Dans le numéro 1080 du "Petit Echo" cet article bien intéressant qui retrace les soixante années de présence des Pères Blancs au Sénégal.

 

Les Pères Blancs au Sénégal

Après son décès, en février dernier, parmi les nombreux écrits laissés par Joseph de Benoist, le P. François Richard a trouvé cet article non publié. Dans notre préparation du 150ème anniversaire de la Société, nous faisons mémoire de certaines figures de confrères qui ont marqué leur entourage… Ici, nous avons plusieurs confrères qui ont écrit une page de l’histoire de l’Eglise au Sénégal, que sans doute beaucoup d’entre nous ne connaissent pas.

Les premiers Pères Blancs à venir au Sénégal sont les PP.Eveillard, Dupuis et Ficheux, compagnons du P.Augustin Hacquard, qui venaient fonder les missions de Ségou et de Tombouctou. Débarqués le 5 janvier 1895 à Dakar, ils prirent le train pour Saint-Louis du Sénégal, où le P.Hacquard donna une conférence à l’Alliance Française. Le 16 janvier 1895, la caravane embarqua sur le Brière de l’Isle, un vapeur de 50 tonneaux qui, en cette période de basses eaux, n’allait que jusqu’à Podor où il arriva le lendemain et où les missionnaires embarquèrent sur des chalands qui les amenèrent à Kayes le 12 février. De là les Pères continuèrent leur route en train, en pirogue, à cheval et à pied jusqu’à Ségou où ils arrivèrent le 1er avril 1895. Les années suivantes, plusieurs caravanes de Pères Blancs transitèrent par le Sénégal, où ils reçurent toujours un accueil très fraternel des PP. Spiritains.

                              P. Augustin Hacquard et P. Auguste Dupuis

En juin 1947, les Ordinaires appartenant aux trois Instituts missionnaires travaillant en Afrique Occidentale française (Congrégation du Saint-Esprit, Missions Africaines, Pères Blancs) se réunirent à Koumi ; étaient absents, deux évêques spiritains : Mgr Grimault (Dakar, alors démissionnaire) et Mgr Lerouge (Conakry). Les évêques décidèrent de coordonner leurs activités et nommèrent le P. Jacques Bertho (SMA), représentant fédéral de l’Enseignement Privé Catholique, et le P. Georges Courrier, spiritain, directeur fédéral des Œuvres (cela désignait alors toutes les formes d’Apostolat des Laïcs). Ils demandèrent aux Pères Blancs de prendre en charge la communication sociale.

           P. Marcel Paternot dirigeant une prière

Cette tâche fut confièe au P. Marcel Paternot, ancien préfet apostolique de Bobo-Dioulasso, démissionnaire à la suite d’un accident et alors procureur à Lyon. En 1948, le P. Paternot arriva à Dakar, mais le P. Salomon, alors vicaire capitulaire, lui demanda de s’installer à Rufisque, à 25 km de Dakar. Le Père obtint bientôt de louer à l’Armée française des baraquements situés à Cambérène , dans les environs immédiats de la capitale. Il reçut du renfort en la personne des PP. Prost, Rummelhardt et Jamet et du Fr. Roger-Marie. Un peu plus tard arriva le P. Henri Etienne qui prit en charge une procure : à l’époque la plupart des Pères Blancs allant au Soudan voyageaient par bateau et transitaient par Dakar. Le P. Paternot acheta un terrain entre le quartier résidentiel et administratif du Plateau et du quartier populaire de la Médina. Il y fit construire un immeuble de deux étages, en face de l’actuelle Grande Mosquée. En même temps il prépara le lancement d’un périodique.

P. Jamet

Le premier numéro d’Afrique Nouvelle parut le 15 juin 1947. D’abord bimensuel, la publication devint très vite hebdomadaire et était diffusée en AOF, au Cameroun et en AEF en attendant que soient créés La Semaine en AEF et l’Effort Camerounais. Dans ce premier numéro, l’éditorial était de Joseph Ki Zerbo, et le P. Paternot expliquait la devise du journal : Connaître, Aimer, Servir. En octobre 1950, le Conseil généralice envoya deux confrères acquérir une formation professionnelle à l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille : les PP. François Jacquet (ordination 1949) et le P. Roger de Benoist (ordination 1950). Le P. Jacquet vint renforcer l’équipe dés octobre 1950, et le P. de Benoist, après quelques stages en France, arriva à Dakar le 15 mai 1951 en remplacement du P.Jamet.

