Carte du Niger« Monsieur le Député,

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L’objet de ce courrier porte sur la carte du MAE pour le Niger, dont près des 2/3 est en zone rouge « fortement déconseillée  » .

Sur cette carte, la totalité de la région administrative d’Agadez est en rouge, avec comme conséquences directes l’asphyxie de l’économie « licite » de la région et la réduction drastique de l’assistance humanitaire pour près de 1.000.000 personnes, la plupart des ONG s’étant retirées par mesures de précaution (à l’exception du CICR, OXFAM, Croix-Rouge Française).C’est essentiellement suite à la prise d’otages de 7 salariés d’AREVA et SATOM à Arlit en 2010 que la carte a été ainsi coloriée.Quatre ans plus tard, la carte reste inchangée. Curieusement d’ailleurs, car Diffa à l’extrême Est du pays, à la frontière du Nigéria/Etat fédéral de Borno et fief de Boko Haram, est resté en orange malgré les incursions régulières de Boko Haram dans cette zone.

Je pourrais également citer le nord de la région de Tahoua (Tchintabaraden), zone de tous les trafics (drogue, armes), restée elle aussi en orange.
Quant à la capitale, Niamey, elle a été très éprouvée par la prise d’otage de Vincent Delory et Antoine de Léocour en janvier 2011 dont l’issue demeure tragique. La capitale est pourtant restée elle aussi en zone orange.

Je comprends bien que l’exercice de la carte est assez délicat, surtout pour notre pays, la France, cible privilégiée des mouvements djihadistes de la sous-région, qui a déjà payé de lourds tributs en otages, notamment. Cela a créé un traumatisme qu’il est difficile d’oublier, j’en conviens.
A cela s’ajoutent des enjeux politiques et géostratégiques qui m’échappent surement … Mais je pense que maintenir durant plus de 4 ans cette zone rouge sur une aussi grande proportion du territoire est une erreur qui sera lourde de conséquences :

- Cette zone rouge concerne quasi exclusivement les zones nomades (touaregs, toubous, kanouris et peuls dans une moindre mesure). Ces nomades pratiquent un Islam soufi modéré, et cette zone est une zone « tampon » entre les percées salafistes du Maghreb et l’Islam d’inspiration wahhabite pratiqué au nord du Nigéria. La région d’Agadez a longtemps bénéficié du tourisme, ce qui a contribué aux échanges interculturels, aux ouvertures et amitiés Sud/Nord. Or, de manière paradoxale, ce sont ces nomades qui sont « victimes » de cette zone « fortement déconseillée » ;

- Au Niger, 70% de la population a moins de 25 ans. Pays parmi les plus pauvres du monde, l’emploi des jeunes est un enjeu crucial pour éviter le basculement dans l’économie illégale des trafics ou l’embrigadement dans des groupes criminels ;

- AREVA (et donc la France, 1er actionnaire) n’a pas bonne presse au Niger. Les 2 mines d’Arlit, en plus d’avoir un impact irréversible sur les plans environnemental et sanitaire dans la région d’Agadez (l’exploitation de la nappe fossile du Teloua – aujourd’hui à sec – qui n’a d’ailleurs fait l’objet d’aucune compensation financière lors des dernières négociations AREVA/Niger ; l’observatoire de la santé, totalement factice qui, en dehors de l’effet d’annonce, n’a jamais le jour), ont réduit comme peau de chagrin les retombées économiques sur la région. Cela a provoqué chez les habitants de la région une certaine exaspération ;

- Il est évoqué – parmi les risques – des mouvements au nord Niger, entre le sud Libye et le nord Mali. Ce sont des transits, car jusqu’à preuve du contraire, il n’y a jamais eu de base AQMI installées dans le nord du Niger. Uniquement des passages au nord d’Arlit. Soit à plus de 350km au nord d’Agadez ;

- La région d’Agadez, désormais largement militarisée (5000 forces de sécurité nigériennes, armées françaises et américaines, force européenne EUCAP), tandis que la capitale abrite le centre de renseignements de Barkhane, on peut donc espérer se sentir un peu plus en sécurité, non ? Mais au-delà, il me semble que cette guerre asymétrique contre des terroristes ne pourra être remportée qu’avec la collaboration des populations. Le renseignement par les drones restera incomplet sans leur soutien. Si le Quai d’Orsay et la Rue St-Dominique maintiennent la zone rouge en l’état, il ne faudra espérer, à court terme, aucune collaboration de leur part mais plutôt une certaine hostilité.

Comme en Afghanistan.
Avec les résultats qu’on connait.

Je me déplace régulièrement en zone rouge, pour raisons professionnelles et personnelles, étant mariée avec un touareg ressortissant de la région. Et me sens bien plus en sécurité à Agadez et dans les montagnes de l’Aïr que dans la capitale, avec le MUJAO malien à proximité, fortement opérationnel.
En conclusion, il me semble qu’une zone rouge doit être maintenue étant donnée le contexte sécuritaire sous-régional. Mais à l’instar de la carte du Tchad, rouge uniquement à ses frontières. Une bande rouge plus ou moins large à toutes ses frontières ou presque (Mali, Algérie, Libye, Tchad, Nigéria) et qui pourrait inclure Arlit. Le reste du pays en zone orange « déconseillé sauf raisons impératives », bien que pour le massif de l’Aïr dans la région d’Agadez et le Parc national du W, une « vigilance renforcée » pourrait être appliquée.

Le Niger a fourni des efforts conséquents pour lutter contre le terrorisme, la dernière visite de François Hollande en atteste. Pourtant, la zone rouge est perçue comme une sanction et n’exprime pas la reconnaissance et la confiance qui sont dues à ce pays. Alors que le seul rempart durable contre l’extrémisme, c’est la population. Pas l’armée.

Pour information, j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ce sujet auprès de l’Ambassade de France au Niger, ainsi qu’avec le Ministre français de la Défense le 18 juillet dernier à l’occasion de la visite présidentielle. Il m’est systématiquement opposé les attentats du 23 mai 2013 qui ont visé la caserne d’Agadez et l’usine SOMAÏR d’Arlit, qui feront plus de 30 morts, tous militaires nigériens, plus les djihadistes. Depuis ces événements, des réponses ont été mises en place par le Niger et les forces armées coopérantes.

Combien d’années encore le Niger devra-t-il payer pour ces événements dont il a été la seule victime ?

Je vous demande donc de bien vouloir transmettre et plaider, auprès des services dédiés au Ministère des Affaires Étrangères, la possibilité de modifier cette carte, ce qui sera perçu non seulement comme un véritable soulagement par les populations nigériennes, mais aussi comme un outil crédible et évolutif par l’ensemble des français vivant au Niger.
Maintenir cette zone dans le rouge joue contre la France et j’espère pouvoir compter sur vous, Monsieur le Député, pour faire entendre raison aux autorités françaises.

Vous en remerciant par avance, je vous prie de bien vouloir recevoir l’expression de mes plus respectueuses salutations. »