Sénégal : l’opposition a-t-elle rendu les armes ?

| Par - à Dakar
De g. à dr. : Idrissa Seck, Ousmane Sonko, Khalifa Sall et Macky Sall, au palais de la République, le 24 mars 2020.

Plus d’un an après la réélection de Macky Sall, tous ses rivaux semblent anesthésiés. Si certains peinent à rebondir, d’autres s’activent déjà en coulisses pour préparer les élections locales.

Ce mardi 24 mars, alors que Macky Sall vient d’instaurer l’état d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, un cortège inédit d’opposants défile sous les ors du palais de la République. Des adversaires rassemblés dans un esprit d’« union sacrée » face à la crise sanitaire que le président sénégalais fait poser devant l’objectif de la télévision nationale, alors même qu’on ne les avait quasiment pas vus ni entendus depuis le scrutin de février 2019

Pour nombre d’entre eux, « l’heure est à la réorganisation », plaide Déthié Fall, bras droit d’Idrissa Seck. Le candidat malheureux à la dernière présidentielle s’est muré dans le silence depuis la publication d’un livre blanc postélectoral. Même lors du lancement du dialogue national, en mars 2019, il a laissé à ses lieutenants le soin de le représenter.

« Nous avons fait le choix du dialogue »

Chargé de coordonner l’opposition au sein du dialogue politique, Déthié Fall refuse de parler de léthargie pour décrire l’année écoulée : « Nous avons fait le choix du dialogue. Nous aurions pu choisir la rue, le combat, mais cela aurait créé un risque d’instabilité », justifie-t-il.

« L’opposition est passée des revendications sous les gaz lacrymogènes aux revendications sous la clim », ironise une figure politique sénégalaise au regard de la soixantaine de concertations menées depuis un an. Des rendez-vous à l’issue desquels la majorité a accepté de reporter les élections locales – qui se tiendront avant mars 2021– et concédé l’audit du fichier électoral, sujet qui empoisonne le débat politique à chaque scrutin. « La discussion dans la sérénité est certes moins visible, mais elle est plus efficace », revendique Déthié Fall.

Apathie du PDS

Refusant de participer au dialogue national après plusieurs revirements, le Parti démocratique sénégalais (PDS) s’attèle à sortir de la zone de turbulences dans laquelle l’a plongé le rejet par le Conseil constitutionnel de la candidature de Karim Wade en 2019. Maintes fois annoncé, le retour du fils de l’ancien président, en exil au Qatar depuis quatre ans, n’a toujours pas eu lieu, laissant une partie des ténors libéraux amers.

Oumar Sarr, coordonnateur du parti pendant sept ans, Amadou Sall ou encore Babacar Gaye, accusant publiquement Karim Wade de manipuler son père, sont en rupture de ban avec le parti pour lequel ils ont tant milité. « Il ne faut pas se faire d’illusions, l’apathie du PDS est bien antérieure à l’immobilisme entraîné par le coronavirus. Depuis plus d’un an, le parti n’a pas mené la moindre activité, organisé la moindre réunion », dénonce Amadou Sall, qui fut le garde des Sceaux d’Abdoulaye Wade et qui appartient aujourd’hui au mouvement dissident Suqqali Sopi.

S’il admet avoir perdu quelques militants dans la bataille, le PDS assure que « le soutien indéfectible » du parti à son candidat a permis d’engranger davantage de recrues. « L’image du PDS en est sortie renforcée, le parti va bien ! » soutient Doudou Wade, l’un des onze secrétaires généraux adjoints nommés en remplacement d’Oumar Sarr.

Le parti, dont le groupe parlementaire est le premier de l’opposition, se concentre sur « un combat politique qui a débuté avec la décision rendue par la Crei [la Cour de répression de l’enrichissement illicite a condamné Karim Wade en 2015] », explique le député dakarois. Cette bataille se joue devant les cours internationales de justice, de Monaco à Abuja, où les démêlés judiciaires qui opposent l’ex-ministre à l’État sénégalais continuent d’être jugés. « Ce n’est pas notre seul combat, rassure-t-il, nous avons aussi un objectif de remobilisation et de recrutement. »

Khalifa Sall vise 2024

Même ambition pour Khalifa Sall, qui reste toutefois extrêmement discret depuis qu’il a été libéré, en septembre 2019, après avoir passé plus de deux ans et demi en prison pour détournement de fonds publics. « Il reprendra ses activités politiques sous peu », promet l’un de ses proches collaborateurs.

« Il souhaitait d’abord remercier les familles religieuses et les partisans qui l’ont soutenu », justifie son conseiller politique Moussa Taye. L’ancien maire de Dakar préparait une tournée nationale pour le début de mars quand la pandémie s’est propagée dans le pays. Tournée qui sera programmée « dès que la situation sanitaire sera réglée », confie un proche.

L’objectif, pour Khalifa Sall, c’est l’élection présidentielle de 2024. »

Même si son entourage affirme qu’il ne se présentera pas aux prochaines élections locales et départementales, l’ancien maire de Dakar (2009-2018) participera à la campagne avec son mouvement, Taxawu Sénégal. « L’objectif, pour Khalifa Sall, c’est l’élection présidentielle de 2024. »

Et peu importe pour l’heure qu’il ne soit pas éligible du fait de sa condamnation : « Nous avons quatre ans pour régler cette question. Ce qui compte aujourd’hui, c’est de dérouler notre programme auprès des Sénégalais et d’occuper le terrain », indique l’un de ses collaborateurs.

Khalifa Sall à son domicile, trois jours après sa sortie de prison. Dakar, le 2 octobre 2019.

Force est de constater que peu de ténors de l’opposition sont descendus ces derniers mois dans l’arène pour se frotter au gouvernement. « Un parti ne se limite pas à son président, Rewmi reste présent dans le débat. Quant à Idrissa Seck, il a trente-et-un ans d’expérience politique, et, jusque dans les hameaux les plus reculés du pays, les Sénégalais savent qui il est. Il a suffisamment d’expérience pour savoir quand le moment se prête à parler ou pas », justifie Déthié Fall.

Loin d’être inactif, l’ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade se démène en coulisses. Depuis plus d’un an, Idrissa Seck noue des alliances en vue des municipales et des départementales. Déjà, il peut compter sur le soutien de Malick Gakou (Grand Parti), de Madické Niang (ex-PDS), de l’ancien premier ministre Cheikh Hadjibou Soumaré et de l’ex-maire de Dakar Pape Diop.

Sonko gonflé à bloc

Ousmane Sonko, président des Patriotes du Sénégal (Pastef), gonflé à bloc par son score à la présidentielle de 2019 (15,6 % des voix pour sa première participation), devrait, lui, faire cavalier seul. La nouvelle figure de l’opposition est le seul à maintenir une pression permanente sur la majorité.

Le Sénégalais Ousmane Sonko, candidat aux présidentielles pour le PASTEF, salue ses supporters à son arrivée pour son meeting au Stade Alassane-Djigo à Pikine, le 21 février 2019.

Après l’annonce, le 11 mai, de l’allègement des mesures sanitaires pour faire face au Covid-19, il a dénoncé l’« abandon de responsabilité » d’un gouvernement « démissionnaire et incompétent ». Cette posture d’agitateur emporte l’adhésion des jeunes.

De quoi lui ouvrir la voie pour les prochaines élections ? « Ce serait une erreur de penser que la présence médiatique est synonyme de densité électorale, met en garde un opposant. Macky Sall en est la preuve : en 2011, il était l’un des opposants les plus discrets. En 2012, il était au Palais. »