Missionnaires d'Afrique

R.D.Congo

Bernard Ugeux M.Afr

Formation continue
La vie missionnaire est-elle une “profession à risque”?

Il existe actuellement des études sérieuses qui se penchent sur la question de l’épuisement des agents pastoraux. Il s’agit souvent d’un épuisement émotionnel autant que physique qu’on définit généralement par le mot “burn-out”(1). On le retrouve sous toutes les latitudes et dans une grande diversité de contextes. Ces études ont montré que les engagements pastoraux, et particulièrement la vie missionnaire, peuvent entraîner un surcroît de stress qu’il faut apprendre à gérer si on veut éviter un burn-out. C’est surtout dans le cadre des relations d’aide que cet épuisement apparaît, comme on le constate aussi dans les professions médicales. Certains considèrent que l’engagement missionnaire est particulièrement “à risque”. Qu’en penser ?

Un engagement qui apporte beaucoup de joie et de fécondité

J’ai l’occasion de rencontrer personnellement de nombreux confrères et de visiter nombre de communautés à travers mon service de formation permanente à Rome et dans l’ensemble de l’Afrique. J’ai ainsi la possibilité de constater leur dynamisme, leur joie d’être Missionnaires d’Afrique, leur rayonnement sur les communautés dont ils sont chargés, leur fécondité apostolique, leur façon aussi de vieillir dans l’action de grâce, pour les anciens. La vie de communauté et la vie de prière y jouent un rôle important. C’est pour moi l’occasion d’un émerveillement et d’une confiance renouvelée en notre Société qui traverse une profonde transition.

 

Par ailleurs, particulièrement à travers la session “Ressourcement pour la mission”, j’ai pu constater à quel point il est parfois difficile de se garder un équilibre de vie, humain et spirituel, et les tensions que cela peut entraîner dans nos communautés. Dans certains cas, le poids des défis à porter et l’insuffisance du soutien fraternel – s’ajoutant à des fragilités personnelles – entraînent de grandes difficultés et parfois de graves dérives.

 

Qu’est-ce qui rend difficile aujourd’hui de relever le défi d’être “apôtre, rien qu’apôtre” avec toute notre humanité fragile ?

 

     * La situation humaine

Tout d’abord, nous partageons avec les autres consacrés les conséquences de notre choix de vie. Nous devons assumer les inévitables frustrations affectives liées à l’engagement au célibat avec le renoncement à des satisfactions légitimes comme la vie de couple, la paternité, etc. Tout en reconnaissant aussi que nous sommes prémunis des souffrances et des difficultés de la vie de couple et de parents. Nous renonçons aussi, bien souvent, à la valorisation d’une profession, d’un engagement politique ou associatif, etc. En principe (!), nous ne nous engageons pas dans l’Église pour faire carrière.

 

Par ailleurs, en tant que missionnaires, nous vivons habituellement loin de notre pays, de notre culture, parfois de notre langue maternelle, de notre famille, de notre réseau d’amis, donc de nos racines et de ce qui nous apportait soutien et sécurité au début de notre vie. Nous devons aussi changer souvent de pays, de langue, de fonction, d’activités, de responsabilités, de réseaux, ce qui n’est pas toujours facile à assumer moralement et affectivement. C’est encore plus difficile durant les étapes de transition comme celle du milieu de la vie ou celle vers le troisième âge. Dans certains cas, nous vivons dans des pays sans gouvernance réelle et déchirés par des affrontements politiques ainsi que dans un environnement hostile : situation de conflits armés, de guerre, de terrorisme, d’insécurité en ville, moyens de transport risqués (routes, réseaux aériens peu sûrs, etc.).

 

     * Le besoin de connaissance de soi

Notre résistance aux tensions normales et notre capacité de durer dépendront beaucoup de la connaissance que nous avons de nous-mêmes et de nos besoins, et de la façon de les gérer, sans hésiter à en parler à notre communauté et à, éventuellement, demander de l’aide.

