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Vers un glissement du calendrier électoral au Burkina Faso ?

Alors que la Cedeao tient le 9 juillet un sommet consacré aux transitions en cours au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, les doutes sont de plus en plus forts sur le respect du calendrier électoral par les autorités burkinabè, censées organiser des élections présidentielle et législatives d’ici juillet 2024.

Par Jeune Afrique
Mis à jour le 7 juillet 2023 à 08:08
 

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La Commission électorale nationale indépendante (Ceni), à Ouagadougou, au Burkian Faso, en mars 2019. © AFP.

 

Le 9 juillet, à Bissau, se tiendra un nouveau sommet des chefs d’État de la Commnauté économiques des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Une fois de plus, il y sera largement question de la transition au Burkina Faso, en particulier du respect du calendrier électoral fixé avec l’organisation régionale, lequel prévoit la tenue d’élections présidentielle et législatives au plus tard le 1er juillet 2024.

Pour tenir ce calendrier établi avec le régime de transition du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, puis validé par celui du capitaine Ibrahim Traoré après son arrivée au pouvoir, en octobre 2022, un Comité technique d’élaboration du chronogramme actualisé de la transition a été mis sur pied par les autorités burkinabè. Le 26 janvier, celui-ci a remis son rapport au Premier ministre, Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla.

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Ce dernier confirme la durée de 24 mois pour la transition, à partir du 1er juillet 2022, et liste des réformes politiques et institutionnelles à opérer. Parmi elles, la révision de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) afin de la mettre « en phase avec la Charte de la transition », l’éventualité de l’adoption d’une nouvelle Constitution par référendum, ou encore la question du financement du processus électoral – en tout, plus de 60 milliards de francs CFA (92 millions d’euros) doivent être mobilisés pour l’organisation des élections, dont 61,15 % sur le budget de l’État.

« Nous sommes en retard »

Si l’on se fie à ce chronogramme de transition, le gouvernement aurait dû lancer depuis le 15 mars des initiatives pour avancer sur ces différents chantiers. « Mais nous sommes largement en retard », explique un juriste et ex-membre de la Ceni, qui évoque un « glissement probable » du calendrier électoral au premier trimestre 2025.

Wilfried Bako, député à l’Assemblée législative de transition (ALT) et membre du Comité technique d’élaboration du chronogramme actualisé de la transition, n’est pas de cet avis. « Nous ne sommes pas si en retard que cela. Le calendrier est encore tenable, notamment parce qu’il existe des procédures d’urgences en matière électorale », assure-t-il.

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D’après lui, deux options ont été proposées au gouvernement : des élections avec ou sans référendum constitutionnel. Si le Premier ministre a commencé à plaider pour l’adoption d’une nouvelle Constitution, rien n’a encore été officiellement acté en ce sens.

Une autre question essentielle demeure : le régime de transition dirigé par Ibrahim Traoré veut-il réellement des élections ? Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla l’a répété à maintes reprises ces derniers mois : « Nous ne pouvons pas organiser des élections sans sécurité. »

L’argument sécuritaire

Cette ligne est désormais reprise par les bruyants soutiens d’« IB » – le surnom donné à Ibrahim Traoré –, lesquels s’appuient sur des indicateurs comme le taux de reconquête du territoire national, le taux de réinstallation des personnes déplacées internes (PDI) ou encore le taux de présence des services de l’État.

Pour certains observateurs, la crise sécuritaire fait figure d’argument massue pour justifier un retard dans le calendrier électoral. À cet enjeu sécuritaire s’ajoute la saison hivernale, dont l’impact sur les opérations électorales n’est plus à démontrer au Burkina Faso.

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Pour ses opposants, le gouvernement joue sur ces contraintes pour ne pas démarrer le processus électoral. « Ils peuvent dire ce qu’ils veulent, mais la Ceni est prête pour organiser des élections », explique l’un d’eux. « Le Burkina Faso doit avoir un comportement responsable vis-à-vis de la Cedeao. Quand on a un accord, on le respecte. Et si l’on ne peut pas le respecter, on le notifie », assène le professeur Abdoulaye Soma, constitutionnaliste réputé et député à l’ALT.

