Sénégal : Mame Aby Seye, l’atout de Macky Sall pour renforcer la souveraineté économique

LE PORTRAIT ÉCO DE LA SEMAINE. Nommée il y a six mois à la tête de la Délégation générale à l’entreprenariat rapide des femmes et des jeunes (DER/FJ), cette quadragénaire est mandatée par le président pour soutenir les secteurs capables de réduire la dépendance du pays aux importations.

Mis à jour le 31 août 2022 à 16:17
 
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Mame Aby Seye a pris la direction de la DER/FJ (Délégation générale à l’entreprenariat rapide des femmes et des jeunes ). © Global Mind Consulting

 

Avant de prendre la direction de la Délégation générale à l’entreprenariat rapide des femmes et des jeunes (DER/FJ) en mars 2022, cette docteure en sociologie et démographie a fait ses premières armes dans les compotes de fruits. Outre ce poste de responsable des études marketing en France pour la marque d’agroalimentaire Andros, cette passionnée – et diplômée – d’urbanisme a aussi œuvré au sein d’une ONG, puis de l’agence publique sénégalaise pour des projets domaniaux.

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Revenue au pays en 2015 pour intégrer la Caisse des dépôts et consignation comme cheffe de projet, elle est repérée en 2019 par le président Macky Sall qui lui confie la direction du Fonds de financement de la formation professionnelle et technique (3FPT), un poste qui fait d’elle une technocrate en vue au sein de l’administration.

« Calme et conventionnelle »

En mars, alors que le charismatique Papa Amadou Sarr est brutalement remercié après un discours appelant à plus d’égalité femmes-hommes au Sénégal, qui a choqué certaines consciences locales, c’est à nouveau à Mame Aby Seye que le président pense. La nouvelle ministre hérite alors d’une institution qui, malgré son jeune âge – elle a été créée en 2018 –, incarne désormais une forme de modèle de développement au sein de la sous-région.

MA NOMINATION EST UN SIGNE DE CONFIANCE REDONNÉE À L’INSTITUTION

Ce nouveau profil au ton plus polissé que son prédécesseur veut éviter de nouvelles polémiques tout en incarnant la continuité d’une institution soutenue par la plus haute administration : « Ma nomination est un signe de confiance redonnée à l’institution », assure celle qui, lorsque nous la rencontrons en marge du salon VivaTech de Paris en juin, se réfère régulièrement à ses fiches pour nous répondre.

« Elle est calme, très structurée et a tous les atouts opposés de son prédécesseur. Elle calcule bien ses apparitions et ses prises de positions, et se repose beaucoup sur son équipe, tout en ne s’affichant que lorsqu’il le faut », observe un entrepreneur sénégalais. « Avec Mame Aby Seye, nous avons affaire à une directrice générale plus conventionnelle que Papa Amadou Sarr », tranche un bénéficiaire historique de la DER/FJ.

Microfinance et agriculture

L’entrepreneuriat numérique et l’emploi des jeunes ont été les premiers chantiers de la DER/FJ lors de sa création. Quatre ans plus tard, voici que l’organe se diversifie dans la microfinance et l’agriculture, des secteurs identifiés comme prioritaires pour garantir la souveraineté économique et alimentaire du pays de la teranga.

LA CRISE RUSSO-UKRAINIENNE, L’INFLATION GÉNÉRALISÉE AJOUTÉE À L’IMPACT DU COVID-19, NOUS OBLIGE À REVOIR NOS PRIORITÉS

« La crise russo-ukrainienne, l’inflation généralisée ajoutée à l’impact du Covid-19, nous oblige à revoir nos priorités, confirme Mame Aby Seye. On nous demande de redéfinir une stratégie notamment sur les produits de substitution à l’importation, comme le mil ou le sorgho, et de renforcer des chaînes de valeur locales », développe-t-elle.

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Jusqu’ici, la DER/FJ a contribué à la formalisation de 2 452 micros, petites et moyennes entreprises (TPME) de secteurs divers et financé 415 start-up ayant reçu une enveloppe totale de 9 millions d’euros via le Projet d’appui et de valorisation des initiatives entrepreneuriales (Pavie) des femmes et des jeunes. Ce programme phare, soutenu par la BAD et l’AFD, permettrait, d’ici à 2023, de créer 154 000 emplois dont la moitié bénéficieraient à des femmes. « On parle déjà d’un Pavie II », confie Mame Aby Seye, convaincue que le Sénégal bénéficie désormais d’un climat des affaires favorable et qui pourra attirer de nouveaux bailleurs privés.

En parallèle, un programme d’allocation de nanocrédit a bénéficié à 93 000 petits commerçants dont 50 % de commerçantes, représentant un volume de crédit alloué de 23 millions d’euros pour un taux de remboursement de 86 %, selon les chiffres présentés par la déléguée générale à l’entrepreneuriat rapide.

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Fin mars, un fonds supplémentaire d’appui à l’accélération des start-up sénégalaises (FSPI) de 2 millions d’euros (dont la moitié est apporté par la coopération française) a été lancé pour soutenir la croissance des jeunes pousses et la création de réseau d’investisseurs locaux. « L’idée est d’accompagner plus de 116 projets dans neuf régions du Sénégal, ainsi que d’implanter 14 pôles d’incubation », précise Mame Aby Seye, dont l’une des missions est aussi de décentraliser l’action de la DER/FJ afin de toucher l’ensemble des territoires. « Nous espérons trouver d’autres bailleurs pour élargir ce projet et doubler cette dotation », indique-t-elle.

Futur grand incubateur à Diamniadio

Outre un investissement d’1,2 million d’euros pour la création du D-Hub – un espace de 1 000 mètres carrés dédiés aux porteurs de projet et entrepreneurs, installé au Point E à Dakar –, la construction du Centre Mohammed Bin Zayed pour l’innovation et l’entrepreneuriat fait aussi partie des projets que Mame Aby Seye aura à finaliser dans les prochains mois. « Nous devrions réceptionner cet espace situé au sein du parc technologique de Diamniadio d’ici à dix-huit mois », remarque la déléguée générale.

Financé à hauteur de 12 milliards de F CFA par Abu Dhabi (soit un peu plus de 18 millions d’euros) pour un coût total de 18 milliards de F CFA, le bâtiment de 30 000 mètres carrés est conçu pour être la vitrine internationale de la DER/FJ et pour accueillir des start-up étrangères souhaitant se lancer au Sénégal, voire dans la sous-région. À l’instar de La Factory, fondée par le Marocain Mehdi Alaoui, d’ores et déjà hébergée au sein du D-Hub.

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Pour renforcer cette dimension internationale. Les équipes de la DER/FJ ont lancé en février dernier, un « fonds diaspora » dans lequel les Sénégalais de l’étranger pourront investir ou bénéficier de financements afin de revenir entreprendre dans le pays. « Le fonds est déjà doté de 4,5 millions d’euros apportés par la DER/FJ. Nous souhaitons lever 45 millions d’euros d’ici à cinq ans », conclut Mame Aby Seye.