Wouter de Vriendt, député belge: «On veut vraiment confronter le passé colonial de la Belgique»

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Le Parlement fédéral de Bruxelles. © Wikipédia

La semaine dernière, le Parlement fédéral de Bruxelles a reçu de la part d’un groupe de dix experts un rapport accablant sur la colonisation belge au Congo, au Rwanda et au Burundi. Quelle suite les députés belges vont-ils donner à ce rapport ? Sont-ils prêts à envisager une réparation financière pour les trois pays touchés ? Le député écologiste Wouter de Vriendt, président de la Commission parlementaire spéciale sur le passé colonial, est l'invité de RFI. 

Pour les experts qui viennent de vous faire rapport, il faut reconnaître la colonisation comme un « crime ». Qu’est-ce que vous en pensez ?

Wouter de Vriendt : Je crois qu’il n’y a pas de doute là-dessus. Quand on voit les atrocités, la brutalité, la violence, le nombre de victimes, c’est clair que c’est vraiment une honte pour la Belgique. Et jusqu’à maintenant, on voit que les discours politiques étaient très ambigus.

Vous dites qu’il y a des choses qu’on ne sait pas encore. Quelles sont les zones d’ombre sur le passé colonial ?

Le rôle des grandes entreprises. Ce qu’on sait, c’est que le roi Léopold II a eu l’aide et le soutien des grandes entreprises belges pour investir et pour l’aider au Congo, mais c’est très difficile de regarder dans les archives des grandes entreprises et de vraiment connaître leur rôle dans le système colonial

On sait que l’Église [catholique] était aussi un partenaire du roi Léopold II

Donc, le pillage économique du Congo par la Belgique n’est pas encore connu dans toute son ampleur ?

Exactement. Et donc, le rapport décrit aussi qu’il faut encore étudier le rôle de l’église, parce qu’on sait que l’Église [catholique] était aussi un partenaire du roi Léopold II. Là, il s’agit des archives de l’église, mais ce n’est pas facile d’avoir accès à ces archives.

Et en quoi justement, ces archives de l’Église catholique peuvent être intéressantes pour vous ?

Il faut vraiment savoir quel était le rôle des missionnaires de l’église au Congo. Par exemple, il y a la question des métis en Belgique, donc les enfants d’un père belge et d’une mère congolaise, qui ont été séparés de leurs parents, de leur famille et de leur mère surtout. Ces enfants étaient placés dans les mains des missionnaires au Congo, mais il y a beaucoup de questions qui se posent sur le traitement de ces enfants, on ne sait pas encore, et c’est à la commission parlementaire d’organiser des auditions pour mieux connaître vraiment tous les détails de cette histoire.

Juridiquement, il s’agit d’un vol. Donc, les œuvres d’art qui ont été volées doivent être restituées

Alors côté réparation, puisque le rapport des experts en parle, que peut faire la Belgique, à votre avis, à l’égard des quelque 120 000 œuvres d’art d’origine africaine que possède par exemple le musée royal de Tervueren, l'AfricaMuseum ?

Le rapport recommande fortement que la restitution soit mieux encadrée. Juridiquement, il s’agit d’un vol. Donc, les œuvres d’art qui ont été volées doivent être restituées, doivent retourner [au Congo], c’est la recommandation qui se trouve dans le rapport des experts.

Mais, peut-être que le conservateur du musée de Tervueren ou d’Anvers n’a pas du tout envie de restituer ces œuvres au Congo et peut-être qu’il va pouvoir gagner du temps en jouant sur les conflits de compétence en Belgique entre l’État fédéral et les nombreuses entités fédérées ?

Je dois vous dire que, même à Tervueren, ils ont déjà commencé à réfléchir sur le sujet et il y a déjà eu une restitution limitée d’œuvres d’art au Congo. Je suis sûr qu’il y a une volonté d’avancer sur le sujet.

Vous connaissez cette phrase du président Félix Tshisekedi [prononcée le 24 novembre 2019 dans son discours de remerciement à la Belgique pour la conservation du patrimoine] : « Il faudra bien que le patrimoine congolais revienne au Congo […] Mais une chose est de demander son retour, une autre est de conserver ce patrimoine »…

Conserver le patrimoine, c’était l’argument [des Belges], juste après l’indépendance du Congo, pour ne pas retourner les œuvres d’art et les biens qui avaient été volés. Donc, il faut quand même faire attention à ne pas abuser de cet argument-là. À Kinshasa par exemple, il y a un musée national respectant les bonnes conditions.

Parmi les dix experts qui viennent de vous faire rapport, deux préconisent des « réparations financières ». Qu’en pensez-vous ?

Je ne vais pas m’exprimer là-dessus, parce que je parle en étant président de la commission. Donc, c’est à mes collègues, c’est à la commission parlementaire de prendre des décisions. Mais il est clair que c’est une question qui se pose, qui se pose aussi à l’étranger. Il y a des pays qui ont déjà payé des réparations par rapport à leur passé colonial. On va sans doute débattre là-dessus dans la commission parlementaire.

À quels pays pensez-vous ?

Il y a le Canada par exemple, il y a l’Australie où se pose la question, il y a aussi l’Allemagne envers la Namibie. Mais la Belgique, c’est vraiment le premier pays dans le monde qui se lance dans un tel exercice avec cette ampleur parce qu’on veut vraiment confronter notre passé colonial dans son entier. Ce n’est pas limité à des incidents particuliers. Non, c’est vraiment le passé colonial de la Belgique au Congo, au Rwanda et au Burundi. Donc, c’est un travail très ambitieux, en fait.

Et pour Laure Uwase, de votre comité d’experts, il faut « envisager le paiement d’une dette coloniale pécuniaire face à cette responsabilité morale de la Belgique »…

Oui, cela est une question très sensible évidemment. Et là-dessus, on sait déjà que les opinions politiques divergent. Et ce sera aux politiques, ce sera à la commission parlementaire de formuler des recommandations là-dessus pour enfin aboutir à des conclusions et à des recommandations.

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