Malgré un tirage qui resta toujours modeste, Afrique Nouvelle devint très vite un élément essentiel de l’évolution socio-politique de l’AOF. Pendant les quinze premières années de son existence, l’hebdomadaire n’eut aucune concurrence (ni radio, ni télévision et presque pas d’autres journaux). Il devint très vite l’unique moyen de dialogue entre les dirigeants africains et leurs électeurs. Félix Houphouët Boigny a dit : « Si vous voulez faire savoir quelque chose en AOF, écrivez-le dans Afrique Nouvelle ». Un procès intenté par le Gouverneur général Béchard en 1951 confirma la conviction des lecteurs que l’équipe du journal était aux côtés des Africains dans leur combat contre les abus de la colonisation et bientôt dans leur aspiration à l’indépendance.

Cette orientation du journal ne plaisait pas à son tuteur ecclésiastique, Mgr Marcel Lefebvre, vicaire apostolique, puis archevêque de Dakar. Ce dernier demanda au Supérieur général des Pères Blancs le départ du P. Paternot en août 1952 , et celui de son successeur, le P. Rummelhardt en septembre 1954. Rome demanda au P. de Benoist d’assurer pour quatre mois un interim de la direction. Faute d’un accord entre Mgr Lefebvre et les Pères Blancs sur la nomination d’un nouveau directeur, cet interim dura jusqu’à la fin de 1959. (Lorsque le P. de Benoist déposa son dossier administratif de directeur de publication, il reçut l‘autorisation de devenir directeur de publication sous les prénoms de Joseph Marie Roger, ce dernier étant le seul couramment utilisé jusque là par ses proches. D’où la modification de l’état-civil du Père : Joseph-Roger.) Entre temps jaillit une autre source de conflit. Le journal était fabriqué dans une imprimerie commerciale. En 1955, pour pouvoir assumer plus complètement la mission reçue en 1945, les Pères Blancs envisagèrent de créer une Oeuvre de presse avec une imprimerie commerciale capable de publier d’autres organes et des livres. Les Sœurs de Saint-Pierre Claver, spécialisées dans l’apostolat du livre, étaient prêtes à venir s’installer à Dakar. Craignant une concurrence pour son imprimerie diocésaine, qui était source de revenus, Mgr Lefèbvre s’opposa à cette fondation, fit appel à l’Œuvre de Saint-Paul (Fribourg) pour diriger sa propre imprimerie et obligea les Pères Blancs à y faire imprimer Afrique Nouvelle. En 1955, le P. Louis Martin fut

P. Louis Martin

affecté à la rédaction. En marge de leur travail au journal, les Pères ont toujours eu une activité apostolique : messe dominicale pour les chrétiens de leur quartier, aumôneries diverses ( Marine française, scouts, JOC/F). En 1958, le P. de Benoist obtint de Rome une importante subvention pour construire une Maison de la Presse, dont il avait déjà les plans, et M.Mamadou Dia, alors chef du gouvernement sénégalais, lui donna pour construire le bâtiment, le terrain situé en face de la maison des Pères Blancs et sur lequel fut édifié plus tard le minaret de la Grande Mosquée…

Le projet ne fut pas réalisé : dans le courant de 1959. Mgr Lefèbvre demanda le départ du P. de Benoist qui fut effectif en décembre. (Le P. de Benoist resta alors quatre ans au Mali : stage de langue à Faladyé, dix-huit mois à Kolongotomo, deux ans à Bamako où il ouvrit la librairie Djoliba, germe du Centre du même nom.) Ce fut l’occasion pour transmettre la responsabilité du journal aux laïcs, seul le P. Martin y travaillant encore quelques mois. Les Pères Blancs souhaitant conserver à Dakar, au moins pendant quelque temps, une procure, ils achetèrent au Point A une villa où s’installa le P. Etienne, bientôt rejoint par les PP. Bouteille (venant de Bamako) et Fournier-Leray (de Guinée). Ceux-ci assuraient l’enseignement religieux dans plusieurs établissements scolaires.