Depuis quelques semaines, les autorités de transition burkinabè multiplient les gestes pour montrer leur bonne foi à la Cedeao : consultations sur les réformes politiques dans les différentes provinces du pays, projets de révision du Code électoral et du cadre juridique des partis politiques… Suffisant pour bénéficier encore de la mansuétude des chefs d’État de la Cedeao le 9 juillet prochain ?

Présidentielle au Sénégal : une élection sans « patrons » ?

Macky Sall hors du jeu, tout comme Moustapha Niasse, le scrutin de 2024 verra s’affronter de nombreux candidats n’ayant jamais concouru à une élection présidentielle.

Mis à jour le 5 juillet 2023 à 19:43
 
 
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Moustapha Niasse et Macky Sall (ici entourés d’Innocence Ntap Ndiaye et Aly Ngouille Ndiaye, le 28 mai 2019, au palais présidentiel de Dakar) ne seront pas candidats en 2024. © SEYLLOU/AFP

Jamais, en vingt-cinq ans, le Sénégal n’avait connu pareille situation à huit mois d’une présidentielle. Hormis Idrissa Seck (Rewmi), aucun candidat – déclaré ou hypothétique – à l’élection du 25 février 2024 ne cumule en effet les caractéristiques suivantes : être éligible avant même la refonte annoncée du code électoral, avoir été investi par son parti et avoir déjà été candidat à la magistrature suprême.

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Parmi les six autres membres du club très fermé des « Big Seven » (ces partis susceptibles de voir leur candidat se hisser au-delà de 10 % des suffrages au premier tour), le flou ou l’inexpérience à un tel niveau continue de régner. Quoi qu’il advienne, on peut donc anticiper d’ores et déjà que le scrutin entérinera l’extinction des dinosaures politiques sénégalais.

Senghor, membre unique

Au fil des décennies, ce club s’était progressivement étoffé. Depuis l’indépendance et jusqu’à la présidentielle de 1973, ledit club ne comptait en effet qu’un membre unique : le président-poète Léopold Sédar Senghor, élu puis réélu face à lui-même avec 100 % des suffrages exprimés pour cause de parti unique.

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En 1978, Abdoulaye Wade passe une tête dans le saint des saints et récolte, pour sa première participation, 17,80 % des voix face à Senghor. Cinq ans plus tard, ce dernier ayant quitté le pouvoir en cours de mandat, c’est Abdou Diouf, son dauphin désigné, qui s’impose dès le premier tour face à Abdoulaye Wade (14,79 %) et à quatre autres candidats dont le score demeure purement anecdotique.

« Petit nouveau »

L’ère des « Big Two » durera jusqu’en 2000. Cette année-là, qui marque aussi la première alternance au Sénégal, un « petit nouveau » alors âgé de 60 ans s’invite dans le club, qui passe alors à trois membres. Démissionnaire du Parti socialiste (PS), Moustapha Niasse, qui a fondé l’Alliance des forces de progrès (AFP) un an plus tôt, obtient en effet 16,77 % des suffrages pour sa première participation.

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En 2007, le nombre de membres ne varie pas, même si Idrissa Seck (14,92 %) intègre provisoirement le club dont Moustapha Niasse, lui, est provisoirement écarté (5,93 %). Au PS, Ousmane Tanor Dieng a entre-temps remplacé Abdou Diouf en tant que candidat.

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La présidentielle de février-mars 2012 marque la deuxième alternance au sommet de l’État puisqu’elle voit Macky Sall renverser Abdoulaye Wade au second tour. Le 26 février 2012, au soir du premier tour, les « Big Three » deviennent « Big Four ». Derrière Abdoulaye Wade (Parti démocratique sénégalais – PDS), Macky Sall (Alliance pour la République – APR), Moustapha Niasse (AFP) et Ousmane Tanor Dieng (PS) ont en effet obtenu eux aussi plus de 10 %. Idrissa Seck, quant à lui, devra patienter sept années avant d’être à nouveau admis à la table des grands.

