Mauritanie – Cheikh Ould Baya :
« Entre le chef de l’État et son prédécesseur, le conflit était surtout politique »

Premier mandat de Mohamed Ould Ghazouani, affaire Aziz, dialogue avec l’opposition… Entretien avec le président de l’Assemblée nationale mauritanienne, dont la parole est rare.

Par  - envoyée spéciale à Nouakchott
Mis à jour le 10 juillet 2022 à 16:32
 

 

Cheikh Ould Baya. © DR.

 

S’il est bien connu des Mauritaniens pour ne pas manier la langue de bois à la tribune de l’Assemblée nationale, qu’il préside depuis 2018, Cheikh Ould Baya accorde très peu d’interviews. Face aux journalistes, le député de Zouerate se fait plus mesuré, n’hésitant pas à se retrancher derrière son devoir de réserve.

Cet ancien colonel, autrefois proche de l’ex-président Mohamed Ould Abdelaziz – à qui il doit d’ailleurs sa nomination –, a su rebondir et tisser de bonnes relations avec le nouveau chef de l’État, Mohamed Ould Ghazouani. Et ce, bien que son nom ait circulé avec insistance parmi les candidats potentiels de « Aziz » à la présidentielle de 2019. Difficile d’oublier néanmoins que les ennuis de ce dernier ont débuté à la suite de l’audit de ses deux mandats lancé par une commission d’enquête parlementaire… Cheikh Ould Baya s’en explique.

Jeune Afrique : Mohamed Ould Ghazouani tranche-t-il avec ses prédécesseurs ?

Cheikh Ould Baya : C’est une question un peu compliquée. Le président est arrivé dans un contexte extrêmement particulier, celui du Covid-19. Le monde entier était pratiquement immobilisé par cette pandémie. Malgré tout, notre pays n’a pas connu de difficultés majeures au-delà de ce qui était prévisible, et les deux gouvernements que Mohamed Ould Ghazouani a dirigés ont fait ce qu’ils ont pu avec les moyens dont ils disposaient. Sans compter que nous comptions beaucoup sur le gaz, mais que l’entrée en exploitation du champ GTA [Grand Tortue Ahmeyim] a été décalée.

Des critiques se font de plus en plus entendre. Faut-il lui laisser du temps ?

Il reste encore la moitié de son mandat au chef de l’État, ce n’est pas rien. Si la situation revient à la normale, je pense qu’il pourra réaliser beaucoup de choses. Mais si la guerre en Ukraine continue à impacter l’économie mondiale, cela sera peut-être encore plus difficile.

À LIRE[Exclusif] Mauritanie – Mohamed Ould Ghazouani : « Je ne suis pas juge pour dire si Mohamed Ould Abdelaziz est coupable ou non »

Il aura donc besoin d’un second mandat ?

Ce n’est pas à moi qu’il faut poser la question, mais à lui !

Faut-il relancer le dialogue avec l’opposition ?

Si les partenaires l’abordent tous avec la même bonne foi, il ne pourra être que bénéfique pour le pays. D’un côté, le pouvoir a toujours dit qu’il n’y avait pas matière à dialoguer, et de l’autre, l’opposition évoque des problèmes de toute nature qui, selon elle, nécessitent de se concerter pour éviter une catastrophe.

Ces deux points de vue ont toujours existé depuis Maaouiya Ould Taya (président entre 1984 et 2005, ndlr). Sauf qu’il n’est pas tout à fait vrai de dire que sans ces assises, ce sera l’apocalypse en Mauritanie. Mais il n’est pas tout à fait juste non plus d’avancer qu’elles n’apporteraient pas un plus au pays et à son peuple. Que chacun vienne donc avec des agendas réalistes et accepte de s’inscrire dans une logique positive.

La Mauritanie va vivre un temps fort avec l’ouverture annoncée du procès de Mohamed Ould Abdelaziz. Le pays a-t-il raison de juger son ancien président ?

Mon statut ne me permet pas de m’impliquer dans les dossiers judiciaires.

IL N’Y A PAS LIEU DE REMETTRE EN CAUSE LA LÉGALITÉ DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE PARLEMENTAIRE CONTRE OULD ABDELAZIZ

L’ancien chef de l’État estime que la commission d’enquête parlementaire est illégale, car, selon lui, elle s’appuie sur le règlement intérieur de l’Assemblée nationale et non sur la Constitution. Que répondez-vous à ces accusations ?

J’ai joué le même rôle que n’importe quel député, j’ai eu droit à une voix lors du vote. Ceci dit, le règlement intérieur permet de créer une telle commission à la demande d’un groupe d’élus, et ce même règlement est validé par le Conseil constitutionnel.

Comme il s’agit du juge ultime, ses décisions ne sont pas discutables. Il n’y a donc pas lieu de remettre en cause la légalité de la commission d’enquête parlementaire.

À LIREMauritanie – Sandrella Merhej : « Si mon client Mohamed Ould Abdelaziz avait voulu fuir, il l’aurait déjà fait »

Mohamed Ould Abdelaziz affirme également que certains des membres de la commission auraient été corrompus dans le but de l’accabler.

Les personnes visées par ces allégations n’ont qu’à gérer ce problème. Je n’accuse personne et je ne suis accusé par personne : je ne suis pas membre de cette commission.

Vous aviez joué les intermédiaires entre l’actuel président et son prédécesseur aux prémices de la crise. Pourquoi votre intervention a-t-elle échoué ?

L’ancien président n’avait pas accepté de se rendre aux festivités à Akjoujt, le 28 novembre 2019. Ce jour-là, je suis allé le voir afin d’évoquer ce problème avec lui, mais il n’avait pas envie que l’on en parle. Je suis donc rentré chez moi.

Toutes les tentatives de réconciliation ont d’ailleurs tourné court. Pourquoi ?

Entre eux, le conflit était purement politique et se cristallisait autour de la « référence » du parti [l’Union pour la République (UPR), au pouvoir], comme tout le monde le sait aujourd’hui en Mauritanie. Ils avaient tous deux leur propre interprétation, mais finalement, les membres de ce parti ont tranché. Je crois que nous en sommes encore là.

À LIREMauritanie : pourquoi Ghazouani et Aziz se disputent l’UPR

En 2020, vous avez suscité la polémique en déclarant qu’un discours en français à l’Assemblée nationale n’avait plus de sens. Restez-vous sur votre position ?

Mes propos ont été mal interprétés. Certains pays africains ont leur hymne national en français et leur devise hérités du colonisateur. Je pense que les choses doivent évoluer et que les peuples ont une culture, une intimité, une histoire qui ne peuvent s’exprimer que dans leur langue maternelle.

CE QUE L’ON DIT DANS L’HÉMICYCLE DOIT D’ABORD ÊTRE COMPRIS PAR LES NÔTRES AVANT DE L’ÊTRE PAR LES ÉTRANGERS

Ce que j’ai dit et que je défends toujours, c’est que ce que l’on dit dans l’hémicycle doit d’abord être compris par les nôtres avant de l’être par les étrangers. C’est tout à fait légitime que les populations qui parlent exclusivement pulaar, wolof ou soninké et qui ont élu des députés sachent au moins ce qu’il s’y trame.

Nous avons donc supprimé l’interprétariat de l’arabe au français et vice-versa pour instaurer celui de l’arabe vers les langues nationales et inversement. Ceci dit, les documents, qu’ils soient des rapports, des procès-verbaux, des projets ou des propositions de loi, sont toujours traduits en arabe et en français.