Le Frère Jan HeuftAux « anciens combattants » de la région des pères blancs de l’Afrique du Nord.

Ce samedi 19 juillet 2014 et 20ième jour du ramadhan, la chaleur est étouffante  et atteint les 36° Celsius. Tôt le matin, notre ami mécanicien, nommé Achour, m’invite à la plage, mais vu l’intensité de la chaleur et des rayons du soleil, je préfère me terrer chez moi. Vu mon âge vieillissant, il me semble plus prudent d’aller faire un tour à la piscine l’après midi.

C’est ainsi que j’arrive vers midi  à la belle location de l’hôtel Sofitel d’Alger, qui m’offre, depuis la décennie du terrorisme, un lieu de baignade gratuit et sécurisé. Dès mon arrivée les copains, peu scrupuleux des préceptes d’un Islam fondamentaliste, me saluent jovialement : « Bonjour Père Jan ! Rak tsoum (tu jeunes)? ». Je réponds sur le même ton : « Bien sûr, la cuisinière m’a laissé tomber ! »

Un peu plus loin dans cette petite piscine, Toufik, me salue également : « Alors mon père, cela fait long temps qu’on ne t’a pas vu ici ! »  Je lui lance : « Que veux-tu, pas de temps ? Le travail et encore le travail…… !» Toufik réfléchit un moment et me regarde en ricanant : « Le travail mon père, c’est la santé, mais ne rien faire, ne peut pas l’abimer ! » En me plongeant dans l’eau je lui réponds quand même : « Toufik ne pars jamais à la retraite, parce que à ce moment, tu auras plus de travail que maintenant ! »

Tout à coup j’aperçois Rachid, le pâtissier du coin et sa femme. Malgré ses efforts physiques en faisant de la natation, il est toujours aussi gros et n’arrive pas à perdre du poids, n’est –ce qu’un seul kilo ! Lui, et sa femme, nagent les bouches bien fermées, parce que durant ce mois de ramadhan il ne faut surtout pas avaler, par accident, une seule goutte d’eau (même javelée). Malgré tout cela, nous nous saluons en pleine eau en se serrant les mains homme et femme. De ce côté-là il n’y a pas de problème religieux pour le moment.  Ils me demandent : « Tu viens prendre le ftour avec nous ce soir ? » « Avec plaisir ! » répondis-je. 

Au bout de trois heurs je me décide de descendre du 3ième étage de l’hôtel pour rejoindre ma voiture afin de rentrer à la maison. Et voilà en passant devant le restaurant avec le beau nom : « El Diva » au 1ier étage, je ne puis pas m’empêcher de lire la carte des menus affichée évidement bien en vue des passants « en tant que tentation du diable ». Cet endroit est spécialement ouvert pour les non – jeuneurs et les étrangers. Le maître d’hôtel s’approcha de moi en criant haut et fort : « Alors Père Jan, rak tsoum (tu jeunes) ? » Je ne lui réponds pas, mais lis tranquillement les prix des différents plats qui sont, selon le standing de l’hôtel, assez élevés dépassant largement le budget d’un simple frère blanc !

 Le maître de l’hôtel revient alors la charge : « Mais vous ne me reconnaissez pas Père Jan ? Mon papa était l’ami du Père Louis Garnier (Dieu ait son âme) ! Je m’appelle Salim Nazef ! » En entendant ce nom, je me rappelais bien de cette famille de bijoutiers des villages de Tassaft et de Béni – Yenni en Kabylie. « Bien sur que je me rappelle de ta famille et de ton village ! » lui répondis –je. Salim à son tour : « Alors, vous allez manger ici ! Vous payerez le plat principal et moi le reste ».Qu’allais – je faire d’autre ? Alors ce fut un grand repas de deux heures avec des grands récits mémoratifs  sur les vénérés anciens pères : Doublet, Etienne, Genevois, Veilleton, Gayet, Henri et Nicole, avec leurs perfections et imperfections, provoquant des moments de hilarités et de bonheur. Assez souvent nous revenions sur la qualité de l’enseignement, sur les leçons de morale, mais surtout sur le respect des convictions religieuses des uns et des autres, dont l’apprentissage de la langue arabe et le vécu du mois de ramadhan. Le plus beau moment de la discussion fut quand Salim m’a dit spontanément : « Vous avez fait de nous des vrais hommes libres, capables de prendre notre destin en main » Avec un tel éloge sur nos ancêtres je ne pouvais me dire intérieurement quel défi pour la nouvelle génération actuelle! Nous l’avons fait avec des moyens de bord de l’époque en faisant confiance au Seigneur.

Je suis convaincu que ceux qui nous succèdent feront autant avec les moyens de bord de leur temps et avec la même confiance dans le même Seigneur.

 

Frère Jan Heuft, pb

Ancien et dernier directeur de l’Ecole des Pères Blancs à Béni – Yenni (Kabylie)

Alger le 21 juillet 2014.