Laroui: L’insoumise de la Porte de Flandre (Compte-rendu)

 

Laroui-Inconnue

Fouad Laroui: L’insoumise de la Porte de Flandre. Paris: Julliard, 2017, 137 p.

 

L’auteur de ce roman, économiste et écrivain néerlandais, est né dans le Rif marocain en 1958. Formé en France, enseignant à Amsterdam, il a obtenu plusieurs prix, dont le Goncourt de la nouvelle en 2012.

Ce roman est quasiment une étude psychologique d’une jeune femme cultivée à l’esprit libéral, moderne et européen, qui vit à Molenbeek. Tout le roman se joue entre ce quartier de Molenbeek et le centre-ville de Bruxelles. Ils représentent, pour ainsi dire, deux mondes et surtout deux cultures, qui séparent les Belgo-marocains et les Belges de souche.

Fatima, l’héroïne du roman, habite un appartement avec ses parents, un père paralysé et une mère toujours à la maison; ses frères ont déjà formé leur famille et sont partis. Fatima s’est très bien intégrée dans la société belge.

Et pourtant, depuis quelques mois, elle a l’impression “de ne plus être UNE personne, mais trois ou quatre” et elle affirme : “Je suis dans une situation impossible”. Puis, soudainement, elle a décidé elle-même de porter le voile avec une longue djellaba noire, alors qu’elle n’est nullement une musulmane pieuse ou salafiste, elle qui ne fait jamais la prière et qu’on n’a jamais vue à la mosquée. En même temps elle arrête ses brillantes études à l’ULB, malgré qu’elle soit vraiment passionnée de lectures et qu’elle courrait les expositions et les musées de la ville. Sans doute l’immense pression morale, qui s’exerce dans le quartier dont les rues ressemblent davantage à Tanger ou Casablanca qu’à Bruxelles, lui devient insupportable. C’est pour elle comme si son identité et sa riche personnalité se sont réduites et ramenées à la seule appartenance religieuse de la communauté. Sans aucun doute, c’est le début de son malaise profond et de son malheur.

En plus, elle est sans cesse confrontée à un monde d’hommes: ceux de Molenbeek, qui veulent la “revêtir”, quand elle se promène habillée à l’européenne et maintenant ceux du centre-ville, qui veulent la “dévêtir”, quand elle passe dans cet accoutrement islamique, qu’elle s’est achetée. Elle se sent, en fait, à tout instant suivie par ceux qui, dans leur fantasme d’hommes, “la déshabillent du regard et la réduisent à un corps”.

Finalement elle veut se venger de ces deux classes d’hommes : ceux qui lui disent “couvre-toi” sont pour elle des minables; à ceux qui veulent la dévêtir, elle montre son corps dans un ‘peep-show’, mais elle ne leur donne ni son âme ni son corps. Elle leur dit : “Tu me posséderas jamais”. Et elle les maintient dans leur frustration.

Tout le monde en prend pour son compte, du propriétaire incrédule et alcoolique de ce sex-shop de la capitale jusqu’à Fawzi, ce garçon de Molenbeek qui s’est épris d’elle et à la fois veut déjà lui donner quelques leçons sur la manière de se comporter en bonne musulmane. Le tout va finir dans le sang et dans un vrai drame. Mais Fatima, l’héroïne du roman, devient, enfin, elle-même, une personne libre. “Elle veut vivre maintenant et rattraper le temps perdu, reprendre ses études de lettres et aller jusqu’au bout”. Une vraie libération !

Le livre termine par un chapitre qui met en scène quatre experts français venus parler à Bruxelles du terrorisme islamique : Gilles Kepel, Olivier Roy, Rachid Benzine et Pierre-Jean Louizard. Les réponses de ces experts sont intéressantes, mais ne s’appliquent pas à tous les cas. La preuve en est ce jeune Fawzi, qui dans ce roman est jugé erronément comme terroriste. L’auteur a ainsi voulu exprimer aussi qu’en général on donne trop d’importance aux soit-disant “terroristes”, qui sont soit des jeunes qui ont des problèmes psychiatriques soit des jeunes minables frustrés.

L’auteur campe dans ce roman des personnages extrêmes, en les caractérisant, et avec un humour certain. Il décrit par petites touches ce laboratoire qu’est devenu Bruxelles où deux communautés se côtoient et vivent l’une à côté de l’autre.

Un livre qui devait être lu tant à Molenbeek que dans le haut de Bruxelles« , écrit Christophe Lamfalussy dans un interview avec l’auteur dans La Libre Belgique du 1er septembre 2017, article que j’ai largement utilisé dans ce compte-rendu.

Hugo Mertens.