« Que faisons-nous des charismes dans la gouvernance de l’Église  ? »

 

Odile Hardy, Xavière, est directrice de l’Institut d’études religieuses et pastorales (IERP) de Toulouse. Pour cette théologienne, la candidature d’Anne Soupa à l’archevêché de Lyon lance un pavé dans la mare et ouvre un questionnement favorable en ce temps de crise de l’Église catholique.

Odile Hardy, Xavière, directrice de l’Institut d’études religieuses et pastorales (IERP) de Toulouse.

Qu’avez-vous pensé de la candidature d’Anne Soupa à l’archevêché de Lyon ?

Je trouve la démarche d’Anne Soupa courageuse et audacieuse. C’est une femme intelligente dont l’action est pesée, réfléchie et d’une certaine manière prophétique. Le prophète interpelle, oblige à laisser surgir l’inédit, à prendre des chemins de traverse quand bien même ceux-ci sont inconfortables. Cela m’évoque les femmes de la généalogie de Jésus, en particulier Ruth. Elle persévère, dure dans cette conviction qu’il y a quelque chose à faire bouger dans ce qui était bien assis chez le peuple juif. Et finalement, sa belle-mère et son futur mari, Booz, vont rendre grâce pour cela. Quelque chose du projet de salut de Dieu se dit à travers elle...

Certes, le moyen utilisé par Anne Soupa est provocateur, mais il serait dommage de le réduire à cette dimension. Elle dit clairement qu’elle souhaiterait une prise de conscience. Sur le fond, cette théologienne ouvre un débat et un questionnement qui, à mon sens, arrivent à un moment favorable. L’Église catholique est blessée et malade. Cette fragilisation ou crise est un kairos, une occasion, pour exercer son intelligence, son discernement et mettre en œuvre sa liberté pour agir. La démarche d’Anne Soupa est dans la ligne du pape François qui demande que soient dissociés gouvernance et ministère ordonné. En Église, les femmes sont largement présentes. Mais à qui sont données les responsabilités ? Que faisons-nous du partage des charismes dans la gouvernance ? C’est l’Église corps du Christ qui est à construire, avec tous ses membres qui ont une égale dignité du point de vue humain et du point de vue de la grâce.

Certains objectent que la mission vient d’un appel et non d’une candidature…

Dire cela, c’est fermer par avance les possibles et entretenir une forme de statu quo en considérant que l’on peut uniquement entendre cet appel à partir du corps sacerdotal. L’appel est pour tous les baptisés. Qui peut dire qu’Anne Soupa n’a pas reçu un appel particulier ? Nous savons que sa candidature n’aboutira pas, mais elle ouvre des espaces de réflexion. C’est là sa visée. Que faisons-nous de la foi confiée à l’Église et de l’appel baptismal à être prêtre, prophète et roi ? Quid du sensus fidei, de la foi confiée au peuple de Dieu ?

Que penser du choix de Lyon, un diocèse qui a beaucoup souffert de la crise dans l’Église liée à la pédocriminalité ?

Il vise symboliquement le mal à sa racine. Les abus sexuels étaient d’abord des abus spirituels, et surtout des abus de pouvoir. Cette crise a mis en lumière une structure malade, un système pervers. Les abus de pouvoir mettent en jeu certains mécanismes : refus de la finitude, déni de l’altérité, processus de sacralisation. Il y a d’abord le refus de se reconnaître fragile, vulnérable, en manque. Comment combler, apaiser, ce manque sinon en s’ouvrant à une altérité radicale qui oblige à la sortie de soi ? Ensuite, il y a aussi une forme de sacralisation du prêtre qui a conduit au cléricalisme. Pendant des décennies, nous avons demandé à ces hommes de devenir des prêtres « parfaits » : nous les avons idéalisés sans prendre en compte leurs fragilités. La crise des abus dans l’Église révèle des manques criants d’équilibres personnels et d’équilibres institutionnels. Nous avons à quitter un imaginaire du prêtre et une vision pyramidale de l’Église : cela a conduit à une confusion entre pouvoir et autorité. Dissocier gouvernance et ministère ordonné implique de clarifier ces deux notions. Car, force est de constater que quand on parle de gouvernance, on comprend pouvoir. Or nous devrions parler plutôt d’autorité : celle-ci requiert l’écoute, la confiance, la liberté, le partage des tâches, la subsidiarité et surtout la fraternité.