En 1968, Mgr Hyacinthe Thiandoum, successeur de Mgr Lefèbvre à la tête de l’archidiocèse, demanda aux Pères Blancs un prêtre pour desservir la paroisse Saint-Pierre des Baobabs, fondée en 1960 par l’abbé Baudu, prêtre Fidei Donum, qui était rentré en France. Le P. Bouteille s’installa dans la sacristie de la grande salle qui servait d’église. En avril 1976, quand Mgr Thiandoum demanda aux Pères Blancs de prendre la paroisse en charge, ceux-ci acceptèrent à condition que le diocèse construise l’église paroissiale. Pour cela ils firent don de leur immeuble dont la vente aurait dû normalement financer la construction de l’église. Mais l’économe diocésain, le P. Vassal, spiritain, préféra le louer, les loyers permettant de rembourser l’emprunt fait pour édifier un immeuble de rapport, qu’il avait fait construire au sommet du Plateau, connu sous le nom d’immeuble rose (avenue de Jambaar).

Le P. Bouteille travailla alors au Secrétariat Episcopal de Pastorale (SEP) et en prit quelque temps la direction ; il logeait alors à la paroisse des Martyrs de l’Ouganda, chez les PP. Piaristes catalans. Une équipe de Pères Blancs prit alors en charge la paroisse Saint-Pierre des Baobabs : s’y succédèrent les PP. Nellis, Decavelé, Continente, Labiano, Balduz. Le P. Fondeur vint s’occuper pendant quelque temps de l’administration d’Afrique Nouvelle. Faute d’avoir une église, le P. Decavelé trouva auprès de bienfaiteurs belges les fonds pour construire une grande salle polyvalente à côté du presbytère. Il était très populaire auprès des jeunes catholiques sénégalais. En 1986, le Supérieur régional du Mali jugea opportun de retirer les Pères de la paroisse, qui fut alors reprise par les PP. Sacramentins italiens, déjà responsables de la paroisse voisine de Saint-Joseph de Médina. Le départ du P. Etienne, mort à Paris en 1978, avait entraîné la suppression de la Procure et la vente de la villa du Pont A.

En 1973, le P. de Benoist était à Bobo-Dioulasso et il venait de publier la biographie du P. Jean-Louis Goarnisson, qui avait été conseiller général de la Haute-Volta. Cela conduisit le Père à reprendre contact avec l’histoire de la décolonisation. A l’occasion d’une rencontre avec le Président Léopold Sédar Senghor dans sa villa de Verson, en Normandie, celui-ci lui suggéra de venir travailler à Dakar dans le cadre de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN). Pour cela, le Père s’inscrivit à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes en sciences sociales pour y obtenir en 1976 le diplôme des Hautes Etudes (La balkanisation de l’AOF) et en juillet 1976 le doctorat de 3ème cycle. Il avait passé quelque temps en AOF et notamment au Sénégal, pour y achever sa thèse (L’AOF de 1944 à 1960). Il entra comme chercheur à l’IFAN en octobre 1978, obtint le doctorat d’Etat en avril 1985 (Administration coloniale et Missions catholiques au Soudan et en Haute-Volta) et fut en 1990 le premier directeur de recherche de l’Institut. A partir de 1989, il fut nommé conseiller du Musée historique du Sénégal à Gorée, ce qui l’amena à se spécialiser dans l’histoire de l’île. Pendant toute cette période, il habita un logement personnel et participa au ministère à la Cathédrale comme vicaire dominical (Fonction qu’il a occupée jusqu’à son départ du Sénégal). Le 1er janvier 1993, il fut mis à la retraite de l’IFAN et s’installa à la Procure du diocèse, puis, à partir de 2002 au presbytère de la Cathédrale. Les évêques du Sénégal lui demandèrent de faire l’histoire de l’Eglise catholique au Sénégal. Le livre (Du milieu du XVe siècle à l’aube du 3ème millénaire : l’Eglise catholique au Sénégal) parut aux éditions Karthala en 2008. Entre temps il a publié une Histoire de Gorée (en collaboration, chez Maisonneuve et Larose), un livre sur le Mali (publié et réédité à L’Harmattan) et un portrait de Léopold Sédar Senghor, politique et chrétien (Editions Beauchesne). Le Père de Benoist rentra définitivement en France en 20. La contribution de la Société à la vie de l’Église au Sénégal a duré a duré 60 ans.

Joseph Roger de Benoist