[Édito] Le XXIe siècle sera-t-il africain ?

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Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il est président-directeur général du groupe Jeune Afrique.

On me dit qu’il se trouve encore des hommes et des femmes pour penser que, le XIXe siècle ayant été européen et le XXe américain, le XXIe siècle sera russe. S’ils existent, ils sont russes et subjectifs. Ils se trompent en tout cas. Mais ce XXIe siècle, qui en est déjà à sa dix-neuvième année, a-t-il encore une chance d’être africain ? C’est, hélas, peu probable.

En 2050, c’est-à-dire à la moitié de ce XXIe siècle, il est à peu près établi que l’Asie comptera 5,3 milliards d’habitants et l’Afrique entre 2 milliards et 2,5 milliards, dont 85 % en Afrique subsaharienne. On prévoit également que la croissance de la population mondiale se concentrera pour moitié dans neuf pays, dont huit sont aujourd’hui extrêmement pauvres : l’Inde, le Nigeria, la République démocratique du Congo, le Pakistan, l’Éthiopie, la Tanzanie, l’Ouganda et l’Indonésie.

« Un chaudron incandescent »

Actuellement, la moitié des pauvres de la planète sont africains. D’ici à trente ans, leur situation aura-t-elle suffisamment changé ? Il est permis d’en douter. Bernard Attali a été banquier et a présidé aux destinées d’Air France ; dans son dernier livre, Un vent de violence, édité en avril à Paris par Descartes et Cie et Cent Mille Milliards, il affirme son pessimisme : « L’Afrique est un puzzle : on y compte 54 pays. Le littoral et le centre n’ont pas le même destin. L’Afrique du Sud et le Maghreb sont à part. Il ne sert à rien de s’aveugler : l’Afrique est un chaudron incandescent. Dans le Sahel notamment, le Nigeria, le Tchad, le Burkina Faso, le Niger ou le Mali font face à la baisse des prix des matières premières et à un endettement dont le poids s’alourdit avec la hausse des taux d’intérêt.

L’âge médian en Afrique est inférieur à 20 ans alors que règne à peu près partout une gérontocratie autoritaire

Au même moment, l’explosion démographique et les inégalités de revenus laissent des populations rurales et une partie des zones urbaines dans la misère. Pour couronner le tout, d’immenses territoires sont désormais contrôlés par des bandes armées et des djihadistes, face à des appareils d’État souvent au bord de l’effondrement. L’évolution démographique fait de l’Afrique subsaharienne une bombe en cours d’explosion. Le taux d’accroissement de la population y est de 2,7 % par an et le nombre d’enfants par femme dépasse 5 pour tout le continent. L’âge médian en Afrique est inférieur à 20 ans alors que règne à peu près partout une gérontocratie autoritaire.


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L’Afrique subsaharienne sera peuplée de 1,4 milliard d’habitants en 2030. Cela veut dire 2 milliards d’habitants vers 2050. Les quatre pays du Sahel francophone (Burkina Faso, Tchad, Niger et Mali) devraient d’ici là atteindre des chiffres proches de 200 millions d’habitants. Ajoutez-y le Nigeria (190 millions d’habitants à ce jour) et vous aurez une zone de plus de 400, peut-être 500 millions d’habitants.

Pas facile d’améliorer le niveau de vie, ou tout simplement de nourrir une population qui double ou triple en deux ou trois décennies

Un pays comme le Niger, qui comptait 3 millions d’habitants lors de son indépendance en 1960, en a environ 20 millions à ce jour. Il devra assurer la subsistance de 70 millions de personnes en 2050. Pas facile d’améliorer le niveau de vie, ou tout simplement de nourrir une population qui double ou triple en deux ou trois décennies. Et même si les pays concernés parvenaient durablement à un taux de croissance du PIB supérieur à celui de leur population, ils ne pourraient faire reculer la pauvreté.

Leur croissance repose bien souvent sur l’exploitation de ressources naturelles, notamment minières dont les revenus, pour ne pas dire la rente, sont captés par une infime partie de la société. Au rythme actuel l’Afrique comptera 100 millions de chômeurs de plus dans dix ans. Alors que l’Afrique dispose de 60 % des terres arables non cultivées de la planète, la population, essentiellement rurale, tente de survivre en émigrant vers les villes, où elle espère fuir la malnutrition, la famine ou la maladie. »

Afro-pessimisme

J’ai longuement cité Bernard Attali parce que son analyse correspond à celle des afro-­pessimistes. Ils sont nombreux et, en général, connaissent l’Afrique et les Africains. On ne peut leur imputer une quelconque malveillance, car la plupart d’entre eux souhaitent voir les Africains mieux gouvernés et promis à de beaux lendemains. Il nous incombe à nous, Africains, de les démentir en faisant en sorte que l’avenir du continent soit meilleur que celui qu’ils entrevoient.


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Nous devons prouver aux sceptiques – et à nous-mêmes – que nous avons la volonté et les moyens d’épouser le XXIe siècle, et de hisser l’Afrique, dès la prochaine décennie – 2021-2030 – , au niveau des quatre autres continents. Comment ? En nous attelant à résoudre en priorité trois problèmes africains qui sont autant d’obstacles au développement.

a) Depuis des siècles ou des décennies, deux grandes maladies déciment l’Afrique et sa jeunesse : le paludisme, extirpé de tous les autres continents, et le sida. Il faut les combattre beaucoup plus vigoureusement et les vaincre.

b) Plus d’un demi-milliard d’Africains sont encore privés d’électricité. On ne peut pas être à l’âge de la lampe à pétrole et s’industrialiser. Il est donc impératif que chaque Africain dispose de l’électricité dans les dix années qui viennent.

c) Les écoles primaires et secondaires ainsi que les universités africaines accusent un retard sur celles des autres continents. Il faut le rattraper. Tant qu’on n’aura pas amélioré considérablement l’éducation des Africaines et des Africains, on ne pourra prétendre que l’Afrique est sur le point de « décoller ».

Si vous n’êtes pas avec ceux qui sont autour de la table, vous courez le risque d’être au menu

Beaucoup mieux gouvernés, les Africains pourraient, dans la prochaine décennie, résoudre ces trois grands problèmes. Et, ainsi, lever les trois derniers obstacles qui les séparent du développement. Les sceptiques n’auront alors plus aucune raison de soutenir que l’Afrique n’est pas encore bien partie. « Si vous n’êtes pas avec ceux qui sont autour de la table, vous courez le risque d’être au menu », dit un proverbe italien. Les Africains, dès lors qu’ils auront pris le chemin du développement, cesseront d’être au menu des afro-pessimistes et seront autour de la table, avec les décideurs.