 

Nous avons tous nos besoins, nos blessures, nos faiblesses et nos tentations, nos richesses et nos limites (parfois des dépendances et des addictions). Comment gérons-nous nos émotions ? Il n’y a pas de superman parmi nous. Il y a aussi beaucoup de tentations dont certaines proviennent de l’impact de la mondialisation sur notre vie consacrée. Il ne faut pas la caricaturer, mais reconnaître que de profondes et rapides mutations touchent aussi l’Afrique. L’accessibilité à de nouveaux biens de consommation à bas prix et en quantité crée de nouvelles envies et parfois des dépendances (addiction à l’univers cybernétique, au smartphone). D’où l’importance de faire des choix pour mener une vie équilibrée, qui apporte joie et fécondité. Comment est-ce que nous nous détendons et nous ressourçons ? Nous négligeons parfois la vie de prière et l’accompagnement spirituel, sans lesquels notre vie spirituelle s’étiole et meurt.

 

     * La situation du travail

Le travail apostolique et pastoral est souvent lourd et n’est jamais terminé, les demandes se succèdent, les attentes sont très élevées de la part des fidèles. En tant qu’“hommes de Dieu” (que nous soyons clercs ou frères), les gens attendent souvent que nous soyons toujours disponibles, saints (!), sans défauts ni fragilités, etc. Si nous attendons d’avoir fini tout notre travail pour nous reposer, nous n’y arriverons jamais. C’est pourquoi il est si important, et pour certains si difficile, d’être capables de dire non et de faire comprendre aux gens que nous avons nos limites et nos besoins. Il ne faudrait pas trop vite prendre cela pour de la générosité alors que c’est peut être une façon de garder le pouvoir en se rendant indispensable. Il y a aussi parfois le manque d’organisation équilibrée du travail, de collaboration entre nous, de capacité de déléguer certaines charges. En outre, la pastorale nous expose à accueillir beaucoup de souffrances et de misères et nous ne savons pas toujours gérer notre émotion et trouver la juste distance de la compassion réelle. Cette difficulté est considérée comme une des causes principales du “burn-out”, surtout dans des régions où il y a beaucoup de violence et de traumatismes. C’est pareil pour ceux qui accompagnent des personnes, des couples ou des communautés en crise.

 

     * Le soutien ecclésial et communautaire

Parfois, il y a peu de reconnaissance de la part de la hiérarchie (Église locale et même les supérieurs) peu de communication en profondeur, parfois de la concurrence, des conflits que nous n’osons pas aborder. Il y a aussi nos différences culturelles et de génération mal vécues. Dans combien de communautés il n’y a aucun espace pour un partage spirituel autour d’un texte biblique ou à l’occasion d’une fête ou d’un temps fort liturgique (Carême, Avent par exemple). La communauté n’est alors plus le lieu où nous nous ressourçons, mais est parfois une cause supplémentaire de tensions. Et notre appartenance à la communauté et à la Société s’en ressent.

 

Certaines communautés se montrent créatives et libèrent des espaces où il est possible de partager ce qui est important dans leur vécu quotidien. Pour y arriver, les confrères se mettent d’accord pour partager leurs agendas afin de réserver des moments réguliers de rencontres où chacun s’engage à être présent. S’il n’existe pas des moments de détente informelle et gratuite où chacun vient avec ce qu’il est et ce qu’il vit, comment pouvons-nous espérer que, quand un confrère traverse une période de trouble ou de fragilisation, il ose se montrer vulnérable ? La confiance se bâtit à travers les petits gestes du quotidien, comme notre façon de communiquer entre nous.

 

Certes, toutes ces difficultés ne se rencontrent pas partout, grâce à Dieu, et les défis soulevés ici sont souvent contrebalancés par les atouts personnels et communautaires dont nous pouvons disposer. Ce qui est important, c’est de reconnaître que l’engagement missionnaire est un défi humain et spirituel particulièrement difficile à relever car nous sommes exposés à plus de difficultés que la plupart des autres “professions” et engagements. C’est dans ce sens qu’il n’est pas faux de parler d’une “profession à risque”.

 

Il en découle la nécessité de faire le point sur notre équilibre de vie et sur la façon dont nous pouvons nous entraider en communauté, ce qui est un des objectifs, entre autres, de la formation permanente.

 

Bernard Ugeux M.Afr.

 

1 Lumen Vitae, Burn-out, épuisement des agents pastoraux, Juil.-Août-Sept. 2013 ; J. Maurus, Use your stress to keep away distress, Saint Paul Society, 2005, 172 p.

 

Tiré du Petit Echo N° 1059 2015/3