Les convictions
d’un évêque africain



Mgr Louis Portella Mbuyu est depuis dix ans évêque du diocèse de Kinkala, dans le département du Pool, créé en 1987 à partir de l’archidiocèse de Brazzaville, dont il est mitoyen. Ce territoire a connu une longue période d’instabilité et de violences de 1993 à 2003. Mgr Portella préside la Confé-rence épiscopale du Congo et a été élu en 2011 président de l’association des Conférences épiscopales de la Région Afrique Centrale (ACERAC) qui réunit les évêques de la République du Congo, du Centrafrique, du Cameroun, de la Guinée Équa-toriale, du Gabon et du Tchad. Le 19 mars 2013, il était l’invité du colloque des 25 ans du “Réseau Foi et Justice Afrique Europe” de France. Il a développé un certain nombre de ses convictions.

« Un devoir de lucidité »

Que dire de cette Afrique? Nous avons un devoir de lucidité.
Nous connaissons beaucoup de crises, beaucoup d’impasses. Depuis les indépendances, nous avons été submergés par plusieurs théories de développement.
Il y eut une vision libérale se-lon laquelle nous avions un retard à rattraper par rapport aux na-tions développées.
Une vision progressiste qui dénonçait l’échange inégal et la dépendance dans laquelle étaient maintenues les économies du Sud. Les échecs, les impasses, nous ont conduits à élargir la notion de développement. »

« Sans liberté, le développement est incomplet »
« Le développement... La première est économique. La deuxième est politique : il faut une volonté des dirigeants et une adhésion des populations, ce qui signifie, selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), que sans liberté, le développement est incomplet. Et qu’il faut un système démocratique pour que le développement se produise. »

« La croissance économique dépend de l’adaptabilité des populations »
« La troisième dimension est culturelle. C’est une dimension clé. L’ancien directeur général de l’Unesco, Federico Mayor, disait en 1992 : « Il faut se rendre à l’évidence ; toute doctrine axée exclusivement sur l’abstraction unidimensionnelle qu’est l’homo economicus ne méconnait pas seulement la profondeur et l’amplitude infinies de notre nature réelle d’êtres humains. Elle est aussi indéfendable, y compris sur le plan économique. Elle pêche contre l’économie puisque la croissance économique dépend dans une large mesure des va-riables culturelles que sont la créativité et l’adaptabilité ».

« Le cauchemar des guerres et des élections truquées »
« La plupart de nos pays africains continuent à connaître le cauchemar des guerres, des conflits ethniques, des élections truquées. Il faut faire ce constat pessimiste et réaliste. Mais il faut aussi porter un regard d’espérance. »

« Un partenariat qui fait sourdre la créativité »
« L’avenir est lié à l’engagement des Africains eux-mêmes et cela suppose une approche culturelle du développement. Il faut que les populations se sentent concernées. Et donc qu’elles puissent participer à l’élaboration, à l’exécution, et à l’évaluation des projets qui les concernent. Cela induit un véritable par-tenariat entre les agents de l’État, les agents extérieurs au pays, et ces populations. Et cela exige une attention aux modes de vie, de pensée et d’agir des gens. À l’occasion d’un tel partenariat, les populations peuvent prendre conscience de leur propre culture et la questionner : c’est la source de la créativité.

« L’Église, acteur de la conscientisation »
« L’Église doit être un des acteurs de ce mouvement. Avec son poids pédagogique, elle a la mission de contribuer à la réappropriation et à la conscientisation de leurs propres cultures . Elle peut s’inspirer de la méthode de participation élaborée au Brésil par Paulo Freire. Il s’agit notamment de partir de ce que les gens savent pour qu’ils aillent ensuite vers de nouvelles connaissances. Il faut pour cela un système éducatif participatif. »

Le rôle de la société civile
« La société civile est un autre acteur important. C’est le moyen pour le peuple d’être maître de son propre destin. De nombreux mouvements émergent et sont parfois détournés par les autorités. Des objectifs très nobles sont parfois pervertis. Malgré ces faiblesses, c’est par les organisations de la société civile que pourra être réalisé la conscientisation. »

« Les réseaux de solidarité clairvoyante »
« Enfin, il y a les réseaux de solidarité clairvoyante qui ont soutenu de nombreuses campagnes internationales comme « Publiez ce que vous payez ». « Ces réseaux sont très importants pour contrer le poids de telle ou telle puissance politique, économique, ou idéologique. Ils aident à empêcher que soit entravé le développement des populations.

« La population doit s’approprier les nouveautés technologiques »
« L’Afrique aujourd’hui regorge de ressources naturelles. Elle a son propre génie culturel. Mais ses ressources humaines sont tentées de la déserter pour une vie plus confortable ailleurs.

Dans le monde globalisé, où les niveaux économiques et technologiques sont très élaborés, une population marginalisée est condamnée à la marginalisation si elle ne s’approprie pas ces nouveautés. Mais il faut que cela vienne d’elle. »

« Des pauvres emmurés dans un système injuste »
« Est-elle en mesure de prendre ses responsabilités ? Il suffit parfois de peu, de la conscience de l’injustice. Les pauvres sont pauvres car ils sont victimes de l’injustice. Or ils sont souvent emmurés dans un système tel qu’ils ne peuvent pas agir. »

« Former des communautés ecclésiales de base »
« Dans mon diocèse, les gens ont encore le souvenir des jours atroces de 1998, une transhumance dans la forêt pendant un mois, deux mois. Ils disent : « tout sauf ça ». Ils préfèrent se soumettre. Il y a beaucoup de résignation.

Qui pourrait s’occuper de leur redonner courage? L’Église est bien placée. Elle peut participer à la formation de communautés ecclésiales de base. Éveiller les gens, c’est notamment le rôle de Justice et Paix. Leur permettre de prendre conscience des injustices, ne serait qu’à l’échelle d’un quartier. »

« Oser demander des comptes aux autorités »
« La question n’est pas de chercher à remplacer des dirigeants. Aujourd’hui, de toute façon, il n’y pas d’alternative. Mais il faut aider le développement de pratiques démocratiques pour que des gens émergent, pour que la population ose de-mander des comptes aux autorités qui, aujourd’hui, peuvent se permettre tout ce qu’elles veulent. »

« Le pape nous recentre sur l’option préférentielle pour les pauvres »
« J’ai accueilli avec une grande joie l’élection du nouveau pape François. En expliquant qu’il souhaite une Église pauvre au service des pauvres, le pape nous recentre tous sur ce travail missionnaire ecclésial. L’option préférentielle pour les pauvres avait été décidée au concile Vatican II, déjà. Le combat pour la justice fait partie intégrante de l’affirma-tion de l’Évangile. »n

« Cinquante ans après les indépendances, l’Afrique est encore à la case départ. C’est dur ».


Mgr Louis Portella Mbuyu
évêque de Kinkala, Congo