Lumen vitae : l’Eglise au défi de l’interculturalité

revue2015_4Nous avons là une série de contributions de niveau universitaire concernant l’Eglise et les chrétiens que nous sommes face à l’interculturalité de nos sociétés du 21ème siècle. Les contributeurs viennent surtout d’outre Atlantique même si on y trouve Walter Lesch de Louvain-la-Neuve et Michel Younes de France. Bruno Demers commence par nous situer la problématique et Michel Proulx nous montre l’interculturalité dans le Pentateuque et les lettres de Paul. Les autres contributions veulent nous aider à réagir d’une manière équilibrée sans mettre en péril ce qui fait notre identité et notre culture. Chaque contribution apporte un éclairage spécifique. On pourrait en faire une certaine synthèse comme suit.

Tout d’abord, cette mondialisation qui nous affecte n’est pas de plus parfaite. Elle semble se mouvoir « hors sol, sans attache », c’est-à-dire hors de toute culture (416). Il ne faut pas oublier que toutes les institutions internationales qui en découlent, même si elles sont très utiles, semblent dépendantes des principes du temps de leur institution en 1945 (411)

Entrer dans cette interculturalité qui se trouve à nos portes ne sera donc pas une « petite promenade en compagnie de belles âmes » (401). Face à l’autre, au différent, « la bonne volonté ne suffit pas » (435). Il faut des compétences, des aptitudes et savoir les utiliser de manière appropriée (438) tout en sachant bien que la persévérance sera souvent plus vertueuse et attractive que notre expertise (436). Notre défi sera alors de garder un sens de la relativité sans devenir relativiste (403) ou encore essayer de vivre culturellement sa foi sans accepter inconditionnellement sa culture. (434).

Nos communautés paroissiales sont certainement multiculturelles mais sont-elles interculturelles ? Nous le voyons ; nous avons encore « du pain sur la planche ». Nous pouvons nous mettre au travail afin d’établir un vivre-ensemble qui sache mettre en place une certaine régulation des différences culturelles au sein de nos communautés ; convaincus que nous sommes « qu’une culture particulière devient violente dès qu’elle prétend être universelle » (366) Gilles Mathorel

L’Eglise au défi de l’interculturalité Lumen Vitae (Revue internationale de catéchèse et de pastorale) n.4/2015 – pages 365 à 444

 

Hela Ouardi : les derniers jours de Muhammad

9782226316448g Hela Ouardi couvertureHela Ouardi est une universitaire tunisienne. Dans ce livre imposant, elle cherche à nous faire revivre les derniers jours de Muhammad et ainsi de lui redonner sa pleine humanité telle qu’elle a pu se manifester an 7ème siècle en Arabie. Dans son livre, elle consacre 234 pages à ce récit ; il est suivi de 40 pages qu’elle intitule « Questions historiographiques » dans lesquelles elle présente ses différentes sources que ce soit les non musulmanes (6 pages), musulmanes (8 pages) arabes (9 pages). Très importants aussi sont les notes de bas de pages qui sont rassemblées en fin de volume et couvrent un total de 83 pages. C’est dire combien son travail est tout à fait sérieux, académique, universitaire.

Elle nous montre ainsi un visage de Muhammad auquel nos amis musulmans ne nous ont pas tellement habitués. Elle nous le présente comme un homme menacé, affaibli par des rivalités internes dues souvent à ses propres Compagnons luttant déjà pour prendre sa succession à la tête de la Umma. Ainsi souligne un commentateur, « Elle oppose aux mémoires idéologisées, le portrait d’un homme rendu à une historicité et à sa dimension tragique. »

Il ne faut donc pas chercher dans ce livre un portrait cohérent de ce qu’a été Muhammad. L’auteure se limite aux données historiques, souvent très éparses, concernant les derniers jours de sa vie. Cela nous permet d’avoir un aperçu sur la dimension profondément humaine de cet homme qui fut aussi profondément religieux. On pourra critiquer avec raison ce livre mais on devra le faire d’une manière scientifique et historique. Ainsi, le Sénégal a déjà mis ce livre à l’index et empêché sa vente dans ce pays. Mais nous ne devons pas avoir peur des réalités historiques même si elles doivent ternir les images traditionnelles et parfois idéalisées que nous pouvons avoir de Muhammad. En lui redonnant ses aspects purement humains, on n’en diminue pas pour autant toute sa valeur comme origine d’une des plus grandes religions du monde.

Il reste néanmoins que dans son dernier chapitre et dans son épilogue, l’auteure s’éloigne un peu du récit historique pur. Elle se fait alors l’écho de quelques théories qui restent ouvertes à de plus amples recherches et profondes discussions.

Un livre facile à lire et à garder dans sa bibliothèque par tous ceux et celles qui s’intéressent à l’Islam. Gilles Mathorel

Hela Ouardi. Les derniers jours de Muhammad. Albin Michel 2016 – 360 pages – 19.50€

 

Mustapha Cherif : « l’emir Abdelkader apôtre de la fraternité »

Mise en page 1Mustapha Cherif est un universitaire et islamologue réputé. Il nous livre ici son regard personnel sur une grande personnalité de l’histoire d’Algérie : l’Emir Abdelkader. Il est convaincu que ce dernier a toujours un message pour tous et plus spécialement le peuple algérien. « Plus que jamais nous avons à nous ressourcer à la pensée de l’Emir Abdelkader, homme total et précieux pour notre temps. » (p.12). D’une lecture très facile, ce livre nous propose en 7 chapitres un regard serein sur ce héros de l’histoire algérienne. Il alterne les récits plus historiques (Résistant, captif, exilé, chef d’Etat, sauveur des chrétiens de Damas) avec des réflexions sociologiques et spirituelles (Le maître spirituel, l’humaniste spirituel, le chantre du dialogue des civilisations). Pour l’auteur, l’Emir a fondé l’état moderne algérien : « Cet état n’a duré que quinze années, mais il a laissé des traces. » (p.115) ; et d’ajouter : « Durant 132 ans, de 1830 à 1962, la mémoire collective algérienne ne faiblit pas malgré la répression féroce et sanglante …Les traces de l’émir, du peuple algérien, ne s’effacent pas. Elles permettent de résister aux traumatismes et de garder ouvertes les portes de l’avenir. » (p.116-117).

Mustapha Cherif présente aussi Abdelkader comme le chantre du dialogue des civilisations. Et il est vrai qu’en ce domaine, il pourrait ne inspirer plus d’un. Mais ce dialogue ne peut avoir lieu que dans le respect des différences. Alors, notre auteur nous invite à aller plus loin avec ces lignes : « Malgré les avancées du droit international depuis la création de l’ONU, aucune règle ni limite n’organisent suffisamment et en profondeur la vivre-ensemble. Tout devient permis pour nier la différence. » (p.130). Néanmoins, un avenir est possible : « Autour de la Méditerranée et partout dans le monde, si la mémoire de l’Emir est célébrée et réactualisée, les peuples pourront contribuer à la réinvention de la civilisation. » (p.153). Au moment où tout le bassin méditerranéen semble s’embraser, ces lignes peuvent être prophétiques. L’Occident est souvent bien fier du chrétien Augustin d’Hippone comme pouvant être considéré comme une des colonnes de l’histoire algérienne. Le livre de Mustapha Cherif nous invite à y mettre en parallèle une deuxième colonne le musulman Abdelkader. Gilles Mathorel

« L’Emir Abdelkader Apôtre de la fraternité » Mustapha CHERIF.Odile Jacob 2016 – 160 pages – 21€