« Être chrétien ne relève pas du désir sublime de donner sa vie dans un instant grandiose » 

 
  • Jean de Saint-CheronEssayiste, chroniqueur pour La Croix

Jean de Saint-Cheron revient pour sa première chronique hebdomadaire dans La Croix sur la mort en « martyre de l’amour » de saint Jean Baptiste, célébré ce 29 août. Un récit qui interpelle le croyant contemporain : être chrétien, serait-ce souhaiter se faire couper la tête ?

  • Jean de Saint-Cheron, 

 

« Être chrétien ne relève pas du désir sublime de donner sa vie dans un instant grandiose »
 
Jean de Saint-Cheron.CHRISTOPHER EVANS POUR LA CROIX

Se faire décapiter parce qu’une danse lascive est montée à la tête d’un vieux despote qui n’a pas osé décevoir sa bande d’amis éméchés – ni la jolie fille à qui il avait promis n’importe quoi –, est une mort bête. Personne ne la souhaite. C’est ce meurtre grotesque, pourtant, que l’Église célèbre le 29 août, « mémoire du martyre de saint Jean Baptiste ». Le plus grand des enfants des hommes achève sa vie terrestre au terme d’une scène de débauche, victime de la fureur d’une femme vexée et de la lâcheté d’un roi contrarié (cf. Mc 6, 17-29). Martyre signifiant témoignage, de quoi une telle aberration peut-elle bien témoigner ?

Car, sur ce point, les choses sont claires : qu’il y ait décollation ne suffit pas à ce qu’il y ait martyre. Et que l’assassiné soit saint ne suffit pas non plus. Car pour qu’il y ait témoignage, il faut que le meurtrier s’en soit délibérément pris à la noble cause pour laquelle le martyr était prêt à mourir (par exemple la foi). Et à moins d’avoir perdu la tête comme le pauvre Didi pressé de raccourcir Tintin pour qu’il puisse « trouver la voie » (1), personne ne choisit d’être témoin de l’absurde : la mort du martyr doit être riche de sens.

Amour authentique

 

Or, au jour de sa décapitation, le Précurseur n’est pas immédiatement témoin du Dieu d’Israël. Il meurt parce qu’Hérodiade, qui a trahi son mari Philippe en rejoignant la couche et le trône d’Hérode, ne supporte pas la parole prophétique qui conteste l’union illégitime : « Tu n’as pas le droit de prendre la femme de ton frère. » (Car pour couronner le tout, l’adultère que dénonce Jean Baptiste est un quasi-inceste, ou inceste par alliance, puisque Philippe, l’époux d’Hérodiade, est le propre frère d’Hérode.)

 

« Être chrétien ne relève pas du désir sublime de donner sa vie dans un instant grandiose »

C’est donc moins directement en haine de la foi qu’est tué Jean qu’en haine de la loi de l’amour telle qu’elle s’exprime dans la fidélité des époux et dans la pureté du mariage. Jean Baptiste est un martyr de l’amour authentique.

On peut presque toujours trouver des raisons ethniques, politiques ou économiques à la violence religieuse. Mais ce qu’enseigne la mort de Jean Baptiste, c’est que depuis la Genèse, l’amour dérange les hommes en leur égoïsme, contrecarrant leurs projets de domination ou de jouissance. Et qu’avec la force des armes, ils ne pensent qu’à le faire taire. Le président du Nicaragua Daniel Ortega s’illustre particulièrement, ces dernières semaines, dans la haine du christianisme. Mourant les mains nues, les martyrs de notre temps (ils sont nombreux, en Orient, en Afrique ou ailleurs) sont bien souvent les témoins non de luttes identitaires, mais du Dieu auquel croyait Jean Baptiste. Et leur destin nous impressionne.

Vivre le commandement de l’amour

Pour témoigner de l’amour, faut-il chercher pour autant à se faire couper la tête ? La Mère prieure du Dialogue des carmélites de Bernanos (l’histoire est vraie de ces seize religieuses assassinées en haine de la foi et de la vie monastique sur ordre du Tribunal révolutionnaire) appelait ses filles à la vigilance : « Méfions-nous de tout ce qui pourrait nous détourner de la prière, méfions-nous même du martyre. La prière est un devoir, le martyre est une récompense. » Croyant en la force de la prière, c’est ainsi qu’elles avaient choisi d’aimer.

Être chrétien ne relève pas du désir sublime de donner sa vie dans un instant grandiose, mais d’abord de vivre le commandement de l’amour dans ce qu’il a de plus ingrat, de plus caché, de moins illustre. « Avant de mourir par le glaive, mourons à coups d’épingles », disait la petite Thérèse. Phrase terrible, qui est aussi un encouragement, une promesse que nous pouvons être martyr aujourd’hui même, à notre place, si nous choisissons d’aimer.

Diplômé de Sciences Po Paris et de la Sorbonne, Jean de Saint-Cheron s’est fait connaître l’an dernier avec son essai Les Bons Chrétiens (Salvator). Il y bouscule les catholiques français, et leurs aptitudes pour les querelles intestines qui leur font courir le risque de perdre de vue l’essentiel de la foi. Directeur de cabinet du recteur de l’Institut catholique de Paris, il donne aussi un cours de littérature et collabore à la revue Magnificat. À partir du 29 août, il livre une chronique hebdomadaire dans La Croix.

(1) Cf. Le Lotus bleu.