Nigeria – Atiku Abubakar : « Les Nigérians aspirent au changement, et je peux l’incarner »

Pour la sixième fois, l’ancien vice-président nigérian est candidat à la présidentielle. Lutte contre le jihadisme, coups d’État en Afrique de l’Ouest, politique à l’égard du Cameroun… Jeune Afrique l’a rencontré, à quatre mois du scrutin.

 
Mis à jour le 2 novembre 2022 à 13:32
 
 

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Atiku Abubakar, à Paris, le 18 octobre 2022. © François Grivelet pour JA

 

 

Le service d’ordre déployé est digne de celui d’un chef d’État. Sous les lambris d’un grand palace parisien, Atiku Abubakar nous reçoit, non sans un certain sens du protocole. Plus de quinze ans après avoir quitté la vice-présidence du Nigeria (1999-2007), le candidat du Parti démocratique populaire (PDP) se verrait bien occuper la plus haute fonction de son pays.

Rien de nouveau pour cet opiniâtre opposant au président sortant Muhammadu Buhari (du All Progressives Congress, APC), qui en est à sa sixième tentative. Dans cette nouvelle course à la présidence, qui s’achèvera en février 2023, Atiku portera les couleurs du PDP, délogé du pouvoir en 2015 par l’APC, et croisera cette fois le fer avec Bola Tinubu, l’ancien gouverneur de Lagos.

Fixer le cap en Afrique de l’Ouest

Ancien directeur des douanes, Atiku, dont le nom reste associé à plusieurs importantes affaires de corruption, est contesté jusqu’au sein de sa formation, déchirée par des querelles intestines. Pas de quoi entraver sa campagne, assure à Jeune Afrique celui qui estime que le bilan « catastrophique » de Buhari jouera en sa faveur.

S’il accède au pouvoir, Atiku Abubakar héritera toutefois de nombreux chantiers, sur un triple front : sécuritaire, économique et social. Il devra également fixer le cap à l’échelle régionale, à l’heure où le Cameroun voisin est aux prises avec une crise séparatiste et où une fièvre putschiste se propage en Afrique de l’Ouest.

Jeune Afrique : Vous vous présentez à la présidence pour la sixième fois. Qu’est-ce qui vous permet de penser que cette tentative sera la bonne ?

Atiku Abubakar : Les Nigérians ont essayé plusieurs formules. L’APC est arrivé au pouvoir en 2015 en promettant de réels changements. Buhari avait notamment promis d’apporter la paix, mais son bilan est un échec total sur tous les plans. Les Nigérians aspirent au changement, et je crois que je peux l’incarner.

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Une règle non-écrite veut qu’il y ait une alternance entre présidents issus du Sud et du Nord. Vous êtes originaire du Nord, comme le président sortant. Ne craignez-vous pas que ce facteur vous soit défavorable ?

Je ne le pense pas. La philosophie du président sortant et la mienne sont presque à l’opposée et c’est là-dessus que se jouera l’élection. Plutôt que de tenir compte de critères ethniques ou religieux, les Nigérians devraient nous juger sur nos convictions personnelles et sur la vision que nous avons de l’avenir du pays.

SI LES GROUPES ARMÉS, COMME BOKO HARAM, VEULENT DISCUTER AVEC NOUS, NOUS DISCUTERONS AVEC EUX

Vous jugez le bilan de Muhammadu Buhari très sévèrement. Il y a-t-il néanmoins des éléments de sa politique que vous conserveriez ? Le compte unique du Trésor, par exemple, qui permet de centraliser toutes les ressources de l’État…

Ce compte unique du Trésor n’est pas une initiative de Buhari, mais de mon parti, le PDP. Il faudra néanmoins examiner dans quelle mesure il a été un succès ou a pu présenter des lacunes. Quant au reste, c’est assez simple : nous appartenons à des partis distincts, qui défendent une vision et un programme différents.

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Votre candidature est contestée au sein même de votre parti. Certains cadres ont même décidé de soutenir Peter Obi, le candidat du Parti travailliste. Comment gagner une élection dans ces conditions ?

Je ne pense pas que le PDP soit plus divisé qu’un autre parti. Aucune formation n’est exempte de remous internes. Il est normal que les familles politiques soient confrontées à des défis et connaissent des désaccords. Mais nous ne pensons pas que les nôtres sont suffisamment forts pour affecter la popularité du parti auprès des électeurs.

Le prochain président héritera d’une très mauvaise situation sécuritaire. Comment lutter contre l’insurrection jihadiste dans le Nord-Est, contre le banditisme et les enlèvements ?