Retour en arrière

En 2019, l’élection présidentielle semble marquer un retour en arrière puisqu’elle ne réunit que cinq candidats. L’entrée en vigueur récente de la loi sur les parrainages et les retombées des démêlés judiciaires de Karim Wade et Khalifa Sall sont passées par là, aboutissant à invalider près de trente candidatures.

Notre club sélect doit donc désormais se contenter de trois membres dans la mesure où, outre Macky Sall, réélu dès le premier tour avec 58,26 % des suffrages, seuls Idrissa Seck et Ousmane Sonko parviennent à franchir la barre symbolique des 10%.

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À huit mois de la présidentielle du 25 février 2024, il est encore trop tôt pour deviner qui composera le club des « 10 % et plus ». Une chose, néanmoins, semble acquise dès à présent : parmi les candidats susceptibles d’en devenir membres, les « bizuts » seront majoritaires – même si leur nombre reste inconnu.

Vétéran

À tout seigneur, tout honneur. Le vétéran Idrissa Seck est sur la rampe de lancement, avec des atouts non négligeables. Certes, lors des trois dernières présidentielles, son score a fait du yoyo. Mais, en moyenne cumulée, ses prestations passées (2007, 2012 et 2019) s’élèvent à 14,43 %. Un score tout à fait honorable mais probablement insuffisant pour espérer accéder au second tour, même si d’autres candidats pressentis devaient faire défection.

À LIRESénégal – Khalifa Sall : « Je serai candidat à la présidentielle de 2024 »

Khalifa Sall, maire de Dakar de 2009 à 2018, est le candidat déclaré du mouvement Taxawu Sénégal, qu’il a fondé. La refonte du code électoral dont le récent dialogue national a accouché devrait cette fois lui permettre de concourir malgré sa condamnation passée – contrairement à la présidentielle de 2019 – et le recueil des parrainages (rénové à la faveur du même dialogue national) ne devrait pas constituer un obstacle pour lui.

L’homme dispose d’une longue expérience en politique, ayant été très jeune député puis ministre. Toutefois, malgré ses 67 ans, il n’a encore jamais été candidat à une élection présidentielle. Les sondages politiques étant interdits au Sénégal, on ne dispose donc d’aucun référentiel de nature à évaluer son poids politique lors d’un scrutin national uninominal à deux tours. Tout au plus sait-on qu’il demeure populaire à Dakar et dans sa banlieue, mais il ne sera pas le seul dans ce cas.

Avenir incertain

Dans le camp de l’opposition, l’avenir des autres candidats pressentis est encore incertain. Du côté du PDS, Karim Wade n’a plus à craindre l’épée de Damoclès relative à sa condamnation, en 2015, pour enrichissement illicite. Il est à nouveau éligible depuis 2020, et la réforme du code électorale viendra conforter ce statut.

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Reste à savoir quand il reviendra au Sénégal pour y revêtir son habit de présidentiable. Maintes fois annoncé par le passé, son retour au pays n’a pas eu lieu depuis sa libération et son départ nocturnes pour le Qatar, en juin 2016. S’il a été ministre de 2009 à 2012 et qu’il est le candidat déclaré d’un des principaux partis du pays, Karim Wade demeure un novice en ce qu’il n’a jamais exercé le moindre mandat électif.

Imbroglio

Ousmane Sonko, quant à lui, est dans une situation nébuleuse. Sa condamnation pour corruption de la jeunesse est en effet de nature à l’empêcher de concourir en février 2024 puisqu’il a écopé d’une peine de deux années de prison ferme dont on ignore encore quand elle sera mise à exécution.