Dans la société, la collaboration entre hommes et femmes est courante. L’Église est-elle en retard ?

Comme disent les jeunes, « il y a un gap ». Je crois que nous ne prenons pas suffisamment en compte la dimension culturelle. Nous sommes de moins en moins crédibles à être en décalage permanent avec le monde. Qu’est-ce qu’une foi qui ne s’incarne pas ? Notre société change, propose des évolutions de la place des hommes et des femmes, souvent en termes de revendications ; ce qui n’est pas la meilleure manière de faire. Il y a derrière ces questions de gouvernance un véritable enjeu d’évangélisation et de témoignage pour nos contemporains. Certains en Église se crispent sur des postures par peur du relativisme. Ils craignent que l’Église ne se dilue dans le monde. Certes, nous n’avons pas à imiter le monde, ni à penser l’Église comme une organisation, mais nous devons vivre avec le monde un rapport de mutuelle fécondation. Car qu’est-ce que l’Évangile s’il n’est pas relu dans un nouveau contexte culturel ? L’Évangile est parole vivante, incarnée : elle est parole inédite, dévoilement de la présence de Dieu, surgissement de la Révélation dans le monde dans lequel nous vivons. Le concile Vatican II nous invite à lire les signes des temps : cela demande une certaine capacité à se laisser déplacer. Sans imiter le monde, l’Église a à être dans le monde ; l’Évangile s’actualise dans un présent et dans une présence. N’oublions pas cette prière du Christ dans l’évangile de Jean (chapitre 17) : « Je ne te demande pas de les enlever du monde mais de les préserver du mal. » Se frotter au monde fait bouger les lignes et demande des adaptations.

Quel est votre vœu pour les femmes dans l’Église ?

Je souhaite plus de synodalité et de fraternité au sens fort du terme. Nous sommes fils et filles du même Père, frères et sœurs du Christ. J’insiste sur la nécessité d’une fraternité qui repose sur la confiance et non sur la peur, une fraternité qui considère que travailler avec des personnes de l’autre sexe est une vraie richesse. On ne peut pas penser la synodalité sans la fraternité. Elle suppose une confiance réciproque, un désir d’agir et de construire ensemble le corps du Christ. Trop d’hommes d’Église agissent seuls, et souvent ils sont épuisés. Beaucoup aspirent à plus de dialogue et de soutien. Il existe des manières d’être et de penser différentes chez les hommes et chez les femmes et aussi des charismes différents qui peuvent s’exprimer dans l’exercice d’une autorité partagée. Dans le second récit de la Genèse, Dieu bénit le couple pour sa fécondité : il bénit l’aide, le partenariat, la connivence, le rapport fécond de ces deux spécificités de l’humanité. La femme n’y est pas l’aide de l’homme au sens de ancilla – la servante ; elle est sa compagne pour bâtir ensemble un monde nouveau. Aujourd’hui, les femmes ont largement montré qu’elles pouvaient être en responsabilité. Il ne s’agit pas que d’une question d’organisation, l’enjeu est l’essence même de l’Évangile qui est à offrir au monde. Avant de parler de nouveaux ministères, prenons le temps du partage des tâches et de la fraternité. Osons nous questionner en ouvrant des possibles, soyons audacieux : une « Église en sortie » n’est certes pas confortable, mais c’est à ce prix seulement que la Bonne Nouvelle prendra chair en ce monde. Que pouvons-nous faire ensemble pour l’annoncer ?

 
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