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Transport routier : au Burkina, chauffeurs et transporteurs enterrent la hache de guerre

| Par - à Ouagadougou

Le gouvernement burkinabè a annoncé lundi la levée de la suspension qui pesait contre l'Organisation des transporteurs routiers du Faso (Otraf) et l'Union des chauffeurs routiers du Burkina (UCRB). La sanction avait été prononcée le 28 août, suite à une pénurie de carburant engendrée par le conflit des deux entités.

Prévue initialement pour trois mois, la suspension des activités de l’OTRAF et de l’UCRB a été finalement levée lundi 17 septembre par le Premier ministre Paul Kaba Thiéba, après trois semaines d’application. L’exécutif burkinabè explique sa décision par l’accord de conciliation entériné entre les deux frères ennemis sous l’égide du Haut conseil pour le dialogue social, présidé par le chercheur à la retraite, Jean-Marc Palm.

La sanction avait été prononcée le 28 août dernier, alors que le pays était en proie à une pénurie de carburant causée par cinq jours de grève des chauffeurs affiliés à l’UCRB. Ces derniers réclamaient la démission du président de l’Otraf, El Hadj Issoufou Maiga, par ailleurs président de la Société de transports et de commerce du Faso (Sotracof), une entreprise de 500 camions qui a réalisé 7,4 milliards de francs CFA (plus de 11 millions d’euros) de chiffres d’affaires en 2017, l’accusant d’utiliser sa fonction au profit de son entreprise. Un partage équilibré du fret et de meilleures conditions de travail faisaient aussi partie des mots d’ordre.

D’après les transporteurs, le manque à gagner dû à ce mouvement s’élève à plus de 10 milliards de F CFA.

Un secteur à 85 % informel

« L’État a pris l’engagement de revoir à la hausse la grille salariale des chauffeurs ainsi que leur affiliation à la Caisse nationale de sécurité sociale », a salué Brahima Rabo, président de l’UCRB, suite à l’intervention du Haut conseil pour le dialogue social. D’autres mesures comme l’instauration des bons de chargement dans les ports de Lomé, d’Accra et d’Abidjan ainsi que l’aménagement de parkings et d’aires de repos sont également prévues.

D’après nos  informations, l’accord interdit désormais à l’une des organisations d’interférer dans la gestion de l’autre. « Le présent accord met chaque entité à l’abri des troubles « , a déclaré à Jeune Afrique El Hadj Issoufou Maiga, président du principal syndicat professionnel routier, créé en 1995. « Au moment de la suspension, nos membres étaient à l’abandon, sans repère. Nos bureaux vont rouvrir permettant à nos 1 600 agents de reprendre leur activité », assure-t-il.

Le secteur du fret en direction du Burkina représente entre 4,5 et 6 millions de tonnes par an. Il est assuré par près de 5 000 entreprises locales, à 85 % sont informelles, exploitant un parc de 24 000 engins. Il s’agit pour la plupart de petites sociétés familiales disposant de deux ou trois camions hors d’âge – plus de 30 ans en moyenne. Une pléiade de nouveaux entrants mêlant fonctionnaires, retraités et commerçants a émergé dans le secteur des transports suite à la crise ivoirienne qui a favorisé l’essor du secteur informel.

« De la place pour tous »

Parmi les acteurs locaux de plus grande envergure, ou peut citer, outre la Sotracof, Kanazoé Frères, de l’homme d’affaires Inoussa Kanazoé, qui compte un millier de camions, ou encore Cotradis. Fondée en 2012 et dirigée par Abdoul Kader Yada, 44 ans, un ingénieur-électricien qui est passé chez Mobil Oil, Cotradis a connu une croissance rapide au cours des cinq dernières années : la société a vu son chiffre d’affaires bondir de 1,5 milliard de F CFA en 2013 à plus de 8 milliards en 2016. Avec près de 300 collaborateurs, elle réalise 70 % de ses activités au Burkina Faso, son principal marché. Elle compte parmi ses clients la mine de zinc de Perkoa (Burkina), aux réserves estimées à 6,3 millions de tonnes et détenue par le suisse Glencore, et la filiale burkinabè du marocain Ciments d’Afrique.