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Par ailleurs, l’imbroglio constitué par les dispositions du code de procédure pénale sur la contumace (il n’avait pas comparu à son procès) prévoient l’éventualité d’un nouveau procès dont la tenue reviendrait alors à « anéantir » le jugement rendu le 1er juin. En 2019, pour sa première participation à la présidentielle, l’opposant était arrivé en troisième position avec 15,67 % des suffrages. Depuis, sa popularité n’a cessé de croître dans le pays. S’il est évident qu’il pourrait créer la surprise en cas de candidature, rien ne permet encore d’être sûr qu’il sera en mesure d’y prétendre.

Une page blanche pour la majorité

Du côté de la majorité présidentielle, pour l’heure, la page reste à écrire. L’annonce faite par Macky Sall ce 3 juillet laisse en effet percer de nombreuses interrogations quant à la stratégie qu’adopteront – ensemble ou séparément -– les trois piliers de la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY).

Une chose paraît sûre à ce stade : à l’APR, aussi bien qu’au PS et à l’AFP, l’ère des dinosaures est révolue. Candidature unique ou pas, le CV des prétendants possibles est en effet vierge en matière d’élection présidentielle.

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C’est notamment le cas à l’APR, où ni Amadou Ba ni Abdoulaye Daouda Diallo, les deux favoris à la succession de Macky Sall, n’ont jamais concouru – pas plus d’ailleurs que leurs camarades de parti. Au PS, Aminata Mbengue Ndiaye, qui avait remplacé Ousmane Tanor Dieng en tant que secrétaire nationale après le décès de ce dernier, en 2019, n’a jamais été en lice, elle non plus, pour un tel challenge.

L’AFP en attente d’un successeur

Quant à l’AFP, le doyen Moustapha Niasse (83 ans) ayant tiré sa révérence après une longue carrière politique, encore faudrait-il que ses héritiers se décident à désigner son successeur à la tête du parti qu’il avait fondé. Quel qu’il soit, homme ou femme, lui ou elle aussi sera vierge de toute candidature passée.

Si l’on tient compte de l’hypothèse selon laquelle Ousmane Sonko pourrait être dans l’incapacité de se présenter et de celle qui pourrait voir une candidature unique au nom des trois principaux partis de Benno Bokk Yakaar, les « Big Seven »  verraient donc, in fine, leur nombre réduit à quatre : trois opposants face à un représentant unique de l’actuelle mouvance présidentielle.

Parmi eux, seul Idrissa Seck aurait déjà pris ses marques lors d’une telle élection. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il sera le mieux placé pour l’emporter.

Subsahariens, Chinois, Français… « En Algérie, la plupart des étrangers vivent en marge de la société »

Qui sont les travailleurs étrangers présents en Algérie ? D’où viennent-ils et dans quelles conditions vivent-ils ? C’est à ces questions qu’a tenté de répondre la grande enquête menée par le Cread. Entretien avec Mohamed Saïb Musette, l’un des coauteurs de l’étude.

Mis à jour le 5 juillet 2023 à 13:08
 

 

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Des ouvriers du bâtiment subsahariens, à Alger, le 10 mars 2023. © Fateh Guidoum/AP/SIPA

 

Des travailleurs étrangers vivant dans l’ombre, une baisse relative des personnes en situation régulière au profit de migrants sans statut ni couverture sociale. C’est l’un des principaux enseignements de l’enquête réalisée par cinq experts du Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread) et publiée le 13 juin. Sociologues et démographes ont étudié cinq wilayas – Oran, Alger, Bejaïa, Tlemcen et Tamanrasset – réputées pour être les principales régions d’emploi des migrants.

L’enquête retrace l’itinéraire de cette main-d’œuvre étrangère et son évolution sur le marché du travail, tant légal qu’informel. Elle montre aussi, explique Mohamed Saïb Musette, directeur de recherche au Cread, l’un des coauteurs de cette étude, qu’une forte proportion des travailleurs étrangers affirme être victime de certaines formes de discrimination.

