Niger : Moussa Aksar, le journaliste qui a défié Kadhafi et Issoufou

De l’implication du « Guide » libyen dans la rébellion touarègue de 2007 à l’affaire de des surfacturations au sein de l’armée… Depuis plus de quinze ans, le journaliste et directeur de la publication de L’Événement traque scandales et malversations. Portrait d’un infatigable enquêteur.

Mis à jour le 1 juillet 2022 à 17:09
 

 

Le journaliste Moussa Aksar, directeur de publication de L’Événement, le 16 mai 2022, à Niamey. © TAGAZA DJIBO pour JA

Il nous a donné rendez-vous dans le quartier populaire de Zabarkan où se trouvent les locaux de L’Événement. Derrière le portail blanc décrépi, qui proclame qu’il « n’y a pas de liberté sans liberté d’informer », se cache une maison basse, presque sans fenêtres. Le soleil peine à y entrer. L’intérieur est étroit et ne paie pas de mine. Juste de quoi abriter le service commercial du journal, les archives et le bureau du pa0

Dans cette pièce où s’empilent dossiers et journaux, Moussa Aksar a soigneusement encadré une reproduction jaunie et agrandie de la carte de presse du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, enlevé à Abidjan en avril 2004. « Cette affiche me donne du courage, confie-t-il. Kieffer a été tué parce qu’il travaillait sur une enquête qui touchait les intérêts de grandes puissances. Chaque fois que je commence une enquête, je le regarde et je me dis qu’il faut continuer le travail afin d’honorer la mémoire de ceux qui se sont sacrifiés pour faire triompher la vérité. »0

L’heure de la gloire et des procès

Des enquêtes, Moussa Aksar en a mené de nombreuses depuis la création de L’Événement, en 2003. Dès 2005, il fait des révélations fracassantes sur Mouammar Kadhafi et ses velléités militaires au Niger, qui lui valent ses premières « intimidations ». Beaucoup, y compris des confrères, lui conseillent d’abandonner. Le journaliste, qui se définit comme « un soldat de l’information », refuse de céder.

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Il est sûr des informations qu’il a recueillies et en veut pour preuve des photos sur lesquelles « on voit des éléments touaregs défiler sous la tente de Kadhafi ». Il s’est même rendu à Agadez et il en est convaincu, le « Guide » envisage de financer une rébellion touarègue au Niger.

Moussa Aksar voit en partie juste. Deux ans plus tard, en 2007, le nord du pays s’embrase, la rébellion est là. Son enquête lance le journal. C’est l’heure de la gloire et des procès. Lors de la publication, le confrère avec lequel il a travaillé subit des pressions : l’ambassade de Libye « l’a sommé de [se] dédire [et de désavouer leur] travail contre de l’argent ». Il ne résiste pas et Aksar se retrouve vite seul face à ce gros dossier. La même année, Kadhafi porte plainte contre le journal. Devant les tribunaux, Moussa Aksar doit défendre son travail – et son honneur – face à l’homme fort de Tripoli. Représenté par un consortium d’avocats bénévoles, le journaliste remporte la bataille.0

Filières de drogues, trafics de médicaments, corruption au plus haut niveau de l’État et dans l’armée – au sein de laquelle il s’est fait beaucoup de contacts –, rien n’échappe au regard acéré de l’enquêteur, dont le nom est désormais connu et reconnu. Les politiques et les décideurs du pays craignent ses questions. Excédés, certains iront même jusqu’à l’agresser physiquement. Son travail dérange.

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En septembre 2020, après plusieurs mois d’investigation, c’est à l’armée qu’il s’attaque, en publiant « Malversations au ministère de la Défense : 71,8 milliards de F CFA captés par des seigneurs du faux » (près de 1,1 million d’euro). Après avoir passé au peigne fin les années 2017-2019, il y montre comment des dizaines de millions d’euros ont été détournés par de hauts responsables de l’armée et proches du pouvoir, en surfacturation de matériel militaire, livraison d’armes défectueuses ou en contrats qui n’ont pas été honorés.