En outre, au moins 1 000 camions étrangers entrent quotidiennement au Burkina par les postes frontaliers de Cinkansé, Dakola, Ouessa,Niangologo, Fo ou encore Nadiagou.

Mais pour El Hadj Maiga, « on ne peut pas vraiment parler de monopolisation : nous aurions besoin d’un parc de 100 000 camions pour assurer convenablement l’approvisionnement du pays ainsi que la distribution des produits dans les villes de l’intérieur », estime-t-il.

Côte d’Ivoire : la stratégie de Bédié face à la « suspension » des décisions du PDCI par la justice

| Par

Nouvel épisode dans la crise qui secoue le PDCI sur la question du ralliement au RHDP, le parti unifié. Une décision de justice a invalidé le 19 septembre la décision du bureau politique du parti avalisant le report de l'alliance avec la coalition présidentielle à après la présidentielle de 2020.

Au siège du PDCI, dans la soirée du mercredi 19 septembre, la colère se lisait sur les visages des militants accourus dès l’annonce de la décision du tribunal du Plateau. « Nous avons vu pire que cela. D’abord avec les militaires, suite au coup d’État de 1999, puis lors de la crise militaro-politique. Le PDCI vivra ! », lance l’une d’elle. Dans les bureaux, les cadres du  parti s’affairent à préparer le prochain bureau politique du parti tandis qu’à Daoukro, Henri Konan Bédié, 84 ans, président du parti depuis vingt-quatre ans, prépare sa riposte.

Plus tôt dans la journée, une décision de justice a enfoncé un nouveau coin dans les relations déjà tendues au sein du PDCI entre les partisans de l’alliance avec le RHDP, parti unifié, et ceux qui s’y opposent, au premier rang desquels Henri Konan Bédié.

Le véritable enjeu de cette bataille juridique est le congrès ordinaire du PDCI

Décision suspendue

La juge Massafola Méité-Traoré du tribunal de première instance du Plateau (Abidjan) a suspendu la décision prise par le bureau politique du PDCI le 17 juin 2018. Ce jour-là, le PDCI avait « endossé l’accord politique signé le 12 avril 2018 par les partis membres du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, mouvance présidentielle) » en vue de la création d’un futur parti unifié.

Mais les instances dirigeantes du parti avaient surtout soumis l’adoption des textes fondateurs de ce futur parti unifié « à l’examen du prochain congrès ordinaire du PDCI », dont la date a été repoussée à après l’élection de 2020.


>>> À LIRE – Parti unifié en Côte d’Ivoire : les dessous du bureau politique du PDCI


Derrière ces questions d’agenda, les décisions du bureau politique du 17 juin dernier marquent en fait le premier pas du PDCI vers la rupture avec la coalition au pouvoir, officialisée début août par Henri Konan Bédié.

Autres décisions « suspendues » par la justice ivoirienne : le report de la date du congrès ordinaire du PDCI et, surtout, la prolongation du mandat de Henri Konan Bédié à la tête du parti au-delà du 6 octobre.

«  Le véritable enjeu de cette bataille juridique est le congrès ordinaire du PDCI », explique l’analyste politique Innocent Gnelbin, précisant que « le 6 octobre prochain, Bédié aura bouclé son mandat de cinq ans à la tête du PDCI. Et la justice pourrait à nouveau être mise à contribution par ses adversaires au sein du parti, dès lors qu’il apparaît certain qu’il ne pourra pas organiser de congrès avant cette échéance ».

Réunion délocalisée

En saisissant le tribunal, Jérôme N’Guessan, membre du bureau politique du PDCI, et partisan de l’intégration du parti au RHDP, souhaitait une annulation pure et simple de la résolution du 17 juin, afin que seule demeure la validation par Bédié de l’accord politique signé deux mois plus tôt. Jérôme N’Guessan peut même savourer une double victoire, le tribunal ayant également suspendu une décision du bureau politique qui le visait.