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Jeune Afrique : La main-d’œuvre étrangère en Algérie est-elle homogène ?

Mohamed Saïd Musette : Absolument pas. On n’a pas un profil ou une identité globale. Nous avons plutôt une population étrangère hétérogène qui exerce dans les deux segments de l’économie, le moderne et l’informelle.

Dans le secteur moderne, nous avons une main-d’œuvre qui est en adéquation avec les exigences du marché du travail dans la mesure où ces étrangers disposent soit d’un permis de travail (pour les salariés), soit d’un registre de commerce. Dans l’économie informelle, les travailleurs ne sont pas affiliés à la sécurité sociale et travaillent en qualité d’indépendants, d’employeurs ou de salariés sans aucun enregistrement.

Selon les résultats, les travailleurs étrangers se divisent en deux catégories distinctes : les nouveaux migrants arrivés au cours des cinq dernières années en provenance généralement d’Afrique subsaharienne, avec un niveau d’instruction faible, une expérience professionnelle limitée, une situation financière précaire, une intégration très faible et l’espoir de réduire la durée de transit par l’Algérie.

Le deuxième profil regroupe les travailleurs migrants temporaires. Originaires, généralement, des pays arabes et asiatiques, ces anciens travailleurs migrants sont plus instruits et expérimentés, et mieux intégrés dans l’économie algérienne.

Comment cette main-d’oeuvre évolue-t-elle sur le marché du travail ?

On observe, selon les données accessibles, une baisse du volume des travailleurs étrangers. Au début de ce millénaire, ils étaient à peine un millier de salariés détenteurs d’un permis de travail, avant que ce chiffre ne passe en 2016 à 100 000. Fin 2020, le nombre de permis en cours de validité était divisé par cinq, soit moins de 20 000 étrangers bénéficiaires. Il est à souligner que les ressortissants de certains pays (comme la Tunisie ou la France) ne sont pas soumis au régime de permis de travail. Ils doivent néanmoins être enregistrés. Le volume des travailleurs exerçant sans aucun papier reste statistiquement insaisissable.

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Quels sont les secteurs les plus prisés ?

Pour les salariés, les secteurs du BTP et du commerce constituent des niches. Les commerçants (personnes physiques) constituent le gros des troupes. Ils sont sept fois plus nombreux que les sociétés (personnes morales). Ces étrangers sont principalement présents dans les services (34 %) et dans « la production des biens » (33 %), selon les données officielles en 2021.

Les Chinois forment-ils toujours la première communauté en Algérie ?

Cinq communautés ont une forte présence dans le secteur moderne : les Français (avec plus de 2 000 sociétés), les Turcs, les Syriens, les Tunisiens et les Chinois.

La nationalité d’origine est-elle déterminante dans l’intégration à la société algérienne ?

Sur le plan de l’intégration économique, on peut affirmer qu’avec le temps les migrants finissent par être mieux intégrés, même à la marge du secteur moderne, avec une certaine stabilité dans l’emploi, un revenu supérieur au salaire minimum, et habitent dans des conditions plus ou moins décentes.

L’intégration est ainsi liée à la durée de la présence en Algérie. Mais la majorité des étrangers vivent en marge de la société, sans chercher une intégration sociale. Le contrat de travail (écrit ou non) achevé, l’étranger opte pour le retour, qu’il travaille dans le formel ou l’informel, qu’il soit en situation régulière ou irrégulière.

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Avez-vous noté durant votre enquête l’émergence d’un repli identitaire et d’une stigmatisation des étrangers ?

Cette enquête met en exergue des différences de pratiques cultuelles des étrangers par rapport à la société algérienne. Le repli identitaire tout comme la stigmatisation sont un phénomène social commun à toute société humaine face aux étrangers de culture différente. L’Algérie n’en est pas exempte.

