Missionnaires d'Afrique
.
Bernard Delay et Andreas Göpfert M.Afr

MALI

Un grand chantier nous est confié !

Centre Senoufo

Il s’agit d’un chantier de rénovation et de restauration, d’un chantier à achever, redresser, explorer ; il y a aussi à innover. Quand on entend parler de chantier, certains pensent tout de suite à des bâtiments à construire. Dans notre cas, c’est beaucoup plus large.

En 2005, notre confrère Emilio Escudero (Voir les batiments du Musée) a fondé à Sikasso le Centre de Recherche pour la Sauvegarde et la Promotion de la Culture Sénoufo, le CRSPCS. Pendant ses presque 50 ans de vie missionnaire en milieu sénoufo au sud du Mali, il a acquis un savoir-être, un savoir-faire et un savoir-parler qui lui ont ouvert toutes les portes du peuple sénoufo. Le rêve de sa vie s’est réalisé à travers la mise en place de ce Centre. Ses ambitions étaient grandes, très grandes même.


Bernard Delay et Andreas Göpfert avec deux collaborateurs du centre,
M. Elie Bamba et M. Zacharie Traore.

La mort subite du Père Emilio, le 2 novembre 2012, a laissé beaucoup de monde à Sikasso dans la stupéfaction et la tristesse. La question de l’avenir du Centre s’est immédiatement posée aux confrères de la Province PAO, mais aussi à l’Église locale avec son pasteur Mgr Jean-Baptiste Tiama, ainsi qu’aux membres de l’association “Wu Nire” - c’est-à-dire “Nos Racines” - qui est administrativement responsable du Centre. Finalement, les trois parties se sont engagées à poursuivre l’œuvre du Père Emilio. Concrètement, la Province de la PAO a confié la tâche à trois confrères, le P. Bruno Ssennyondo, Directeur du Centre et résidant à la paroisse de Kadiolo-Diou, et à nous deux, qui résidons au Centre et collaborons avec les sept employés qui y travaillent.

Le Centre attire toute sorte de monde
Depuis janvier 2014, nous avons atterri dans un cadre magnifique et unique à Sikasso. Le jardin, les statues à taille humaine, les décorations des murs, tout cela attire du monde, en particulier des couples nouvellement mariés à la mairie qui viennent éterniser l’événement par de belles photos. C’est ainsi que, chaque jeudi et chaque dimanche, nous sommes envahis par des groupes à la joie exubérante et bruyante. Le tapage est encore amplifié par les cris des griots et griottes qui profèrent des bénédictions tous azimuts à la recherche de leur gagne-pain. Cinq, dix, quinze et parfois même 25 couples avec leur cortège investissent tous les coins du jardin. Hélas, ce cadre si splendide se dégrade aussi rapidement. Le défi est alors d’entretenir et de restaurer cet environnement si fragile. C’est déjà un premier chantier.


Jeunes mariés qui se font photographier dans la cour du Centre sénoufo.

Vers l’autofinancement
Nous avons aussi découvert des infrastructures inachevées, et pas assez exploitées, mais qui pourraient permettre au Centre de faire un pas nécessaire vers l’autofinancement. Douze chambres peuvent être mises à la disposition des visiteurs. Une salle de conférence est disponible. Comment rendre toutes ces infrastructures plus opérationnelles ? Il y va de la survie du Centre.

Un trésor qui dort
En fouillant des armoires et des tiroirs, en parcourant des dossiers dans des ordinateurs, sur des clés USB et des disques externes, nous avons trouvé une énorme banque de données concernant tous les aspects de la vie des Sénoufo de la région de Sikasso. C’est toute une richesse qui est là, dormante presque : plus de quatre cents enregistrements audio, des dizaines de milliers de photos, des centaines de cahiers remplis de contes, de devinettes, de proverbes, transcrits et provisoirement traduits en français, des monographies de villages, des écrits sur la langue Supyiire, grammaires et dictionnaires. Certains textes sont numérisés, mais inachevés.