Mais la décision de justice est loin de mettre un point final au débat qui divise le PDCI. Et Henri Konan Bédié, bien décidé à riposter, s’était préparé à l’éventualité avec une application redoublée depuis que la Commission électorale indépendante (CEI) l’a débouté, début septembre, de sa demande d’interdire aux militants PDCI ayant rejoint le RHDP d’user du logo du parti.

Le rendez-vous a été pris à Daoukro, alors qu’habituellement les bureaux politiques du PDCI se tiennent à son siège à Cocody

À la veille de l’ordonnance attendue de la juge, mardi 18 septembre, Bédié a reçu la majorité des membres de son secrétariat exécutif dans son fief de Daoukro. À l’issue de la rencontre, il avait été décidé de convoquer un bureau politique, mais aucune date n’avait été fixée… Dès la décision de justice connue, rendez-vous a été pris au lundi 24 septembre à Daoukro. Un choix qui n’a rien d’anodin, alors qu’habituellement les bureaux politiques du PDCI se tiennent à son siège à Cocody, à Abidjan.

Il n’est pas exclu que le prochain bureau politique du PDCI décide de quitter définitivement l’alliance du RHDP

En délocalisant cette réunion dans un hôtel non loin de son domicile, à plus de 230 km au nord d’Abidjan, le notable baoulé avait peut-être en tête la citation de l’écrivain malien Massa Makan Diabaté : « Les pieds ne vont pas là où le cœur n’est pas ». Tout en prenant soin de maîtriser la sécurité, pour éviter les incidents qui ont éclaté lors du bureau politique du 17 juin, Bédié veut aussi s’assurer que ceux qui feront le déplacement seront principalement ses inconditionnels.


>>> À LIRE – Côte d’Ivoire : le PDCI demande un report des élections locales


Vers une rupture définitive ?

Et ce bureau politique pourrait fort bien déboucher sur des décisions encore plus tranchées que celles qui ont été « suspendues » par la justice. « Il n’est pas exclu que le prochain bureau politique du PDCI décide de quitter définitivement l’alliance du RHDP, alors que celui qui a été attaqué en justice laissait entrevoir la possibilité d’une adhésion du PDCI », commente le politologue Innocent Gnelbin. « De même, le PDCI pourrait décider de suspendre sa participation au processus électoral et d’en appeler à une large coalition de l’opposition contre le Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara », continue-t-il.

En attendant, les avocats du PDCI affûtent leurs arguments pour interjeter appel de la décision prise en première instance, et s’emploient à s’entourer de toutes les garanties juridiques pour sécuriser les décisions qui seront prises lors de la prochaine réunion.

Burkina : les autorités confrontées
à un nouveau défi sécuritaire dans l’Est

| Par - à Ouagadougou - Avec Aïssatou Diallo

L'Est du Burkina Faso est en proie à une recrudescence d'attaques depuis le début de l'année. Le gouvernement affirme avoir déployé des moyens supplémentaires face à une nébuleuse dont les motivations restent encore floues.

Alors que dans le Nord, l’armée burkinabè a considérablement affaibli les capacités de nuisance des combattants affiliés au groupe du prédicateur radical Malam Ibrahim Dicko autour de Djibo, un nouveau front émerge à l’Est.

Les attaques visant des civils, des membres des forces de sécurité et de défense ainsi que des symboles de l’État s’y sont multipliées au cours de ces derniers mois. Dernier événement en date, l’enlèvement d’un prêtre italien dans la région de Tillaberi, au Niger, à la frontière avec le Burkina, dans la nuit du 17 au 18 septembre. Selon plusieurs témoins, les ravisseurs se sont ensuite repliés avec leur otage au Burkina. Deux jours plus tôt, des individus armés non identifiés ont mené une double attaque dans l’Est. Bilan : huit morts et trois blessés.

Depuis février 2018, ce sont pas moins de 22 attaques qui ont frappé la région. À chaque fois, le modus operandi est le même, et les cibles identiques : attaque contre des convois de l’armée au moyen d’engins explosifs improvisés et destructions de symboles de l’État – gendarmerie, postes forestiers, commissariats.

