La démocratie togolaise face à ses défis

S’accommoder d’une démocratie balbutiante est-il le prix à payer pour obtenir la paix et le développement ? Face à cette épineuse question, l’opposition a plus que jamais un rôle crucial à jouer.

Mis à jour le 2 mai 2023 à 12:48
 
 dfi2

Par Georges Dougueli

Journaliste spécialisé sur l'Afrique subsaharienne, il s’occupe particulièrement de l’Afrique centrale, de l’Union africaine et de la diversité en France. Il se passionne notamment pour les grands reportages et les coulisses de la politique.

 
  dfi1
 

 

Élection présidentielle à Lomé, le 22 février 2020. © Sunday Alamba/AP/SIPA

 

« La démocratie est le meilleur outil dont nous disposons pour relever le large éventail de défis auxquels nous sommes tous confrontés », déclarait, en décembre 2021, le président américain Joe Biden lors d’un sommet organisé à Washington avec des dirigeants africains. Parmi eux, Faure Essozimna Gnassingbé écoutait, impassible. S’il s’était exprimé sur ce sujet, le chef de l’État togolais aurait probablement tenu un propos plus nuancé que celui de son homologue.

Vu d’Afrique sahélienne, « l’outil » démocratique étant encore en rodage, le développement économique serait peut-être le meilleur moyen de surmonter les défis auxquels le président des États-Unis faisait allusion.

Quelques entorses aux libertés

Prenons un grand défi de l’heure : le terrorisme qui menace le nord du Togo. Un phénomène qui s’impose de lui-même, qui peut survenir n’importe quand, n’importe où, de façon violente et aveugle. Il échappe à toute logique, ne connaît pas de frontières, menace les grandes démocraties, compromet à lui seul la stabilité des petits et des grands pays, se nourrit des injustices autant que de l’absence de progrès économiques et sociaux.

À LIRETogo : Faure Essozimna Gnassingbé, la méthode pour durer ?

Des études ont démontré que la décision de rejoindre ces groupes armés n’est pas toujours le résultat d’un endoctrinement. L’absence d’État peut pousser les jeunes à s’enrôler pour se protéger des attaques d’un groupe rival ou pour simplement disposer d’une arme avec laquelle ils espèrent protéger le bétail de la famille.

La situation est donc beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Et le Togo est d’autant plus exposé que son économie repose sur un secteur tertiaire qui contribue à plus de la moitié du PIB (58,6 %) et est centré sur les activités logistiques, du commerce et de la finance. Laisser proliférer l’insécurité en provoquerait l’effondrement.

Entendons-nous bien. Il n’est pas question de sacrifier la démocratie sur l’autel de la stabilité et du développement. Mais la lutte livrée à ces sauvages vaut bien quelques entorses aux libertés. Ce qui relativise quelque peu le propos de Joe Biden.

L’incurie des forces du changement

Soyons honnêtes, les incursions terroristes sont loin d’être les seuls freins aux avancées démocratiques. En dépit de nombreuses réformes institutionnelles, le pays ne parvient pas organiser une élection présidentielle dont les résultats sont acceptés par tous. Les crises post-électorales se suivent, avec leurs cortèges de tensions, parfois de violences. Dans l’absolu, toute crise relève de la responsabilité de ceux qui gouvernent et disposent de la capacité de légiférer grâce à la confortable majorité dont ils bénéficient au Parlement. À l’exécutif togolais, donc, de trouver la formule susceptible de susciter l’adhésion des populations aux règles du processus démocratique.

Mais cette démocratie balbutie aussi à cause de l’incurie des forces du changement. À cause d’une opposition qui n’a jamais pu se départir de la tentation de la table rase, visant non pas à proposer un projet alternatif constructif pour le Togo, mais à chasser la famille Gnassingbé du pouvoir.

À LIRETogo : Jean-Pierre Fabre, Gerry Taama, Agbéyomé Kodjo ou Tikpi Atchadam… Qui incarne vraiment l’opposition ?

Depuis la présidentielle de février 2020, l’opposition n’est plus incarnée. Tel un champ de ruines représenté par une nébuleuse, la Dynamique monseigneur Kpodzro (DMK) – rebaptisée Dynamique pour la majorité du peuple (DMP) en avril –, l’opposition tente désespérément de maintenir ses partisans dans une lutte pour faire reconnaître la victoire de Messan Agbéyomé Kodjo lors du scrutin de 2020. Peine perdue, le front s’effrite depuis que le gouvernement a annoncé la tenue d’élections législatives et régionales en 2023. En dépit des mots d’ordre de boycott lancés par l’ecclésiastique qui cornaque la formation, une partie des troupes veut prendre part aux deux scrutins à venir.

Non seulement l’« outil démocratie » vanté par Biden n’est pas prêt à l’usage mais, bien que nécessaire, il reste insuffisant pour faire face aux défis de l’heure.