Notre étude montre que 16 % des étrangers affirment être victimes de discrimination, laquelle est plus intense à l’égard des Subsahariens (32 %) que des Arabes ou des Asiatiques. L’Algérien oublie parfois qu’il est aussi africain. Plus que la discrimination, le racisme noir-blanc est latent.

Le verrouillage des frontières européennes a-t-il accentué ce qu’on appelle la transition migratoire ?

Certes, les restrictions européennes sont à l’origine de la fabrique des migrations de transition, mais celles-ci se font de moins en moins à travers l’Algérie. La migration de transit, à travers l’Algérie vers l’Europe, semble être en baisse si on compare les données des enquêtes.

Selon nos résultats, 21 % des migrants ont toujours l’intention de gagner un autre pays, plutôt en Europe. Mais une enquête de CISP/SARP menée en 2008 indiquait que la part des migrants subsahariens qui transitaient alors par l’Algérie pour rejoindre l’Europe était de l’ordre de 40 %. Le taux de migrants aspirant à entrer en Europe a donc été réduit de moitié entre ces deux dates.

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Comment évaluez-vous la politique migratoire de l’Algérie ?

La politique migratoire algérienne n’est pas figée dans un schéma, un discours ou un programme. La stratégie adoptée repose sur une distribution des missions entre différents secteurs, la coordination intersectorielle se faisant au niveau de la primature. Cette stratégie évolue en fonction des conjonctures. Au niveau international, l’Algérie s’est abstenue de signer le Pacte mondial des migrations (2018), mais elle a déposé en 2021 auprès des Nations unies un rapport volontariste sur l’implémentation de ce pacte.

Au niveau régional, elle n’a pas non plus signé le Protocole de l’Union africaine sur la libre circulation des personnes (2018). En même temps, l’Agence nationale de la coopération internationale dispose d’un fonds de 1 milliard de dollars pour soutenir le développement des pays africains. Enfin, au plan national, une loi sur la discrimination a été adoptée en 2020, et une nouvelle loi sur la traite des êtres humains vient de l’être en 2023. La loi sur le séjour des étrangers (2008) est entrée en révision. Pour rappel, enfin, des bourses d’études supérieures sont accordées, depuis les années 1960, aux étudiants africains.

Et si les dirigeants africains osaient, enfin, se méfier des mercenaires russes ?

Soudan, Libye, Mali, Centrafrique, Mozambique… La liste des pays africains bénéficiant des services des mercenaires d’Evgueni Prigojine ne cesse de s’allonger. La brève insurrection de Wagner en Russie devrait pourtant leur servir d’avertissement.

Mis à jour le 1 juillet 2023 à 17:31
 
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Par Roger-Claude Liwanga

Chercheur à l'université Harvard, professeur de droit et de négociations internationales à l'université Emory.

 

 

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Meeting électoral de Faustin-Archange Touadéra, escorté par sa garde présidentielle, par des mercenaires russes et par des soldats rwandais de la force de maintien de la paix des Nations unies, à Bangui, le 19 décembre 2020. © Alexis Huguet/AFP

 

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les mercenaires du groupe Wagner combattaient aux côtés des troupes russes et avaient même remporté d’importantes victoires contre l’armée ukrainienne. Si les tensions entre la hiérarchie militaire russe et Evgueni Prigojine n’étaient plus un secret pour personne, la mutinerie-éclair que le très controversé patron des mercenaires a organisée, le 23 juin, a surpris tout le monde, et soulève bien des questions, notamment pour les États africains.  

« Pièce de rechange »

De la Libye au Mozambique en passant par le Mali et la Centrafrique, Wagner est présent dans au moins dix pays africains, où il offre ses services en matière de sécurité, de formation et d’entraînement. Ce groupe, qui est, par ailleurs, le bras armé de la Russie à l’étranger, a une influence grandissante en Afrique. Il y est en effet tantôt un supplétif pour des armées nationales embourbées dans des conflits internes, tantôt une « pièce de rechange » destinée à remplacer des troupes occidentales. C’est notamment le cas en Centrafrique et au Mali, où Wagner a comblé le vide laissé respectivement par les forces armées françaises de la mission logistique et par celles de l’opération Barkhane.