Même les Koglweogo, des milices d’auto-défense qui se sont créées ces dernières années face à l’insécurité grandissante dans plusieurs régions du pays, semblent démunies. Un responsable local des Kogleweogo confie même à Jeune Afrique avoir été menacé. Il lui aurait été demandé de « se tenir à l’écart de leur combat ».

Une nouvelle katiba ?

Les assaillants, qui se déplacent à moto, semblent maîtriser le terrain dans cette région forestière. Ces attaques, visiblement planifiées et très bien organisées, ne sont pourtant pas revendiquées. Une réunion de coordination en vue de créer une katiba jihadiste s’est tenue en mars dernier dans une localité frontalière du Niger, selon une source au sein des services de sécurité burkinabè. La plupart des combattants présents ont fait leurs armes au Mali.

Plusieurs sources sécuritaires évoquent même la création d’un « sanctuaire » jihadiste dans l’Est

Cette nébuleuse, dont les ramifications avec les groupes terroristes actifs dans la région – GSIM, AQMI, al Mourabitoune, etc. – restent encore floues, serait dirigée par un guide spirituel burkinabè. D’autres sources avancent que le logisticien du groupe, rompu au maniement des armes et en engins explosifs improvisés, serait un transfuge de la secte islamiste Boko Haram.


>>> À LIRE – Burkina Faso : vaste opération antiterroriste dans le nord du pays


Traqués dans le septentrion par l’armée nigérienne et les troupes de la force conjointe du G5 Sahel appuyée par les forces de l’opération française Barkhane, ces combattants seraient en quête d’une nouvelle zone de repli. Plusieurs sources sécuritaires évoquent même la création d’un « sanctuaire » jihadiste dans l’Est.

« Je ne sais pas si c’est Ansarul Islam qui est derrière ces attaques. Il m’est revenu que c’est un jihadiste traqué au Niger et sa bande, au sein de laquelle il doit y avoir des bandits, qui écument l’Est et se sont convertis en terroristes », abonde un autre responsable sécuritaire, se refusant à livrer plus de détails.

Des sources officielles burkinabè accréditent cette thèse. « En 2015, cette région, notamment la forêt du parc W, a connu une tentative d’implantation de groupes terroristes. Celle-ci a été mise en hibernation grâce aux différentes opérations menées dans le cadre de l’opération Tapoa », a déclaré le Premier ministre Paul Kaba Thiéba. Au cours de cette dernière, près de 200 présumés terroristes avaient été arrêtés par l’armée Burkinabè.

Une explication mise en doute par un haut gradé de l’armée, selon lequel les attaques n’ayant pas été revendiquées, « ce ne sont pas des terroristes ». Il s’interroge cependant sur ces « attaques planifiées » qui se concentrent uniquement sur le Burkina. « Je trouve vraiment incompréhensible le fait qu’ils ne font pas d’attaques au Bénin ou au Togo voisins », glisse notre source.

Opérations en cours


Devant l’Assemblée nationale, lundi 17 septembre, le Premier ministre a annoncé « le renforcement des capacités opérationnelles à travers l’équipement, l’entraînement ainsi que la formation des unités d’élite et de forces spéciales », afin d’accélérer la lutte contre le terrorisme. Il a également insisté sur les opérations conduites en interne et en coopération avec les pays voisins, dans le cadre d’organisation sous régionales, telles que le G5 Sahel.

Une source militaire locale a également déclaré à Jeune Afrique que des opérations sont actuellement en cours sur le terrain. « La situation commence à se stabiliser. Nos éléments des forces de défense et de sécurité ratissent la zone forestière, située près de la frontière entre le Bénin et le Niger. Des avions [de combat] sont également déployés pour apporter un renfort au troupes au sol », a précisé cette source.

Dans un communiqué publié mardi 18 septembre, le gouverneur de la région de l’Est « informe le public que la circulation routière entre les villes et les villages de la région est formellement interdite aux usagers se déplaçant en engin à deux roues ou en tricycles de 19 heures à 5 heures du matin pour compter du mardi 18 septembre 2018 jusqu’à nouvel ordre », le document précise par ailleurs que les véhicules automobiles, de transport de personnes ou de marchandises, autorisées à circuler seront soumis à des contrôles stricts.

