Algérie : le président Tebboune à la conquête de la diaspora

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Aéroport Houari-Boumédiène, à Alger, le 27 mai.

Martelé par Abdelmadjid Tebboune dès le début de sa campagne électorale, le discours en faveur de l’implication de la diaspora se concrétise aujourd’hui par une opération séduction des élites expatriées. Objectif : les encourager à revenir et à mettre leurs compétences au service du pays.

Elias Zerhouni, médecin algéro-américain, spécialiste de la radiologie, est l’une des compétences algériennes les plus reconnues à l’étranger. Cet ancien directeur du National Institute of Health américain, nommé sous la présidence de George W. Bush, est, depuis le 13 juin, conseiller spécial de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSS), fraîchement créée par le président Abdelmadjid Tebboune.

Cette nomination s’inscrit dans le cadre de l’opération de charme menée par le nouvel exécutif pour conquérir le cœur des membres les plus compétents de la diaspora. Ces derniers, longtemps exclus du développement du pays, via des règlements, voire un amendement de la Constitution, représentent désormais un enjeu, aussi bien politique qu’économique, pour la nouvelle mandature.

La présidence de l’agence sanitaire a, elle, été confiée à un autre expatrié, le Dr Kamel Sanhadji, chercheur de renom dans la lutte contre le sida, directeur du service de recherche à l’hôpital Édouard-Herriot, à Lyon, en France, et qui, selon le communiqué d’El Mouradia, fera office de « conseiller scientifique » du président en matière de santé.

Opération de charme

Mais l’opération séduction ne vise pas que les médecins. Les élites algériennes établies à l’étranger se comptent par milliers – 25 000, à en croire les chiffres officiels – et travaillent dans tous les domaines, ou presque. Pour que l’Algérie puisse profiter de leur expérience, le chef de l’État a promis de déblayer le terrain. À commencer par la Constitution.

En 2016, un amendement de la Loi fondamentale avait en effet introduit une mesure qui avait exaspéré une diaspora qui se sentait déjà marginalisée par des décennies de mauvaise gestion. L’article 63 dudit texte disposait que la « nationalité algérienne exclusive » était une condition sine qua non pour briguer tout poste politique ou à haute responsabilité, excluant de facto les binationaux de la gestion des affaires publiques. Le projet de révision de la Constitution promis par Abdelmadjid Tebboune, dont un brouillon a été rendu public en mai, a supprimé cette restriction.

C’est une première, l’Algérie compte désormais un secrétariat d’État chargé des compétences à l’étranger

Parallèlement, et c’est une première, l’Algérie compte désormais un secrétariat d’État chargé des compétences à l’étranger, dirigé jusqu’au 23 juin par l’ancien secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Rachid Beladehane, remplacé depuis par le populaire Samir Chaâbna. C’est dire l’importance que le pouvoir accorde à ce dossier.

Apport humain et financier

« Cette réorientation est dictée par une conjoncture économique extrêmement difficile, qui nécessite l’apport humain et financier de la diaspora, explique le docteur en sciences politiques Adel Ourabah, chercheur indépendant à Alger. Il fallait, dès le début du mandat, envoyer des signaux politiques forts à l’adresse de cette communauté pour minimiser l’impact dévastateur de l’article 63 adopté du temps de Bouteflika. »

Au début de juin, Rachid Beladehane a présenté les grandes lignes de son plan d’action, qui comprend notamment la création d’un portail en ligne, conçu comme un espace de communication entre des institutions algériennes, dont les universités, et les élites installées à l’étranger. La prise de contact a pour objectif de permettre à ces dernières « de servir leur pays », a expliqué l’ex-secrétaire d’État devant le Parlement.

L’idée de faire appel aux ressortissants expatriés a récemment connu une première concrétisation avec le lancement par le gouvernement, en mars, d’une cagnotte de solidarité destinée à soutenir la lutte contre le Covid-19 et ouverte à tous les Algériens, y compris ceux résidant à l’étranger. En mai, le porte-parole de la présidence, Belaïd Mohand Oussaïd, a annoncé que les contributions en devises s’élevaient à quelque 2 millions d’euros.

Un premier chiffre encourageant à l’heure où, sous l’effet de l’effondrement des cours des hydrocarbures, les réserves de change fondent comme neige au soleil, approchant dangereusement la barre des 50 milliards de dollars, contre 179 milliards de dollars à la fin de 2014.

Les rentrées en devises en provenance de la communauté algérienne à l’étranger seront cruciales dans les années à venir

Les rentrées du pays en devises dépendant essentiellement des exportations de gaz et de pétrole, l’apport de la communauté algérienne à l’étranger, bien inférieur à celui des diasporas des pays voisins, sera crucial dans les années à venir.

Pour un retour des cerveaux

Plus important encore que les transferts d’argent, le retour des cerveaux. Une enquête menée en 2015 par le Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread) révélait que 70 % des expatriés revenus au pays travaillaient dans les technologies de l’information et de la communication (TIC), et que 60 % des entreprises qu’ils dirigeaient étaient exportatrices.

Autant d’éléments qui démontrent « ce que l’Algérie perd économiquement en tournant le dos à ses enfants établis à l’étranger, insiste Adel Ourabah. Le nombre de membres de la diaspora qui reviennent pour investir en Algérie est insignifiant, et cela est lié à la superstructure politique, marquée par la corruption et les entraves bureaucratiques. » Les lourdeurs administratives et l’absence d’autonomie de l’université font partie des obstacles le plus souvent cités comme freins à l’installation.

La diaspora a toujours voulu aider le pays, mais elle a trouvé porte close

« Le contrôle de l’université est un enjeu politique majeur pour le pouvoir, qui ne conçoit pas celle-ci comme un lieu de production de savoir et d’élites, mais comme un lieu de reproduction du système à travers les pratiques de corruption et le clientélisme qui la gangrènent », affirme le Dr Ourabah. Selon lui, il ne faut pas « se bercer d’illusions » sur la libération de l’université comme levier d’attractivité.

Le discours en faveur de l’implication de la diaspora avait été martelé par Abdelmadjid Tebboune dès le début de sa campagne électorale. Sur le terrain, cette réorientation a trouvé des relais à travers des initiatives de la société civile, qui tente depuis longtemps de sensibiliser les pouvoirs publics à cette question. Des associations comme le Forum des compétences algériennes représentent des espaces de rencontres et d’échanges entre les élites nationales et celles établies à l’étranger.

« La diaspora a toujours voulu aider le pays, mais elle a trouvé porte close. La communauté à l’étranger a été marginalisée pendant vingt ans », explique Adel Ghebouli, médecin-chirurgien et président du forum. Avec vingt-cinq antennes à l’étranger, l’association, créée en mars 2019, a déjà organisé deux rencontres internationales à Alger. Plus de 60 expatriés, établis dans 20 pays, du Japon aux États-Unis, y ont assisté et ont émis des pistes de réflexion et des propositions pour que la diaspora s’engage davantage.

« Il reste des chantiers, il faut tenir des assises, être attentif aux propositions de la diaspora et engager les réformes, plaide le Dr Ghebouli. Je veux lancer un message d’espoir. Il est de notre devoir, en tant qu’élite, que ce soit en Algérie ou à l’étranger, de s’impliquer davantage dans le développement du pays. » L’amendement éventuel de l’article 63 est une bonne chose, selon le Dr Ghebouli : « Cela traduit une volonté politique forte de signifier aux membres de la diaspora qu’ils sont algériens à part entière. »