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Pourtant, en dépit des avantages, réels ou supposés, de Wagner, d’aucuns se demandent si ces mercenaires ne présentent pas un sérieux danger pour les régimes qui ont recours à leurs services. Selon ces observateurs, si Wagner n’a pas hésité à se retourner contre la Russie de Vladimir Poutine, alors rien ne l’empêche de « trahir » de la même manière les dirigeants africains qui misent sur lui pour sécuriser leur pays. Le président Poutine n’a-t-il pas lui-même qualifié de « trahison » et de « coup de poignard dans le dos » la brève rébellion du groupe Wagner ? 

Professionnaliser les armées nationales 

Ceux des dirigeants africains qui ont lu Le Prince, de Machiavel, devraient se souvenir des conseils que ce penseur de la Renaissance italienne dispensait au Prince. Il lui recommandait de ne point trop se fier aux mercenaires, en raison de leur inconstance et de leur extraordinaire capacité de nuisance.

Machiavel suggérait également au Prince de former et d’équiper sa propre armée afin de se défaire de toute dépendance. Certes, l’on ne construit pas une armée en quelques semaines, mais les compensations indécentes (en argent ou en ressources minières) que les Africains octroient à ces mercenaires pourraient tout aussi bien être utilisées pour professionnaliser les armées nationales.

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Un exemple édifiant : selon un rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), la Centrafrique dépense chaque année 41 millions de dollars, achat d’armements et soldes compris, pour son armée de 9 000 hommes. Parallèlement, ce pays débourse, toujours annuellement, environ 264 millions de dollars (en nourriture et en logement) pour les quelque 2 000 mercenaires de Wagner présents sur son territoire.

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Dans l’immédiat, les dirigeants africains devraient s’attacher à gérer leur partenariat sécuritaire avec Moscou tout en collaborant avec Wagner, dont le patron est désormais indésirable en Russie. La Russie serait-elle prête à envoyer des soldats réguliers auprès de ses partenaires africains et en remplacement de Wagner, alors même qu’elle a besoin d’hommes pour se battre en Ukraine ? 

Cela semble peu probable. D’autant que ce groupe, qu’elle a largement financé, lui a permis de marquer des points et de distancer ses adversaires occidentaux, contraints de se retirer du continent. Il est donc à craindre qu’il ne reste plus aux dirigeants africains qu’une seule option : attendre patiemment l’inévitable restructuration de Wagner, à laquelle Moscou ne manquera pas de procéder.

Au Burkina Faso, Ibrahim Traoré veut-il faire adopter une nouvelle Constitution ?

Après Assimi Goïta au Mali, le capitaine Traoré envisagerait-il lui aussi de changer de Loi fondamentale ? C’est en tout cas ce que suggèrent de récentes déclarations du Premier ministre, Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla.

Par  - à Ouagadougou
Mis à jour le 29 juin 2023 à 12:56
 
 
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Le président de la transition burkinabè, le capitaine Ibrahim Traoré, à Ouagadougou, le 15 juin 2023. © PRÉSIDENCE DU FASO

 

Ce 30 mai, Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla se sait attendu au tournant. Le Premier ministre doit prononcer son discours sur l’état de la nation devant l’Assemblée législative de la transition (ALT). Situation sécuritaire, lutte contre les groupes jihadistes, critiques à peine voilées contre la France et appel à de nouveaux partenaires… Le chef du gouvernement de transition déroule la feuille de route que lui a confiée le capitaine Ibrahim Traoré, président de la transition.