Côte d’Ivoire : le gouvernement veut exclure
le secteur privé de la gouvernance
du Conseil café-cacao

| Par Jeune Afrique

Selon une proposition gouvernementale de réforme, le secteur privé n'aurait plus de représentant au sein de l'organe de direction du Conseil café-cacao (CCC), jugé trop divisé et s'opposant au rapprochement du système de mise en vente avec le Ghana.

Le gouvernement ivoirien propose de supprimer la représentation du secteur privé au sein du conseil d’administration du Conseil café-cacao (CCC) à partir de l’année prochaine, selon les informations de Bloomberg. Les autorités ivoiriennes trouvent les intérêts privés trop divisés, craignant qu’ils n’entravent les réformes d’harmonisation du système de mise en vente du cacao avec le Ghana.

Hormis des représentants des broyeurs, des exportateurs et des financeurs au titre du secteur privé, le conseil d’administration du CCC comprend des délégués du président, du Premier ministre, des agriculteurs et des ministères de l’Agriculture et du Développement rural, du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion des PME, ainsi que de l’Économie et des Finances.

Les autorités encourageront les représentants du secteur privé à former un organisme consultatif indépendant, qui pourra échanger régulièrement avec le CCC.

Rapprochement Côte d’Ivoire-Ghana

En juin 2018, les deux pays étaient parvenus à un accord sur une stratégie commune de mise sur le marché destinée à influencer les cours internationaux, avec l’annonce d’un prix plancher unique pour les cultivateurs dès cette année.

Si les deux vendent leurs récoltes aux exportateurs par anticipation, la Côte d’Ivoire a un système de mise en marché quotidien, tandis que le Ghana cède sa production seulement à certaines dates, quand il le souhaite.

L’économie cacaoyère mondiale génère 100 milliards de dollars par an, mais les paysans n’engrangent que 2% de cette manne. L’objectif de la Côte d’Ivoire et du Ghana est de créer un cartel de producteurs afin d’influencer les prix du cacao, en se mettant d’accord sur les volumes vendus.

La lutte contre la drogue en Afrique,
un défi colossal

Plant de cannabis.
© Getty Images/Christopher Furlong

Dar es Salaam, la capitale tanzanienne, accueille du 17 au 21 septembre la 28e réunion des chefs de services chargés au plan national de la lutte contre le trafic illicite des drogues en Afrique. Cette rencontre de toutes les délégations africaines de la Commission des stupéfiants (CND), organe directeur de l’office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) doit faire le point sur la situation dans chaque pays du continent. Une occasion pour élaborer et évaluer l’application des programmes de lutte contre la drogue et la criminalité organisée en Afrique.

Pour le secrétariat de l’ONUDC, le constat pour l’Afrique est le suivant : « Le trafic de drogues et d’autres formes de criminalité organisée continuent d’entraver le développement économique et social de nombreuses régions du continent. Cette situation est aggravée par d’autres facteurs tels que les guerres et les conflits internes, les répercussions des soulèvements en Afrique du Nord, les faiblesses du système social et de justice pénale, la corruption, les perspectives limitées qui s’offrent aux jeunes et la disparité des revenus, qui favorisent tous amplement les activités que les groupes criminels organisés mènent dans la région ».

De plus, l’organisation observe que depuis plusieurs années, les pays d’Afrique sont de plus en plus touchés par le développement de routes de la drogue qui la traversent, notamment avec l’itinéraire de la cocaïne depuis l’Amérique latine et la route dite du Sud, de l’opium afghan en direction de l’Afrique de l’Est. A cela, le secrétariat rajoute que sur la base des informations transmises par les gouvernements, « il existe un lien de plus en plus clair entre trafic de drogues et groupes terroristes, notamment en ce qui concerne l’utilisation du produit du commerce illicite de drogues pour financer des activités terroristes ».