Un journal indépendant

Fils d’éleveur, né en 1964 à Agadez, Moussa Aksar fait ses classes dans sa ville natale, loin du fleuve Niger. C’est en 1983 qu’il arrive à Niamey pour ses études universitaires. Il rêve d’être magistrat, s’inscrit en droit, mais doit abandonner au bout de deux ans, faute d’argent. « Je n’avais pas les moyens de continuer. Il fallait que je travaille vite. »

Il prend alors le chemin du journalisme. D’abord en tant qu’animateur dans une radio de Niamey, pour être à l’écoute de la population et être écouté par elle. « Quand je sors du boulot, je ne m’attends pas à être félicité par un ministre. Je veux être gratifié par “un tablier” ou par un chauffeur de taxi. C’est cela ma récompense. »

C’est sous un arbre qu’avec des confrères lui est venue l’idée de créer L’Événement. « Nous voulions être un journal indépendant, au service de la population, et qui soit là pour dénoncer », se souvient-il. Ils se lancent dans l’aventure en 2003. Ils ont peu d’argent. Pour la première parution, ils mettent tous la main à la poche et parviennent à réunir 100 000 F CFA (152 euros). Un maigre pécule, mais ils tiennent bon. Aksar savait qu’emprunter ce chemin ne serait pas suivre un long fleuve tranquille. « Je navigue à vue, comme dans un labyrinthe. Je ne sais jamais ce que je vais trouver au bout, la mort ou autre chose. »

Les années Issoufou

Le dernier quinquennat a été difficile. « L’arrivée de Mahamadou Issoufou au pouvoir a suscité beaucoup d’espoir. Nous étions tous contre un troisième mandat de Tanja. » Mais les années Issoufou ont finalement été éprouvantes pour le patron de L’Événement, qui estime que l’ancien président a « trompé » et « divisé » le peuple nigérien. Ces deux-là – Issoufou et Aksar – se sont toujours méfiés l’un de l’autre. Aksar accuse même l’ancien président d’avoir interdit aux annonceurs de travailler avec son journal.

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Les conséquences ont été financièrement lourdes. Depuis 2018, c’est l’organisation Free Press qui soutient L’Événement. Le journal a dû renoncer à son édition papier et passer au 100 % numérique. Pour éviter que le pouvoir n’ait la mainmise sur ses journalistes, Aksar a embauché des confrères étrangers et a fait du Béninois Ignace Sossou, sorti de prison en 2020, son rédacteur en chef.

Il espère que le mandat de Mohamed Bazoum sera porteur de changement. « Pour l’heure, Mohamed Bazoum vit son instant de grâce. Mais le PNDS [Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme] le lie encore à Issoufou, observe-t-il. Il essaie de s’émanciper, mais le noyau dur du parti est encore très fort, et cela m’inquiète. Pour réussir, il doit prendre ses distances, sinon c’est lui qui va devoir partir. »

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Une petite ferme le long du fleuve

Si ses écrits sont très engagés, Moussa Aksar n’a jamais songé à « faire de la politique ». Il n’aime pas le protocole. Il préfère s’habiller en jeans et baskets, et aller au champ. C’est à une vingtaine de kilomètres de Niamey qu’il se sent le mieux. Il y a dix-neuf ans, il s’est construit une petite ferme le long du fleuve Niger. Quand il n’est pas au bureau, c’est là-bas qu’il passe ses journées, à cultiver ses hectares de manguiers, à nourrir ses vaches et ses chameaux.

« Je vends du lait et des oignons bio. Cela me permet d’être financièrement indépendant », dit-il fièrement. C’est à ce modèle de croissance qu’il croit. L’uranium et le pétrole sont pour lui loin d’être un modèle de développement. Il rêve d’une société nigérienne où l’élevage et l’agriculture seraient au cœur des préoccupations. Et où les panneaux solaires feraient briller les quartiers les plus obscurs du pays.