Voix d'Afrique N°108.

« Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ;
ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne… »
(Jn 14, 27)


P. Guy Vuillemin, missionnaire au Mali,
au Kenya et en France


La paix est le don le plus précieux que Jésus, Christ, nous a laissé… Avant sa passion et sa mort et, après sa résurrection quand il s’est manifesté à ses apôtres et disciples, il leur a confié la paix… Qu’avons-nous fait de ce don ? Il suffit de se tenir informé sur ce qui se passe dans notre monde, aujourd’hui, que ce soit dans des pays de tradition chrétienne ou dans des pays où la majorité de la population est d’une autre tradition religieuse, pour constater que règnent en maîtres des conflits, des inimitiés, la violence, l’injustice, la haine et la terreur… Et pourtant, pourrions-nous dire, jamais nous n’avons constaté autant de réunions, de commissions, pour trouver des solutions et rétablir la paix.

Mais la paix que nous recherchons, n’est-elle pas une paix à la manière du monde, une paix à notre mesure ? Souvent, pour la bâtir, nous isolons les problèmes, sans chercher les soubassements réels et profonds des raisons de tel ou tel conflit et la solution proposée est bancale, car partielle, voire partiale. Parfois aussi, pour avoir la paix et nous prémunir contre la contagion des conflits, nous nous isolons en construisant des murs, soit en pierre ou en béton, soit en excluant ceux qui pourraient être comme des chevaux de Troie dans notre espace quotidien. Parfois encore, pour jouir de notre tranquillité et la garder, nous préférons fermer les yeux sur les injustices subies par les autres, loin de nous, et refusons égoïstement de remettre en question notre manière de vivre. Nous glissons souvent assez rapidement vers les solutions faciles qui ne nous engagent pas et surtout ne touchent pas à nos acquis. Ce n’est pas de cette manière que le Christ nous donne sa paix.

En nous donnant sa Paix, le Christ aurait pu nous poser deux questions. Elles se trouvent toutes les deux dans le premier livre de la Bible. La première est celle que Dieu pose à Adam et Eve qui se sont cachés à ses yeux : « Où es-tu ? » La deuxième est posée par Dieu à Caïn qui venait de tuer son frère Abel : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » Ces deux questions nous invitent à nous situer chacun, personnellement, dans notre relation à Dieu et dans notre relation aux autres êtres humains. Nous ne pouvons vivre de la Paix que le Christ nous a donnée en héritage et en devenir les artisans, c’est-à-dire en collaborant avec Lui pour en faire l’héritage de toute l’humanité, sans que ces deux relations soient ajustées à ce qu’Il attend de nous.


Statue de Caïn aux Tuileries

Qu’en est-il de notre relation à Dieu ? Nous vivons dans le monde occidental très sécularisé. Pour beaucoup de Français, Dieu a disparu de leur horizon de pensée. Et, pour d’autres, si Dieu existe encore, il est souvent perçu comme un juge qui condamne ou un magicien qui peut tout régler d’un coup de baguette magique. Pour une grande partie d’entre nous, la seule chose qui compte, c’est de faire ce qui nous plaît, sans limite à nos désirs, et de défendre à tout prix notre liberté de le faire, sans aucun souci des autres. Nous sommes devenus nos propres « dieux ».

Qu’en est-il de notre relation aux autres ? Nous vivons dans un monde en voie de globalisation. La planète est un village. Mais nous avons du mal à l’accepter. Non pas pour ce qui concerne les biens de consommation, car nous sommes heureux de pouvoir jouir des biens au moindre coût, fabriqués ailleurs, et de manger, en toute saison, nos fruits ou aliments préférés, venus de tous les continents. Là où nous avons peur, c’est quand les autres, producteurs de ce que nous consommons, veulent s’inviter à notre table et venir nous déranger dans nos habitudes, nos manières de faire et d’être. Nous avons peur de perdre notre identité, d’être remis en question, d’être submergés.


Je vous donne un commandement nouveau :
aimez-vous comme je vous ai aimés.

Ayant mis Dieu de côté, nous n’avons pas trop mauvaise conscience de mettre les autres de côté, ceux qui, proches de nous, sont différents et ceux qui, venus de plus loin, ont réussi à traverser déserts et mers pour arriver dans notre monde, où ils espéraient trouver une vie meilleure.

La Paix, que nous a donnée Jésus, repose sur trois piliers, qui concernent et notre relation à Dieu et notre relation aux autres. Les noms de ces trois piliers sont inscrits sur la façade de tous les bâtiments publics de France : Liberté, Égalité, Fraternité.

Chrétiens, nous croyons en un Dieu qui n’est qu’Amour et qui n’a qu’un désir, celui de rassembler dans son Amour tous les hommes en les faisant participer à sa divinité et en les faisant vivre de sa Vie. Son Amour, il ne l’impose pas et il ne le reprend pas. Il l’offre et le donne gratuitement. Si, pleinement libres, nous l’avons accueilli et avons accepté d’en vivre, nous nous devons de nous efforcer d’entrer dans la logique de cet amour. Les évangiles et les lettres de Paul nous indiquent que c’est comme le Christ que nous devons aimer, en serviteurs, en donnant notre vie, en mourant à nous-mêmes, en étant non-violents, en ayant faim et soif de justice, en étant miséricordieux, en partageant, en ayant, comme Dieu lui-même, l’autre au cœur de notre cœur. Nous sommes des êtres libres, oui, mais des êtres libres, non pas pour faire n’importe quoi ou pour défendre seulement la liberté de nos droits, mais libres pour aimer, pour devenir des hommes et des femmes accordés au cœur du Dieu auquel nous croyons.

Chrétiens, nous croyons en un Dieu qui a créé le monde et l’homme dans une immense diversité. La diversité de la nature, des plantes, des animaux et des paysages, est une richesse incomparable. L’homme et la femme sont différents, c’est une richesse extraordinaire. Loin de les éloigner l’un de l’autre, la communion de leurs différences est génératrice de vie et la complémentarité de leurs différences les rend égaux dans leurs responsabilités de gérants de la création dans sa diversité et de sa préservation.

Chrétiens, nous croyons en un Dieu, qui désire être reconnu comme le Père de tous les hommes, qu’il appelle ses fils et ses filles. En lui, l’humanité ne forme qu’une seule famille humaine dans laquelle tous se reconnaissent comme frères et sœurs. Ce Dieu Père, par les moyens que lui seul connaît, veut que le mystère pascal de son Fils les rejoigne tous et travaille au cœur de tous par les murmures de son Esprit. S’il l’avait voulu, il aurait pu faire de tous une seule communauté croyante, mais il a voulu que nous nous stimulions les uns les autres en travaillant au bien de tous.

Amis lecteurs, amis croyants, amis chrétiens, avec nous, Missionnaires d’Afrique, pour faire fructifier la Paix, celle que le Crucifié ressuscité nous a laissée, nous a donnée, nous sommes invités, aujourd’hui, à conjuguer ensemble la liberté, l’égalité et la fraternité. Car une liberté sans égalité et sans fraternité, une égalité sans liberté et sans fraternité, une fraternité sans liberté et sans égalité ne seront que des compromis d’une paix à la manière du monde.

Guy Vuillemin,
Missionnaire d’Afrique