Sahel : les secrets de la résilience sécuritaire du Niger

Confronté à la menace jihadiste sur toutes ses frontières, le Niger est jusqu’à présent parvenu à empêcher les groupes terroristes de s’installer sur son territoire. Comment et avec quels moyens ? Décryptage.

Mis à jour le 26 juin 2022 à 10:51
 
Seidik Abba
 

Par Seidik Abba

Journaliste et écrivain

 

Les Forces armées nigériennes (FAN) en patrouille près de Ouallam, dans la région de Tillabéri, le 6 juillet 2021. © Media Coulibaly/REUTERS

 

« Consolider et avancer » : le slogan de campagne de Mohamed Bazoum aura trouvé sa meilleure illustration en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme. En s’installant, le 2 avril 2021, dans le fauteuil de son prédécesseur Mahamadou Issoufou, le président nigérien a hérité d’un pays qui affiche une résilience surprenante face à des menaces exceptionnelles dans le contexte sahélien.

De tous ses voisins immédiats, voire de tous les États sahéliens, le Niger est le seul à devoir juguler une insécurité prégnante sur trois frontières : sud-est avec le Nigeria (Boko Haram), nord-ouest avec le Burkina et le Mali (les groupes jihadistes) et nord avec la Libye (État islamique et faillite de l’État libyen). Et pourtant, à l’exception des îles nigériennes du lac Tchad, aucun pan du territoire national n’est occupé en permanence par les groupes terroristes qui écument le Sahel. Cette situation contraste fortement avec celle de ses voisins burkinabè et malien.

Épreuves du feu

La résilience nigérienne vient, notamment, de l’aguerrissement de son armée forgé par de nombreuses rébellions, dont celle de 1991 à 1995 achevée par la signature de l’accord de paix de Ouagadougou, le 24 avril 1995, et celle du Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ), déclenchée en 2007 et matée par le président Mamadou Tandja.

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De ces nombreuses épreuves, les forces armées nigériennes (FAN) ont acquis une expérience du combat qu’elles mobilisent aujourd’hui avec une certaine efficacité face à Boko Haram, à la Province de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap, en anglais, aile dissidente de Boko Haram), au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et à l’État islamique au Grand Sahara (EIGS).

Des “épreuves du feu” qui ont conféré sa réputation et sa légitimité au général Salifou Modi, patron de l’armée nigérienne, rappelé en urgence en janvier 2020 pour prendre la tête d’un corps qui venait de subir le plus grand revers de son histoire à Chinégodar, près de la frontière avec le Mali, lors d’une attaque terroriste qui avait fait près de 90 victimes dans ses rangs.

DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES, LE NIGER AFFECTE 15 % DE SON BUDGET AUX DÉPENSES MILITAIRES ET SÉCURITAIRES

Cependant, l’aguerrissement des troupes n’aurait pas suffi s’il n’avait été soutenu par un effort sans précédent en équipement et en formation. Depuis plusieurs années, le Niger affecte pas moins de 15 % de son budget annuel aux dépenses militaires et sécuritaires. Selon le décompte de la société civile nigérienne – qui ne se prive pas, au passage, de déplorer des scandales de détournements de fonds -, près de 1 700 milliard de F CFA (plus de 2,58 milliards d’euros) ont été décaissés ces dix dernières années en faveur du secteur de la sécurité et de la défense.

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La résilience nigérienne repose aussi sur une stratégie de défense opérationnelle du territoire qui convoque armée nationale et forces de sécurité intérieure : la garde nationale, la gendarmerie nationale, la police nationale, ainsi que les autres forces paramilitaires (eaux et forêts, douanes, etc.).

LE PAYS AFFICHE UN MAILLAGE DE POSTES OPÉRATIONNELS AVANCÉS QUI FAIT PÂLIR DE JALOUSIE SON PUISSANT VOISIN NIGÉRIAN

Résultat : malgré son immense superficie (1,267 million de kilomètres carrés) qui en fait le plus vaste pays d’Afrique de l’Ouest, le Niger dispose d’un bon maillage de son territoire en matière de défense et de sécurité. Sur sa frontière sud-est, commune avec le Nigeria, le pays affiche même un important réseau de postes opérationnels avancés mobiles et statiques qui fait pâlir de jalousie son puissant voisin.

La fin d’un tabou

Désireux de consolider les acquis de l’ère Issoufou mais, surtout, d’adapter la réponse de son pays à l’évolution de la menace, le président Bazoum, qui se défend toutefois de toute rupture avec son mentor, a brisé le tabou du dialogue entre l’État nigérien et les jihadistes. Une hypothèse qui avait toujours été balayée d’un revers de la main pendant les deux mandats de son prédécesseur.

Lors d’une rencontre avec les cadres nationaux en février dernier, le chef de l’État nigérien a indiqué qu’il avait ordonné la libération de certains jihadistes détenus à la prison de haute sécurité de Koutoukalé, à 50 km au nord-ouest de Niamey. Il avait également assuré que l’État était entré en contact avec les parents de certains jeunes engagés dans les groupes terroristes, inscrivant ces deux initiatives dans sa volonté d’explorer des solutions non militaires.

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Le nouveau président a également décidé de convaincre les déplacés internes de la région de Diffa (Sud-Est, frontalier avec le Nigeria) et des régions de Tillabéri et de Tahoua (Nord-Ouest) de retourner dans leurs villages.

À condition que l’État y mette tous les moyens, la stratégie de retour des déplacés intérieurs pourrait rapidement porter ses fruits : elle réhabilite la dignité de populations réduites à l’assistance humanitaire et contrarie l’agenda d’annexion territoriale des groupes terroristes.

L’aléa de la coopération avec le Mali

Mis ensemble, le changement de paradigme et les nouveaux efforts en équipement, dont l’acquisition des drones Bayraktar TB2 et d’avions de reconnaissance Hürkus turcs, devraient permettre au Niger de préserver sa résilience sécuritaire. Toutefois, les efforts nationaux ne suffiront pas pour contenir la menace tant qu’ils ne sont pas associés à la recherche d’une mutualisation avec les États voisins, particulièrement avec le Mali, d’où le terrorisme s’est exporté au Niger et au Burkina Faso avant d’arriver aujourd’hui aux portes du golfe de Guinée.

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L’espoir de la construction d’une réponse commune avec son voisin malien s’est éloigné depuis le coup d’État dans le coup d’État perpétré en mai 2021 à Bamako, où s’est installée une junte militaire qui a fait le pari risqué de s’adjoindre les services de la société de sécurité privée russe Wagner.

Il n’est un secret pour personne que Mohamed Bazoum et Assimi Goïta entretiennent des relations exécrables. En se retirant du G5 Sahel – organisation de coopération avec le Burkina Faso, la Mauritanie, le Niger et le Tchad -, le Mali rend impossible la montée en puissance d’une stratégie régionale de réponse à la menace sécuritaire, particulièrement dans la zone des trois frontières. Or, la solution à l’insécurité au Sahel sera régionale ou ne sera pas. La résilience nigérienne ne pourra rien sans une volonté partagée avec le voisin malien.

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Mali-Sahel, notre Afghanistan à nous ? Seidik Abba, Impacts éditions, 150 pages, 15 euros.