Ce bilan global, affiné chaque année, permet à l'ONUDC d’appuyer le Plan d’action de l’Union africaine et de fournir une assistance technique aux pays pour sa mise en œuvre. Un plan d’action basé sur un Programme mondial de contrôle des conteneurs de l’ONUDC et de l’Organisation mondiale des douanes (OMD) qui a permis la création de services mixtes de contrôle portuaire dans diverses parties de l’Afrique, et sur un projet de communication aéroportuaire (AIRCOP) qui s’est étendue, au-delà de l’Afrique de l’Ouest, à l’Ethiopie, au Kenya et au Mozambique. Cette stratégie préconise aussi en priorité le renforcement de la coopération régionale dans des domaines comme l’échange croissant d’informations dans la région, la lutte contre les flux financiers liés au trafic de drogues et la prévention du détournement des précurseurs utilisés pour fabriquer des drogues.

Pour illustrer cette lutte et comprendre les questions sur lesquelles vont travailler les délégations à la réunion de Dar es Salam, voici quelques observations non exhaustives provenant du dernier rapport de travail 2017 de l’organisation, région par région.

■ L’Afrique de l’Ouest

En Afrique de l’Ouest, la cocaïne est un sujet de préoccupation majeure. Le transport de cette drogue par voie aérienne, favorisé probablement par la hausse du trafic aérien entre l’Amérique du Sud et l’Afrique de l’Ouest, devrait, d’après le rapport, connaitre un important développement au vu de l’augmentation de la consommation dans la région. 1,9 tonne de cocaïne ont été saisies dans le cadre du projet AIRCOP.

Pratiquement le même volume de métamphétamine a été saisi dans la région, principalement sur les aéroports de Lagos (Nigeria) et de Cotonou (Bénin). C’est aussi dans ces mêmes aéroports et celui d’Accra (Ghana) où ont été réalisées les principales prises d’héroïne et de divers opioïdes pharmaceutiques comme le Tramadol de plus en plus consommé, notamment dans le Sahel. C’est aussi sur ces aéroports qu’ont été saisis de nombreux précurseurs qui pourraient indiquer l’existence en Afrique de laboratoires servant à la fabrication de nouvelles substances psychoactives. Les rapports notent qu’environ 65 % des passeurs de drogues arrêtés dans la région étaient des ressortissants du Nigéria.

Cannabis (photo), cocaïne, héroïne, méthamphétamines... Pays de transit dans le trafic de drogue sous-régional, le Burkina Faso devient un territoire de consommation. © Sean_Warren/Gettyimage

■ L’Afrique centrale

Les activités de l’ONUDC en Afrique centrale restent fortement limitées par manque de ressources, mais le rapport signale des progrès importants réalisés dans le cadre du projet AIRCOP sur les aéroports de Douala et de Yaoundé au Cameroun avec des saisies de cocaïne (20 kg), de khat (555 kg), de métamphétamine (100 kg), d’amphétamine (27 kg) et de médicaments contrefaits ou illicites (680 kg).

■ L’Afrique de l’Est

Le Programme régional pour l’Afrique de l’Est pour la période 2016-2021 qui s’intitule « Promotion de l’état de droit et de la sécurité humaine » contre la criminalité transnationale organisée et les trafics obtient des résultats intéressants. Il vise en priorité le trafic de drogues, la traite des personnes et le trafic de migrants, les flux financiers illicites et le recours aux réseaux de transport à des fins de trafic, y compris la criminalité maritime.

Par exemple pour la lutte contre le trafic portuaire, le programme de contrôle mondial des containers s’est doté de nouvelles unités qui sont maintenant opérationnelles à Mombasa (Kenya), à Dar es Salaam (Tanzanie) et à Kampala (Ouganda). Les pays partenaires de la lutte contre la route du sud ont réalisé d’importantes saisies de drogues. En Tanzanie, 111 kg et 64 kg d’héroïne ont été interceptés respectivement en octobre et en décembre 2017. En juin 2017, 140 kg de diverses drogues, dont 18kg d’héroïne, ont été saisie à Madagascar et 10 kg d’héroïne au Kenya en mars 2018…

■ L’Afrique australe

Depuis quelques années, l’Afrique australe est devenue une plaque tournante de plus en plus importante du trafic d’opiacés par voie aérienne depuis l’Asie occidentale et la Tanzanie, l’un des principaux pays de transit. Plusieurs affaires concernant l’héroïne ont révélé la présence de trafic entre le Pakistan et les Etats-Unis via l’Afrique australe avec une saisie record en juin 2017 de 963 kg d’héroïne en Afrique du Sud.

