« Tous frères », le cri du cœur du pape François
Dans sa troisième encyclique, publiée dimanche 4 octobre, le pape François propose une réflexion puissante et très concrète
sur la fraternité et l’amitié sociale.
Un appel au dialogue qui n’a jamais semblé aussi urgent, dans un monde fracturé par les conflits et les crises.

Mis à jour le 8 octobre 2020 à 6:20

Publié le 6 octobre 2020 à 2:36

 

© AFP PHOTO /VATICAN MEDIA / HANDOUT

En signant son encyclique à Assise (Italie), sur la tombe du « Poverello », samedi 3 octobre, le pape François a voulu marquer les esprits. Après Lumen fidei (en partie écrite par Benoît XVI) et Laudato si’son appel vibrant à préserver la « maison commune », Fratelli tutti peut se lire comme une forme de testament spirituel.

Avec force, le pape propose une boussole à une humanité désorientée. Si ce texte de 216 pages résonne comme un constat implacable sur l’état de notre monde fracturé par les guerres et les crises, c’est avant tout un appel urgent, adressé à tous, à vivre la fraternité. Non seulement à l’échelle de nos existences mais aussi de façon plus globale, entre les peuples, entre les cultures, les États.

À l’heure où la pandémie de Covid-19 paralyse le monde, où les populismes gagnent du terrain, où de nouveaux conflits éclatent et où les  inégalités se creusent, Fratelli tutti unifie les grandes causes qui ont marqué le pontificat du pape François depuis 2013. Migrations, guerres, pauvreté, incompréhensions entre les religions, crise du politique, dérives du capitalisme… Avec gravité et sans détours, le pape met le doigt sur la racine de tous ces maux : l’oubli de notre humanité commune.

Et nous invite à vivre en réponse une véritable révolution fraternelle.

Défenseur des migrants

Pour lui, la crise sanitaire mondiale, qui a éclaté alors qu’il rédigeait ce texte, a « mis à nu nos fausses certitudes » et révélé notre « incapacité d’agir ensemble », au point d’avoir parfois abandonné à leur sort les personnes âgées. D’une manière générale, « l’Histoire est en train de donner des signes de recul », met en garde François.

Il cite ainsi le racisme « qui se cache et réapparaît sans cesse », comme en écho aux tensions raciales qui secouent l’Amérique de Trump et tant d’autres pays. « Que signifient aujourd’hui des termes comme démocratie, liberté, justice, unité ? » s’interroge le pape, qui dénonce la tentation de vider de leur sens ou d’instrumentaliser « les mots importants », ce qui aboutit à «  liquéfier la conscience historique ».

Comme il n’a de cesse de le faire depuis sa visite sur l’île de Lampedusa, au sud de l’Italie, au début de son pontificat, François se fait le défenseur des migrants. Il débusque les discours cyniques qui les visent, en des termes très explicites : « On ne dira jamais qu’ils ne sont pas des êtres humains, mais dans la pratique, par les décisions et la manière de les traiter, on montre qu’ils sont considérés comme des personnes ayant moins de valeur, moins d’importance, dotées de moins d’humanité », dénonce le pape. « Il est inacceptable que les chrétiens partagent cette mentalité et ces attitudes », insiste-t-il, alors que l’accueil des migrants divise les catholiques.

Après l’incendie d’un camp de migrants sur Lesbos, une île grecque, qui a révélé l’incapacité des États européens à apporter une réponse commune à ce drame, François avertit l’Europe qui risque, selon lui, de perdre « le sens de la responsabilité fraternelle ».

La fraternité, seul antitode

Dans un monde malade, son diagnostic est sans appel. « Les sentiments d’appartenance à la même humanité s’affaiblissent et le rêve de construire ensemble la justice ainsi que la paix semble être une utopie d’un autre temps », constate-t-il. Ce rêve, le pape argentin n’y a pourtant pas renoncé. Avec Fratelli tutti, il apparaît plus que jamais comme l’un des seuls dirigeants mondiaux capables de proposer une autre voie. C’est même le cœur de son message : la fraternité est le seul antidote possible. Il n’y a pas de fatalisme. En pasteur attentif, avec douceur et pédagogie, il nous prend la main et nous propose de relire la parabole du bon Samaritain, comme un remède à notre indifférence. Ce faisant, il nous invite à agir concrètement, à notre niveau : « Chaque jour, nous sommes confrontés au choix d’être de bons Samaritains ou des voyageurs indifférents qui passent outre. »

>>> À lire sur Lepelerin.com Fratelli tutti, le texte complet de l’encyclique du pape François sur la fraternité.

Dans cette époque où le débat vire souvent au pugilat et au lynchage, en particulier sur les réseaux sociaux, dont il fustige « les messages rapides et anxieux », François invite à retrouver le sens du dialogue. C’est l’un des fils rouges de l’encyclique et le leitmotiv de son pontificat. Le pape nous exhorte à considérer les êtres différents non comme des « ennemis contre lesquels il faudrait se protéger », mais comme « des reflets divers de la richesse inépuisable de la vie humaine ». Pour lui, « une ouverture saine ne porte jamais atteinte à l’identité ». Bien au contraire : elle suscite une synthèse féconde, indispensable à l’équilibre des peuples.

Loin d’être une réflexion mièvre sur l’amour et l’altérité, Fratelli tutti est un plaidoyer ardent pour un nouvel ordre mondial, enraciné dans le respect de la dignité inaliénable de chaque personne. Sans être un programme politique, son texte donne des balises concrètes, dans la droite ligne de ses prédécesseurs.

Le pape puise aussi dans ses propres prises de parole qui ont jalonné son pontificat pour en livrer une vision unifiée. Appel à réformer l’Organisation des Nations unies – qui fête cette année ses 75 ans – au respect des engagements internationaux, au multilatéralisme… Tous les grands enjeux de notre temps sont là. Rappelant que « la politique ne doit pas se soumettre à l’économie », il étrille une nouvelle fois le néolibéralisme, la spéculation financière et la théorie du « ruissellement », « source de nouvelles formes de violence qui menacent le tissu social ».

C’est dans sa condamnation radicale des conflits que sa voix se fait la plus puissante, face à ce qu’il appelle une « troisième guerre mondiale par morceaux ». « Toute guerre laisse le monde pire que dans l’état où elle l’a trouvé, assène François. La guerre est toujours un échec de la politique et de l’humanité, une capitulation honteuse, une déroute devant les forces du mal. » Il récuse clairement le concept de « guerre juste », forgé par saint Augustin au V siècle, et fixe comme objectif « l’élimination totale des armes nucléaires ». Il rappelle enfin la détermination de l’Église à lutter pour l’abolition de la peine de mort partout dans le monde.

En guise d’envoi, le pape inscrit ses pas dans ceux de Martin Luther King, Gandhi, Desmond Tutu et Charles de Foucauld. Héritier de leurs intuitions, le pape François s’impose, avec Fratelli tutti, comme l’une des grandes consciences de ce temps.

Agnès Chareton, Christophe Chaland et François-Xavier Maigre