Au Burkina Faso, des populations de l’Est accusent l’État de les abandonner

Fin février, une attaque meurtrière a de nouveau endeuillé la province de la Tapoa, qui vit sous le joug des jihadistes. Agonisante, la population accuse le régime de transition d’Ibrahim Traoré.

Par Flore MONTEAU
Mis à jour le 9 mars 2023 à 13:19
 

familles



Des familles déplacées qui ont fui les attaques jihadistes dans le nord et l’est du Burkina Faso, à Gampela près de Ouagadougou le 6 octobre 2022. © ISSOUF SANOGO/AFP



« IB, à quand la paix ? », « La Tapoa pleure ». Voici quelques-uns des slogans qu’on pouvait lire sur les pancartes des manifestants ce 1er mars, dans les rues de Diapaga, chef-lieu de la province de la Tapoa, dans l’Est du Burkina Faso, où une foule excédée était rassemblée pour dénoncer la situation sécuritaire dans la région.

Deux jours plus tôt, la commune de Partiaga, située à 25 kilomètres de là, subissait une attaque jihadiste meurtrière malgré les appels à l’aide réguliers de la population aux autorités. Bilan : au moins une cinquantaine de morts, selon des sources locales. Une énième tuerie qui a conduit certains acteurs de la société civile de la Tapoa, qui se sentent délaissés par le pouvoir central de Ouagadougou, à 400 kilomètres de là, à vouloir porter plainte contre les autorités de transition pour abandon, trahison et non-assistance à personne en danger.

Livrés à eux-mêmes

« Population de la Tapoa, nous sommes à bout de souffle », déclarait, ému, Pierre Yonli, président du conseil provincial de la société civile devant une foule de près de 5 000 personnes. Les habitants de cette région forestière qui jouxte le Niger et le Bénin, subissent depuis plus de cinq ans la progression de la menace jihadiste et tentent d’alerter les autorités, en vain. « Nous n’avons eu aucune réaction de la part de l’État malgré nos cris de détresse et nos demandes de secours », déplore Pierre Yonli avant de pointer la responsabilité sur l’État burkinabè aveugle, selon lui, à un  drame qui aurait pu être évité.

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Le 26 février, à l’aube, la ville de Partiaga a été prise d’assaut par près de 300 jihadistes qui encerclaient la ville depuis plusieurs jours. Dix jours plus tôt, les forces de sécurité (FDS) avaient quitté leurs postes et laissé leurs supplétifs civils, les Volontaires de défense de la patrie (VDP), livrés à eux-mêmes. « Les FDS ont estimé qu’elles n’étaient pas assez armées pour contrer les terroristes. Et les VDP ont préféré se cacher. On en a retrouvé beaucoup qui ont fui », confie Marcel Ouoba, journaliste et originaire de Partiaga.

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Pour Pierre Yonli, l’État n’a pas joué son rôle de garant de la sécurité et les responsables du départ des FDS « doivent répondre devant la juridiction compétente de notre pays ». « Les autorités se sont murées dans un silence des plus sordides, ajoute Saïdou Sinini, le porte-parole des habitants de la commune de Partiaga. Cela faisait plus de deux semaines que nous les alertions sur la situation. » Le 16 février, alors que des informations circulaient déjà sur une attaque imminente, des habitants avaient organisé une conférence de presse en vue d’interpeller le pouvoir central sur la situation sécuritaire de la province. Mais la réponse du gouvernement – quelques frappes de drones aux alentours – n’a pas été suffisante pour éviter le drame.

Silence des autorités

« Nous sommes déçus des nouveaux dirigeants de transition qui font la sourde oreille quand il s’agit de la vie des habitants de l’Est. Nous sommes aussi burkinabè », poursuit Sinini. Depuis 2021, plusieurs marches ont été organisées pour dénoncer l’insécurité dans la région, sans amélioration. Fin 2022, une campagne d’alerte était aussi lancée sur les réseaux sociaux. « Même quand il y a des morts, les autorités ne s’expriment pas, témoigne Marcel Ouoba. Plus d’une centaine de jeunes ont été enlevés entre 2021 et 2022 dont on est toujours sans nouvelle, mais rien n’a été communiqué dessus. »

SOIT LES COMMUNES SONT SOUS BLOCUS, SOIT ELLES N’EXISTENT PLUS

Pourquoi ce silence ? Officiellement, les autorités disent ne pas avoir assez d’éléments, affirme Emmanuel Ouoba, du mouvement de la société civile U Gulmu Fi (le « Gulmu [région de l’Est] se met debout », en gourmantché). Dans la Tapoa, quasiment intégralement occupée par les groupes jihadistes, l’étau s’est tellement resserré que l’administration n’est plus présente que dans les villes de Diapaga et Kantchari, elles-mêmes sous blocus jihadiste. Au-delà, toute la région de l’Est, frontalière du Niger, du Bénin et du Togo, vit une situation sécuritaire alarmante.

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« Nous voulons que les autorités fassent de l’Est une de leurs priorités », indique Emmanuel Ouoba. Pour lui, le bilan de la région est le plus « macabre » du pays. « Soit les communes sont sous blocus, soit elles n’existent plus. Sur les cinq provinces de la région, une seule est encore reliée à Fada N’Gourma, son chef-lieu. » Conséquence : l’urgence humanitaire est immense et le flux de déplacés forcés de quitter leurs villages sous la pression jihadiste ne se tarit pas – au moins 14 000 dans la Tapoa (CONASUR, décembre 2022) et plus de 200 000 dans la région de l’Est (UNHCR, janvier 2023).

Sentiment d’abandon

Malgré cette situation alarmante, certaines communes n’ont pas reçu de convoi humanitaire depuis deux ou trois ans, renforçant le sentiment d’abandon, déjà profond, des populations. Selon Marcel Ouoba, le maillage sécuritaire est plus lâche dans l’Est que dans le reste du pays. « Ailleurs, les détachements mis en place ne sont espacés que de 25 kilomètres. Dans l’Est, ils sont à 150 kilomètres les uns des autres,  ce qui rend difficile les opérations militaires », affirme-t-il.

C’EST LE MÉDECIN QUI ARRIVE APRÈS LA MORT

Services sociaux inexistants, écoles et infrastructures sanitaires fermées, absence de soutien administratif, réseau téléphonique défaillant… Pour beaucoup de ses habitants, la situation dans la Tapoa est invivable et incompréhensible. À Partiaga, le représentant de la commune prévient le régime de transition : « Si vous ne souhaitez pas que nos populations pactisent avec l’ennemi pour vivre en paix, il est temps que vous nous considériez. »

Alertés, Ibrahim Traoré et son régime ont sommé les forces de sécurité d’aller à Partiaga, où un ratissage est en cours depuis le 3 mars, selon une source locale. « C’est le médecin qui arrive après la mort », souffle Pierre Yonli. D’après l’Agence d’information du Burkina (AIB), des frappes aériennes organisées le même jour ont permis de tuer un « groupement de terroristes » dans l’Est et dans le Nord.