Le trafic de cocaïne est également en hausse : en 2017, 480 kg de cocaïne à destination ou en provenance d’Afrique australe ont été saisis dont 207 kg à l’aéroport international de Sao Paulo-Guarulhos au Brésil à destination de Johannesburg en Afrique du Sud.

L’Afrique australe connaît aussi un développement du trafic de métamphétamines. 403kg ont été interceptés entre 2011 et 2017 à destination de l'Afrique australe. Depuis 2018, les cellules de lutte du projet AIRCOP des aéroports de Lagos et Cotonou ont saisi 20kg à destination de Johannesburg (Afrique du Sud) et 34,5 kg à destination de Maputo (Mozambique).

L’Afrique australe a également été touchée par le détournement de précurseurs chimiques (éphédrine) utilisées dans la fabrication de stimulants de type amphétamine.

Le khat fait partie de la vie quotidienne au Somaliland. © TONY KARUMBA / AFP

■ L’Afrique du Nord

Le Programme régional pour les Etats arabes (2016-2021), mené en étroite collaboration avec la Ligue arabe et ses Etats membres, prend en compte les défis auxquels l’Afrique du Nord et le Moyen–Orient sont confrontés. Une région marquée en 2018 par de nombreuses crises avec des conflits qui se poursuivent en Irak, en Libye, en Syrie et au Yémen, qui ont des conséquences néfastes aussi sur les pays voisins.

Sur cette région, l’une des principales préoccupations reste le trafic de cocaïne qui a de plus en plus recours à des moyens maritimes. Une tendance probablement liée, d’après le rapport, à l’augmentation de la fabrication mondiale de chlorhydrate de cocaïne pur ces dernières années. Le Maroc a connu en 2017 un accroissement de 128 % de ses prises de cocaïne par rapport à 2016 avec par exemple en octobre 2017, une saisie de 2,58 tonnes de cocaïne en provenance du Venezuela.

De son côté, l’héroïne afghane continue d’atteindre le Moyen-Orient malgré un nombre croissant de saisies en Afrique du Nord : 34 % d’augmentation de saisies d’héroïne au Maroc entre 2016 et 2017 et 51 % d’augmentation dans la même période en Algérie, mais la plus grosse prise d’héroïne dernièrement interceptée, l’a été à Safaga en Egypte sur le bord de la mer Rouge début 2018.

D’autre part, plusieurs tonnes de Tramadol (essentiellement en provenance d’Inde) à destination de la Libye ont été saisies dans plusieurs pays de la région et confirment le trafic florissant de ce produit en Afrique du Nord.

Au cours des trois dernières années, les saisies de cannabis en Afrique du Nord, particulièrement au Maroc et en Algérie ont sensiblement diminué. Forte baisse également des saisies de cannabis dans les ports européens du fait probablement du renforcement des contrôles depuis les ports d’Afrique du Nord. Par contre, le trafic de résine de cannabis par voie terrestre s’est étendu aux pays du Sahel, avec pour exemple une prise de 72 kg de résine de cannabis au Niger sur un véhicule en provenance du Nigeria qui envisageait de rejoindre la Libye via Agadez (Niger).

Sur cette axe transsaharien, on observe notamment une augmentation du trafic d’amphétamines en provenance d’Afrique de l’Ouest et à destination de l’Europe ou de l’Asie de l’Est.

L’Afrique est aujourd’hui traversée par de multiples routes qui alimentent le trafic international, qui connait une forte augmentation de sa consommation de toutes sorte de drogues et qui s’affirme comme un continent de production avec la multiplication de plantations, de laboratoires de transformation et d’organisation criminelles de plus en plus actifs sur le marché mondial.