[Infographie] Maghreb-Sahel : le business lucratif des otages

 | Par et 
Mis à jour le 09 février 2021 à 11h12
Soldat français de l’opération Barkhane traquant des jihadistes près de la forêt de Tofagala, au Burkina, le 7 novembre 2019.

Depuis 2003, des dizaines de libérations d’étrangers enlevés au Sahel font l’objet de polémiques. Malgré leurs démentis officiels, les États d’origine des otages sont soupçonnés d’avoir versé des rançons, au risque d’alimenter le phénomène et les caisses des groupes jihadistes. JA a cartographié les compensations financières versées en échange de ces précieux otages.

Depuis 2003, les prises d’otages sont légion au Sahel et au Maghreb. À ce jour, une centaine de ressortissants australiens, sud-coréens, indiens ou issus de pays d’Europe ou d’Amérique du Nord y ont été enlevés par des groupes jihadistes.

Principale source de revenus d’Aqmi

Le rapt de 32 touristes, interceptés par petits groupes entre février et mars 2003 en Algérie, a ouvert la voie à ce commerce lucratif, aux confins du désert. L’opération est alors menée par Abou Zeïd et son Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), devenu Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). S’ensuit une escalade, à la faveur d’une rivalité opposant Abou Zeïd à un autre chef jihadiste, Mokhtar Belmokhtar (successivement cadre du GSPC, d’Aqmi et des Signataires par le sang et d’Al-Mourabitoune, avant de faire de nouveau allégeance à Aqmi). Dès lors, des sous-groupes de ravisseurs se mettent au service du plus offrant, au point que ce « business » serait devenu l’une des principales sources de financement d’Aqmi.

Concentré dans un premier temps aux frontières algériennes et tunisiennes, le phénomène gagne le Niger en 2008, le Mali et la Mauritanie l’année suivante. Le GSIM (fusion d’Aqmi avec Ansar Dine et d’autres katibas) se lance dans cette funeste course aux rapts à partir de 2016, tout comme le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), qui rejoint Al-Mourabitoune. Le phénomène s’étend plus au Sud à partir de 2015, quand le Burkina Faso est touché, suivi par le Bénin en 2019.

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Les demandes de rançon placent les États face à un dilemme politique, moral et stratégique. Faut-il payer, quitte à alimenter le cercle vicieux des enlèvements ? Ou bien refuser de plier, au risque de voir les otages exécutés ? Londres, par exemple, en a fait les frais. Le Britannique Edwin Dyer, enlevé au Mali en janvier 2009 alors qu’il revenait d’un festival, a été exécuté le 31 mai de la même année après qu’Abou Zeïd eut exigé, en vain, 10 millions d’euros contre sa libération. L’organisation serait allée jusqu’à réclamer 300 000 euros en échange de la restitution de sa dépouille, ce que la Grande-Bretagne assure avoir refusé. Autre option : une intervention armée, mais, là aussi, le dénouement peut être fatal.

Ces dernières années, lors de ces enlèvements visant en priorité des Occidentaux, 13 captifs ont trouvé la mort dans la région, tantôt victimes d’interventions militaires ayant mal tourné, tantôt victimes de problèmes de santé. Sur les 80 rescapés que nous avons recensés, deux ont pu s’évader et cinq autres ont été libérés à la suite d’une opération militaire, que celle-ci ait été destinée ou non à les libérer.

Le sort des autres otages remis en liberté a-t-il été scellé par le paiement de rançons ? Leurs pays d’origine ont intérêt à le démentir, afin de ne pas sembler renier leurs engagements et de ne pas faire monter les enchères. Mais c’est parole contre parole. Des organisations et médias occidentaux font état de contreparties financières, en se fondant sur des sources politiques, sécuritaires ou jihadistes. Cette carte, qui donne à voir des échelles de rançons, se fonde sur les moyennes de leurs estimations.

Rançons versées en échange d’otages depuis 2003 (estimations)


Les suspicions de paiement de rançon sont par exemple fortes dès 2009 concernant le Canada. Ce pays s’est-il acquitté d’une partie des 6 millions d’euros qui auraient été versés en échange d’un groupe d’otages parmi lesquels se trouvaient deux de ses diplomates ?

En 2013, la polémique touche la France s’agissant des sept employés français d’Areva enlevés à Arlit, dont la libération en deux temps aurait été conditionnée au versement de 42 millions d’euros. Le cas d’un autre Français, Serge Lazarevic, a également fait couler beaucoup d’encre. En plus de la libération de quatre jihadistes, des sources de presse évoquent une rançon de 20 millions d’euros, qui aurait été payée en 2014. 

La libération conjointe, en octobre 2020, du Malien Soumaïla Cissé, des Italiens Pierluigi Maccalli et Nicola Chiacchio, et de la Française Sophie Pétronin, qui avaient été enlevés séparément, a également soulevé bien des questions. S’ils ont officiellement été échangés contre quelque 200 jihadistes, le ministère algérien de la Défense affirme dans un communiqué avoir mis la main sur 80 000 euros, qui correspondraient à une tranche de la rançon versée dans le cadre de cette transaction. Un jihadiste cité par RFI évoque de son côté 30 millions d’euros.

Dans certains cas, ce sont les ravisseurs eux-mêmes qui se targuent d’avoir été rétribués. Ainsi, le Mujao a affirmé en 2014 avoir touché 15 millions de dollars et fait libérer trois de ses hommes contre trois Européens faits prisonniers à Tindouf. 

Diminution des rapts d’Occidentaux

Cinq otages (un Américain, une Colombienne, un Roumain, un Allemand et un Australien) sont toujours en captivité dans le Sahel. Le plus ancien est détenu depuis 2015, le plus récent depuis 2018. Néanmoins, les enlèvements d’Occidentaux sont en déclin, car les cibles potentielles se risquent de moins en moins dans la région, comme le souligne le rapport (daté de fin 2019) de l’ONG Global Initiative against Transnational Organized Crime, qui détaille l’évolution du crime organisé dans l’espace sahélo-saharien.

Afin que l’industrie du kidnapping demeure pour eux une importante source de revenus, nombre de groupes terroristes et criminels se sont adaptés. Ils ont progressivement concentré leurs opérations de prises d’otages au sud du Sahel, vers le Burkina Faso par exemple, et ont multiplié les enlèvements au sein des populations locales.

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