a refusé de rejoindre le PPA-CI de son ex-mari et qui a lancé son propre parti le 20 août 2022, cette « fête des libertés » était l’une des premières grandes occasions de compter ses soutiens et de jauger sa force de mobilisation. Plusieurs anciens cadres du FPI l’ont rejointe et constituent désormais son équipe.

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Ce dimanche, son discours était donc très attendu. « Aujourd’hui, comme avant 1990, je demande qu’on libère à nouveau la parole en Côte d’Ivoire. Qu’on libère à nouveau les médias et la démocratie », lance l’ancienne première dame.

Quant à Bouaké, elle explique avoir fait ce choix, car c’est de cette ville qu’a démarré en 2002 la rébellion : « C’est d’ici que l’âme de la Côte d’Ivoire l’a quittée. C’est donc d’ici qu’elle doit la réintégrer. […] Je suis venue à Bouaké avec le MGC pour adresser un message de paix à toutes les populations qui y vivent. Il nous faut partir d’ici pour rebâtir le vivre ensemble et pour redémarrer l’œuvre de reconstruction de la nation ivoirienne. »

Amnistie générale et réconciliation nationale

Pendant près d’une heure, Simone Gbagbo disserte sur la nécessaire redistribution des richesses au-delà des indicateurs macro-économiques positifs du régime Ouattara, ou prône, en évangélique convaincue, « la crainte de Dieu, l’intégrité et le patriotisme ».

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L’ancienne première dame s’est aussi longuement exprimée sur la réconciliation nationale, thème dont elle s’est faite l’ambassadrice depuis son amnistie par Alassane Ouattara et sa sortie de prison, en 2018. « Pendant dix ans, mon ex-parti, le FPI, a dirigé la Côte d’Ivoire. Nous avions donc la responsabilité de la sécurité, de la paix et de la cohésion des Ivoiriens. De ce point de vue, nous avons notre part de responsabilité dans la crise que notre pays a traversé, reconnaît-elle. En ma double qualité de haut responsable du FPI et de première dame au moment des faits, je tiens encore une fois à demander pardon à toute la nation […]. Mais je voudrais aussi dire que j’accorde mon pardon à tous ceux qui ont causé du tort à la nation ivoirienne, à ma personne, à mes proches et à ma famille politique. »

Puis, celle qui a passé plusieurs années en détention, d’«‍ exhorte[r] tous les responsables politiques de la Côte d’Ivoire à [la] suivre dans cet exercice […] dans l’intérêt supérieur de la nation ivoirienne ». Encore une fois, la meneuse du MGC a plaidé pour une amnistie générale et la libération des prisonniers civils et militaires de la crise post-électorale de 2010-2011, ainsi que pour le retour des exilés. Simone Gbagbo a également plaidé pour le retour au pays de Guillaume Soro, l’ancien président de l’Assemblée nationale, en exil depuis 2019 et qui fait l’objet de plusieurs condamnations par la justice ivoirienne dans différentes affaires.

Report des locales

Quant aux élections locales prévues en septembre, Simone Gbagbo a demandé leur report « de quelques mois » afin de permettre des discussions entre les partis d’opposition et le RHDP. Elle a notamment listé quelques attentes, dont « la mise en place d’une CEI [Commission électorale indépendante] vraiment indépendante, dans laquelle aucun parti politique ne sera présent », « une liste électorale fiable » ou encore « un découpage électoral juste établi sur des critères identiques pour tous ».

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Enfin, la fondatrice du MGC a donné rendez-vous aux participants pour la deuxième édition de sa fête des libertés, qui devrait se tenir en 2024 dans le district du Zanzan, dans le nord-est du pays.