Arts plastiques : « Photographier l’Algérie »,
dans les yeux des colons

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À travers près de deux siècles d’images, l’exposition « Photographier l’Algérie », jusqu’au 13 juillet à à l’Institut du monde arabe de Tourcoing, raconte l’évolution du regard porté par la France sur son ancienne colonie.

Que voit-on dans les yeux de l’autre ? Qu’apprend-on de lui, de soi, à la façon qu’il a de nous regarder ? L’exposition « Photographier l’Algérie », qui se tient à l’Institut du monde arabe de Tourcoing jusqu’au 13 juillet, va bien au-delà de son objectif affiché, « mettre en évidence certains des regards qui se sont appliqués ensemble ou successivement à ce pays ».

Si la commissaire Françoise Cohen insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une « histoire de l’Algérie par l’image », il s’agit en revanche bien d’une histoire des regards portés sur l’Algérie, essentiellement depuis la France, une histoire marquée par le fait colonial et son corollaire de violences.

Clichés orientalistes

Quand les premiers colons débarquent, dans les années 1830, le daguerréotype vient tout juste d’être inventé. La photographie, professionnelle ou de loisir, se développe ensuite très vite et s’invite au cœur des foyers. Les images disent dès lors autant de ceux qui les prennent que de ceux qui sont pris. Chronologique, l’exposition commence par des tirages de l’imprimeur Jules Gervais-Courtellemont (1863-1931), des photos de voyage de la famille Gaumont ainsi que différentes cartes postales où transparaissent les poncifs et les a priori racistes de l’époque.

« Toute l’œuvre de Gervais-Courtellemont porte la réalité paradoxale d’un intérêt sincère pour son environnement qu’il ne peut toutefois s’empêcher de transmettre selon les clichés orientalistes de son époque », écrit la commissaire. Ce paradoxe est encore présent dans les superbes images de l’ethnologue Thérèse Rivière, envoyée avec Germaine Tillion dans le massif des Aurès, en 1935-1936. Tout en « étudiant » les sociétés traditionnelles, les deux femmes intègrent à leur corps défendant un système plus vaste : « Le travail qui leur est confié doit accroître la compréhension de ces populations, afin notamment d’améliorer la gouvernance coloniale sur ces terres. »


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Approche intime

Entre 1957 et 1961, le jeune Pierre Bourdieu – adversaire déclaré du colonialisme – pose un regard radicalement différent sur l’Algérie en s’intéressant à l’économie de la misère, à la perte de repères provoquée par les déplacements de population dans des camps de regroupement. Il est en avance sur son temps : la guerre impose ses images et ses photographes, le Français Marc Garanger tirant le portait de femmes « dévoilées » pour des besoins d’identification, l’Algérien Mohamed Kouaci s’intéressant aux réfugiés ou aux camps d’entraînement de l’ALN. La confrontation, dont on sait la violence, est montrée ici avec pudeur et élégance.

La joie de l’indépendance, saisie par le photographe de l’agence Magnum Marc Riboud, aurait pu clore l’exposition. Mais l’histoire de s’est pas arrêtée en 1962. Franco-Algérien né en 1961, Bruno Boudjelal s’est rendu dans le pays de son père en 1993, pendant les années noires. Il essaie depuis, en une approche intime, de rendre compte de la complexité des liens d’amour-haine unissant la France et l’Algérie. À propos de sa famille des deux rives, Boudjelal dit : « Je n’ai jamais réussi à réconcilier les deux histoires. »

Faut-il pour autant renoncer à tout espoir ? Les images d’Alger signées par Karim Kal (1977) et que chaque visiteur peut emporter en sortant de l’exposition s’ouvrent grand sur le bleu du ciel, sur le bleu de la mer. Ce sont, écrit-il, « des images qui respirent, équilibrées, presque apaisées », « des images ouvertes sur l’ailleurs ».