Puis, devant les députés, il lâche une petite phrase qui ne passe pas inaperçue : « La refondation de la société consistera d’abord à doter le pays d’une Constitution qui soit le reflet des aspirations de nos populations. »

« Pseudo-constitutionnalistes »

Quelques jours plus tard, le Premier ministre en remettait une couche lors d’une audience accordée au médiateur du Faso, le 12 juin. « Jusque-là, nous avions une vision carrée car notre Constitution est une copie de la Constitution française. La Constitution actuelle est en déphasage avec nos réalités », avait-il alors affirmé. Et d’égratigner, au passage, de célèbres constitutionalistes burkinabè tels que les professeurs Augustin Loada, Abdoulaye Soma ou encore Seni Ouédraogo : « Nos intellectuels, plus particulièrement nos pseudo-constitutionnalistes, sont incapables d’innover, car ils pensent que tout doit se faire selon le canevas imposé par les Occidentaux. »

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Une fois de plus, la junte burkinabè suivrait donc l’exemple de sa voisine malienne, dont elle s’est rapprochée ces derniers mois. Au sommet de l’État, le discours reste évasif quant à la volonté d’Ibrahim Traoré de changer, ou non, de Loi fondamentale. « C’est déjà lancé », affirme une source proche de la présidence. « Je n’ai pas connaissance de telles démarches », tempère une autre.

Selon plusieurs sources, des manœuvres, « parfois souterraines », ont été lancées pour mettre « quelque chose sur la table » prochainement, bien que le flou demeure sur l’identité et le programme des acteurs censés mener la réflexion sur ce projet.

Méfiance des leaders politiques

De leur côté, certains acteurs politiques sont eux aussi convaincus que les dirigeants de la transition réfléchissent à un changement de Constitution. « Ils concoctent quelque chose. Et contrairement aux initiatives antérieures de ce type sous d’autres régimes, nous n’en avons pas été informés », affirme une figure de la classe politique.

Depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré, le 2 octobre 2022, les acteurs politiques ne cachent pas leur méfiance à son égard. Et pour cause : le jeune putschiste a maintenu interdites leurs différentes activités. Pas de réunions d’instances de partis, pas de meetings, pas de manifestations, quelles qu’elles soient, organisées par une formation politique… Les partis et leurs leaders sont réduits au silence.

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Dans une tribune publiée le 18 juin 2023, Harouna Dicko, juriste et homme politique, a accusé le capitaine Ibrahim Traoré de museler les partis et les organisations de la société civile « au seul profit de ses thuriféraires » et estimé que cet éventuel changement de Constitution était « une manière de préparer son élection comme président de la République ».

Si l’exécutif reste muet sur ce qui est entrepris en matière de réformes institutionnelles, ce n’est pas le cas de l’ALT. Depuis début juin 2023, l’organe législatif de la transition, présidé par Ousmane Bougouma, mène des concertations provinciales sur « les réformes politiques, administratives et institutionnelles » à opérer « dans le cadre du processus de refondation » du Burkina Faso. Concrètement, des rencontres sont organisées avec les différents acteurs de la société civile dans les treize régions du pays pour aboutir à un document final qui sera ensuite remis au gouvernement.

Un vieux projet

Depuis l’insurrection de 2014 qui a chassé Blaise Compaoré du pouvoir, la nécessité d’un changement de Loi fondamentale fait l’objet d’un débat récurrent au Burkina Faso. En 2017, l’ex-président Roch Marc Christian Kaboré avait fait avancer ce chantier et reçu des mains d’une commission constitutionnelle, dirigée par feu Me Halidou Ouédraogo, un avant-projet de Constitution instituant le passage à une Ve République.

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« Le souhait de la commission est de voir cet avant-projet de Constitution adopté pour que le pays puisse approfondir sa démocratie, amorcer son développement et aller vers le progrès social », commentait alors Me Ouédraogo.

Après avoir échoué à faire valider ce nouveau texte lors de son premier mandat (2015-2020), Roch Marc Christian Kaboré, réélu fin 2020, pensait y parvenir lors de son second quinquennat. Il n’en aura pas le temps. Le 24 janvier 2022, il sera renversé par un putsch mené par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba.