Khalifa Sall à la conquête de la diaspora sénégalaise 

À un an de la présidentielle, à laquelle il compte être candidat, l’ancien maire de Dakar, en tournée en Europe et aux États-Unis, tente de mobiliser les Sénégalais de l’étranger.

Mis à jour le 3 février 2023 à 17:08
 
 
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L’opposant sénégalais Khalifa Sall, ancien maire de Dakar. © Facebook Khalifa Ababacar Sall



À un an du scrutin présidentiel de février 2024, Khalifa Sall compte prendre de l’avance. Après avoir séjourné à New York du 30 janvier au 1er février, l’ancien maire de Dakar clôt, ce 3 février au Canada, une tournée internationale. 

Contre un troisième mandat de Macky Sall

Avant de traverser l’Atlantique, il s’était rendu en Italie, première étape de son périple, à la rencontre des militants de la ville de Bergame, au nord de Milan. « C’est avec un immense plaisir que je me retrouve parmi vous, pour vous écouter mais, surtout, pour partager avec vous une ambition commune », leur a-t-il lancé, dressant un tableau sombre de la situation politique au Sénégal et dénonçant l’idée d’une nouvelle candidature de Macky Sall alors que le chef de l’État entretient le suspense

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« Au moment où je m’adresse à vous en tant que candidat de la plateforme Taxawu Senegal, notre pays traverse, malheureusement, des [événements] imprévisibles, incertains, [susceptibles de déboucher] sur des troubles, a insisté Khalifa Sall. Le gouvernement du Sénégal, adepte du flou et de la nébulosité, ne cesse de poser des actes qui risquent de mener au chaos. Qu’il soit ici dit, intégré et compris que nous n’accepterons pas une quelconque troisième candidature. »

Ousmane Sonko bloqué au Sénégal

Car l’ancien socialiste a bien conscience que la prochaine présidentielle se jouera aussi au sein de la diaspora, qui compte plus de 500 000 électeurs (7% de l’électorat sénégalais). Cette tournée à l’étranger doit donc lui permettre de fédérer les Sénégalais de l’extérieur autour de sa candidature, d’autant qu’Ousmane Sonko, principal opposant à Macky Sall et leader de la coalition Yewwi Askan Wi (YAW), fait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire.

Sous contrôle judiciaire depuis mars 2021, le maire de Ziguinchor doit en effet être jugé prochainement (la date du procès n’est pas encore connue) pour des viols présumés. Une éventuelle condamnation pourrait compromettre ses ambitions politiques.  

Le leader du Pastef est en outre engagé dans un autre bras de fer judiciaire, qui l’oppose, cette fois, à Mame Mbaye Niang, le ministre du Tourisme. Le procès, qui a été renvoyé au 16 février, pourrait lui aussi contrecarrer les plans de l’opposant. Accusé, dans ce dossier, de diffamation, injures, faux et usage de faux, Ousmane Sonko encourt « quatre mois à deux ans de prison et une amende de 200 000 à 1,5 million de francs CFA, ou l’une de ces deux peines », synonymes d’inéligibilité s’il était condamné définitivement.

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Khalifa Sall pourrait en tirer parti, mais lui non plus n’est pas sorti d’affaire. Condamné, en 2018, à cinq ans d’emprisonnement pour « faux en écriture de commerce et escroquerie portant sur les deniers publics », il est toujours disqualifié pour la présidentielle de 2024. Tout comme Karim Wade, le fils de l’ancien chef d’État Abdoulaye Wade, en exil au Qatar et condamné, en 2015, à six ans de prison pour détournements de fonds publics et à une amende de 138 milliards de francs CFA (210 millions d’euros).

Inéligible ?

Bien que ces deux personnalités de l’opposition aient fait l’objet d’une grâce présidentielle, respectivement en 2019 et en 2016, elles restent sous le coup d’une peine d’inéligibilité. « En vertu des articles L29 et L30 du Code électoral, qui stipulent qu’en cas de condamnation à une peine supérieure à trois mois de prison sans sursis ou supérieure à six mois avec sursis on ne peut être inscrit sur les listes électorales, Khalifa Sall et Karim Wade ne peuvent prétendre à une candidature. À moins qu’ils soient amnistiés, que leur procès soit révisé ou que ces articles soient modifiés », résume l’analyste politique Mouhamadou Mansour Ciss, spécialiste des questions électorales.  

Le 29 septembre 2022, dans un souci « d’ouverture politique et de consolidation du dialogue national », le chef de l’État avait demandé en Conseil des ministres à Ismaïla Madior Fall, le ministre de la Justice, d’examiner les possibilités d’amnistie « pour des personnes ayant perdu leur droit de vote ».

Mais la mesure avait immédiatement été rejetée par le candidat du Parti démocratique sénégalais (PDS). « L’amnistie est faite pour les coupables. Ce qui n’est pas le cas de l’ancien ministre Karim Wade. ll ne veut pas d’une amnistie, il demande à être rejugé. L’honneur n’a pas de prix », avait clamé, en octobre, à Jeune Afrique, Nafissatou Diallo, la secrétaire générale à la communication du PDS. 

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Et Khalifa Sall ? Ses partisans font valoir que « sa candidature n’est pas assujettie à une amnistie ». « Aucune peine complémentaire n’a été prononcée à son endroit pour le déchoir de ses droits civils et politiques. ll est éligible », estime Ibrahima Ndiaye, son conseiller en communication.

L’analyste Mouhamadou Mansour Ciss reste cependant catégorique : « La déchéance des droits, et donc l’inéligibilité, est une sanction complémentaire. Le juge apprécie au cas par cas s’il va l’appliquer ou pas. Mais, avec le code électoral actuel, même si le juge ne la prononce pas, la perte des droits civiques s’applique de fait ».

Le débat juridique est donc lancé. De retour de son périple à l’étranger, Khalifa Sall va reprendre sa tournée nationale, entamée le 14 janvier. Après avoir sillonné les départements de Rufisque et de Diourbel, il devrait se rendre, le 6 février, à Tambacounda et Kédougou, dans le sud-est du pays. « Le président Khalifa Sall pose ainsi les actes de sa légitimité, conclut Ibrahima Ndiaye. Sa candidature est irréversible. »