Il existe plusieurs leviers. J’ai, par exemple, l’intention d’augmenter le nombre de policiers au niveau national et de mieux les équiper. Il faudra aussi améliorer la formation des nouvelles recrues comme des policiers déjà en poste.

Si je suis élu, j’encouragerai les solutions locales. Il est important de mieux impliquer les chefs de village. J’ai ainsi observé que, lorsque l’on engage les autorités à l’échelle des villages et des districts dans la lutte contre l’insécurité, cela fonctionne. Les kidnappings et la délinquance tendent à diminuer.

Vous vous êtes déjà exprimé en faveur de négociations avec les groupes armés, comme Boko Haram. Considérez-vous qu’il s’agisse d’une piste de résolution du conflit ?

Si ces groupes veulent discuter avec nous, nous discuterons avec eux. S’ils ne le souhaitent pas, nous utiliserons d’autres moyens afin de ramener la paix.

CHAQUE COUP D’ÉTAT EST UNE ATTEINTE À LA DÉMOCRATIE. NOUS NE POUVONS L’ACCEPTER

Un dialogue est-il également envisageable avec les militants indépendantistes comme Nnamdi Kanu, au Biafra ?

Honnêtement, je préfère attendre d’étudier ces questions une fois élu avant de me prononcer. Ce qui est certain, c’est que nous avons connu des épisodes sanglants liés à des revendications sécessionnistes et qu’il ne doit pas y en avoir d’autres. De manière générale, j’estime qu’il faut toujours privilégier le dialogue aux effusions de sang pour régler les différends qui divisent ce pays.

Si vous êtes élu, envisagez-vous d’ouvrir des enquêtes sur les allégations de financement de Boko Haram par certains hommes politiques nigérians ?

Ma priorité est de mettre fin à l’insécurité causée par Boko Haram. Il faut pour cela en comprendre les causes. Beaucoup pensent les connaître et les attribuent à l’absence de travail, au taux de chômage, etc. Nous savons que ces éléments y contribuent, mais les racines de l’insécurité sont plus profondes.

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Une fois ce travail effectué, il y aura lieu de se demander si des personnes ont favorisé l’émergence de Boko Haram et s’il y a eu une instrumentalisation à des fins politiques.

On ne peut pas parler de sécurité sans évoquer la crise qui agite le Cameroun voisin. Si vous êtes président, quelle sera votre approche ?

Le fait est que nous sommes entourés par des pays francophones. La coopération entre nos États est indispensable. J’ai rencontré plusieurs présidents de la région, du Sénégal et de la Côte d’Ivoire par exemple, et je les ai assurés que le Nigeria aurait une politique étrangère ouest-africaine ferme et solide.

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En d’autres termes, je m’engage envers eux à mettre en place une politique nigériane forte s’agissant des questions de défense ouest-africaines.

C’EST AUX CAMEROUNAIS DE DIRE À PAUL BIYA S’IL EST TEMPS QU’IL Y AIT UN RENOUVEAU DÉMOCRATIQUE

Quel regard portez-vous sur la gestion de la crise au Cameroun anglophone par Paul Biya, qui a fait le choix de la fermeté ?

Je suis davantage en faveur du dialogue.

Ces dernières années, l’Afrique de l’Ouest a été agitée par de nombreux coups d’État. Est-ce une source d’inquiétude pour vous ?

Au Burkina Faso, au Mali, chaque coup d’État est une menace pour la démocratie, et nous ne pouvons l’accepter. J’ai l’intention d’œuvrer avec fermeté à la restauration de la démocratie dans certains pays d’Afrique de l’Ouest actuellement dirigés par des régimes militaires.

De quelle manière ?

En étroite collaboration avec les administrations démocratiques en place en Afrique de l’Ouest. Et elles sont nombreuses.

La démocratie en Afrique de l’Ouest n’est-elle pas également mise à mal par la longévité de certains régimes, comme celui du Cameroun ?

C’est aux Camerounais de dire à Paul Biya s’il est temps ou non qu’il y ait un renouveau démocratique.

Dans votre pays, les allégations de corruption atteignent des personnalités jusqu’au sommet de l’État. Si vous êtes élu, ouvrirez-vous des enquêtes visant les membres du gouvernement sortant ?

Cela dépendra de ce que nous découvrirons une fois au pouvoir. S’il y a des cas de corruption avérés, nous en poursuivrons les auteurs. Mais le problème avec les enquêtes de ce genre, c’est qu’elles ont tendance à être très longues. Nous ne voulons pas perdre de temps.