En Côte d’Ivoire, une saison amère pour la filière cacao

Alors que commence la campagne intermédiaire de commercialisation 2022-2023, le volume de fèves disponibles et les prévisions de récolte sont en baisse. Les conséquences pourraient être graves pour certains exportateurs ivoiriens s’ils ne parvenaient pas à honorer leurs engagements auprès des acheteurs internationaux.

Par  - À Abidjan
Mis à jour le 26 mai 2023 à 10:18

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Décorticage de fèves de cacao torréfiées au sein de la coopérative du Bélier (Coopbel), à Toumodi, dans la région du Bélier (centre de la Côte d’Ivoire), en juin 2022. © Andrew Caballero-Reynolds/The New York Times

 

Premier pays producteur de cacao au monde, la Côte d’Ivoire a entamé le 1er avril sa campagne intermédiaire de commercialisation pour la récolte 2022-2023, qui se clôturera le 30 septembre. Pour cette période, le gouvernement annonce des prévisions de récolte de 450 000 tonnes, voire 500 000 t. Un volume en baisse, comparé aux 600 000 t de la campagne intermédiaire 2021-2022. L’heure n’est donc pas à la fête chez les professionnels, et l’entrain habituellement de mise chez les cacaoculteurs en début de récolte n’y est pas.

Il faut dire que le contexte de cette campagne intermédiaire cacaoyère, appelée petite saison, est particulier. « Cette année, le grainage est très élevé, et cela a entraîné une décote de 75 F CFA par kilo [0,114 euro/kg], entraînant une perte de 33,7 milliards de F CFA. En réalité, c’est cela qui devait être retranché du montant global », a prévenu Kobenan Kouassi Adjoumani, le ministre ivoirien de l’Agriculture.

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Petite saison, petite récolte

En général, pendant la petite saison, les fèves sont petites ou de moins bonne qualité, rendant difficile leur exportation. La récolte est alors destinée prioritairement aux industriels locaux pour l’approvisionnement de leurs usines. D’ailleurs, depuis le 1er avril, les livraisons de cacao dans les ports de San Pedro et d’Abidjan restent faibles, en particulier celles en provenance de l’extrême-ouest du pays. Les opérateurs espèrent cependant que les pluies vont augmenter les rendements et permettre d’atteindre un pic de production en juin et en juillet – même si demeure la problématique de qualité inhérente à la campagne intermédiaire.

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Le fait que plusieurs acteurs nationaux aient accumulé un grand retard dans leurs achats donne aussi à cette saison cacaoyère un accent particulier. En effet, à la fin de la campagne principale, le 31 mars, de nombreuses entreprises nationales n’avaient pas encore honoré tous leurs contrats (plusieurs estimations ont ainsi évalué que les contrats en retard représentaient un volume de 100 000 t de fèves) et elles ont depuis sollicité le Conseil café-cacao (CCC) pour trouver une solution.

Au cours de la dernière campagne principale (1er octobre 2022-31 mars 2023), selon les prévisions, plus de 1,8 million de t de fèves ont été acheminées vers les ports de San Pedro et d’Abidjan. Et, durant cette période, les négociants ivoiriens ont éprouvé de nombreuses difficultés d’approvisionnement, dues à une grave pénurie de fèves, mais aussi à la contrebande vers des pays frontaliers comme le Liberia et la Guinée. Certaines multinationales sont aussi suspectées d’avoir « retenu » une partie de la récolte à travers leurs relais dans les régions de production, négociant ensuite la cession gratuite de contrats des nationaux à leur profit.

« Aucun péril en la demeure »

Des mesures ont été prises par le Conseil café-cacao pour contrôler la situation. Le 21 février, il a fermé l’accès à l’achat des fèves à une vingtaine d’acteurs, dont les multinationales Cargill, Barry Callebaut et Olam. En outre, une règle spécifique à la filière, qui interdit le stockage de fèves pendant plus de vingt jours dans les magasins des coopératives et des unités de traitement, a été activée – assortie d’éventuelles sanctions pécuniaires pour les contrevenants.

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« Nous avons mis tout en œuvre pour que les nationaux, tout comme les multinationales, puissent s’approvisionner convenablement », explique Yves Brahima Koné, le directeur général du CCC, qui assure qu’il n’a aucun péril en la demeure. Le CCC est en effet loin de la situation qu’il a traversée en 2016-2017, pendant laquelle de nombreux négociants n’avaient pas pu honorer leurs contrats, ce qui avait entraîner une grave crise. Laquelle a abouti au limogeage de l’ancienne direction du CCC, à la suite d’un audit.

Aujourd’hui, la configuration est bien différente. « Nous avons un tableau de bord que nous observons régulièrement pour faire un point entre les contrats et les achats physiques », souligne Yves Brahima Koné. Les opérateurs, dont beaucoup sont issus du Groupement des négociants ivoiriens (GNI), espèrent avoir accès aux fèves pendant la saison intermédiaire en cours. Cependant, l’approvisionnement reste difficile compte tenu du très faible niveau de la récolte.

Les experts d’Achi

Le gouvernement ivoirien s’est donc saisi du dossier et cherche des solutions. En mars, deux spécialistes, fins connaisseurs du négoce de cacao, ont été nommés au cabinet du Premier ministre, Patrick Achi, afin de mener des réflexions et de trouver une réponse satisfaisante aux attentes des acteurs locaux. Une volonté de muscler son équipe qui souligne l’importance du secteur pour l’exécutif. Mais ces experts, Jean-Marie Delon, ancien du géant Cargill, et Moustapha Konaté, qui a officié pour Armajaro, n’inspirent pas confiance aux négociants ivoiriens.

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« Il n’y a aucun agenda caché au profit des multinationales. Et il ne s’agit pas non plus de contourner le CCC. Les nouveaux consultants accompagneront le gouvernement dans la prise de décision rapide », explique un proche du dossier à la primature. Le cabinet du Premier ministre a beau tenter de rassurer, le doute persiste.

De son côté, le CCC observe la situation et n’envisage pas de pénaliser les entreprises qui ne rattraperont pas leur retard dans les achats. Une opportunité sera donnée aux négociants locaux de reporter leurs contrats sur la prochaine campagne principale, qui démarrera le 1er octobre. Mais aucune décision formelle n’a été arrêtée.