Voilà encore un chantier immense. Nous pensions d’abord qu’il ne s’agirait pour nous que de parachever un processus de recherche, comme de poser le toit d’une construction bien avancée. Mais nous nous rendons compte qu’il faut encore travailler sur les fondations et élever des murs. Pour le moment, nous avons commencé à retravailler le répertoire de contes sénoufo. Nous avons l’intention de lancer chez un éditeur une collection de publications en hommage au Père Emilio. Cette tâche constitue une urgence, car les documents du Centre ne sont nullement protégés par copyright. Or, au cours des années écoulées, de nombreux visiteurs ont eu un accès facile aux collections d’objets et aux documents du Centre.

Un musée réputé
Statues du muséeLe Centre a acquis une réputation extraordinaire grâce à son musée. Des centaines de masques, statuettes, instruments de musique, et bien d’autres objets en bois, en terre cuite et en bronze, surtout d’origine sénoufo, mais aussi d’autres ethnies du Mali, se présentent aux visiteurs du musée. Des jeunes élèves et étudiants, des adultes maliens, des étrangers de la sous-région, des touristes du monde entier viennent admirer le riche patrimoine local, régional et national exposé au musée. Nos visiteurs apprécient avec émerveillement ce trésor collecté durant de nombreuses années par le Père Emilio.

Hélas, dans notre environnement climatique, certains objets, en particulier ceux qui sont en bois, demanderaient un cadre plus propice à leur conservation. Il y a aussi les aspects de la mise en valeur des objets et de leur sécurité. Les bâtiments qui servent actuellement comme salles d’exposition ne répondent pas à toutes les exigences d’une conservation durable et sécurisée de ces objets. Plusieurs visiteurs, connaisseurs en la matière, nous en ont déjà fait la remarque. Quel chantier nous attend encore pour faire face à ce problème !

Vivre la rencontre et pratiquer le dialogue
Le Centre sénoufo est un lieu extraordinaire, un centre de gravitation où beaucoup de personnes viennent, se croisent et se rencontrent. Nous sommes surpris de l’affluence et de la diversité des visiteurs, appartenant à des âges, des professions, des ethnies, des religions, des confessions et des nationalités différentes. C’est un lieu de rencontre où nous avons notre place.

Par exemple, les élèves viennent par curiosité, ou encore parce que leurs professeurs d’histoire ou d’art les envoient s’imprégner de la culture sénoufo. Nous envisageons de collaborer davantage avec ce milieu scolaire à Sikasso, d’aller vers les établissements scolaires, d’apporter un soutien aux professeurs d’histoire, de géographie et d’art, de soutenir les clubs culturels, tels les clubs de l’Unesco.

Connaître sa culture, conserver des témoins de son passé, oui, mais en vue de quoi ? Nous aimerions que le Centre sénoufo aide chacun : à mieux comprendre sa culture traditionnelle et l’influence de celle-ci sur son vécu actuel ; à réfléchir sur ce que cet héritage peut lui apporter, et sur la façon d’en tirer le meilleur parti. De façon toute particulière, nous proposerons à des chrétiens de réfléchir sur des situations actuelles marquées par la culture et la religion traditionnelles, afin de voir comment les vivre dans une plus grande fidélité au Christ au cœur du monde d’aujourd’hui.

Vivre la rencontre et pratiquer le dialogue dans l’action, en nous appuyant sur la culture, sera notre façon de participer à la construction de la cohésion sociale au Mali et à la croissance du Royaume. Cultiver le respect mutuel, chercher et développer les valeurs qui nous aident à vivre ensemble et à grandir dans le Christ, voilà notre chantier par excellence !

Bernard Delay et Andreas Göpfert
Centre sénoufo, Sikasso, Mali


Tiré du Petit Echo N° 1052 2014/06