Missionnaires d'Afrique

Bernard Ugeux M.Afr.
R.D.Congo

Une Afrique qui
souffre et se lève

Comprendre les mutations culturelles dans le monde

La mission a toujours été conditionnée par le contexte de l’annonce et du dialogue, de même que pour JPIC. Première partie de quelques réflexions pour la mission aujourd’hui (2011).

Crise de la civilisation occidentale
Le modèle économique et financier capitaliste occidental (néolibéral) continue à dominer le monde via la mondialisation. Tous les pays émergents sont entrés dans le système et ont appris à en tirer profit. Ils sont de plus en plus concurrentiels. Pourtant, la civilisation occidentale est en crise profonde. On pourrait aligner ici tous les “-ismes” bien connus : matérialisme, individualisme, relativisme, etc. On constate que la sécularisation tend vers un sécularisme qui semble vouloir exclure Dieu et faire de la liberté et du profit maximum ses idoles. On y perçoit une forme de toute-puissance. Cela a entraîné une crise du sens de la vie et de la transcendance qui conduit à une crise politique généralisée : sur quelles valeurs construire un projet commun (national ou local) ?

Les démocraties occidentales sont aussi en difficulté, confrontées aux extrémismes montants. En plus des dérapages médiatisés, on constate que les slogans, lors des élections, vont toujours dans le même sens : “On ne touchera pas à votre niveau de vie ni à vos privilèges”. Comme s’il était encore possible de continuer à vivre au-dessus de ses moyens en Europe et en Amérique du Nord.

Les Occidentaux ont trouvé normal que, durant des décennies, 10 à 20 % de la population mondiale exploitent 80 % des ressources de la planète (avec les conséquences connues en termes de justice sociale et d’écologie). Les grands perdants dans cette redistribution des cartes sont les pays pauvres ou en voie de développement, particulièrement en Afrique. Celle-ci est pillée pour ses matières premières et ses terres, mais ses citoyens n’ont pas le droit de venir en Occident.

Ce tableau sombre ne doit pas faire oublier tous les signes de réaction positive provenant de la base, souvent de la société civile, à travers de nombreux réseaux de dénonciation, d’action et d’entraide. Le printemps arabe représente une promesse encore ambiguë mais qui ne laisse pas indifférents les militants occidentaux (cf. les mouvements mondiaux actuels des indignés et contre Wall Street).

Mondialisation, technologie et accélération
Une des caractéristiques de la modernité, puis de la postmodernité et, aujourd’hui, de la modernité avancée, c’est l’accélération à tous les niveaux. À chaque retour en Europe ou Amérique du Nord, après une longue absence, nous constatons que tout va plus vite : les trains, les avions, l’internet, le rythme de vie et la production de biens, ainsi que les conditions de travail. Tout cela peut être déshumanisant et laisse peu de place à l’intériorité. Cela n’empêche qu’on peut aussi citer beaucoup de bienfaits provenant des nouvelles technologies et de la mondialisation (à ne pas diaboliser). Par exemple, une mise en réseau mondiale avec la prise de conscience d’une responsabilité commune aux niveaux climatique, environnemental, sanitaire.

La solidarité et une mobilisation peuvent se faire planétaires avec les moyens actuels de communication, ils permettent aussi de prendre la mesure de la complexité des problèmes du monde. Les communications sociales (migration, voyage, téléphone, internet) offrent des moyens de construire une citoyenneté mondiale et d’entretenir des relations à l’échelle de la planète. Il faut cependant reconnaître qu’en Afrique, seule une petite minorité y a accès et que ceux qui les utilisent ne se méfient pas toujours de leurs effets pervers (entre autres sur la vie communautaire). Il y aussi la découverte de la diversité des religions et des cultures comme une invitation à vivre la différence comme une richesse, une complémentarité, et non comme une menace. L’avenir est au métissage et non à l’affrontement d’identités meurtrières (Amin Maalouf).

L’Église catholique
Par sa catholicité et son expansion dans le monde entier depuis des siècles, l’Église a d’une certaine façon, anticipé ces mutations. Elle pourrait donc être le lieu privilégié d’une mondialisation alternative respectueuse de l’homme et ouverte à Dieu (cf. Caritas in Veritate). Les communautés multiculturelles devraient être des laboratoires de cette “autre” mondialisation en devenant de plus en plus interculturelles. C’est un aspect important de l’annonce de la Bonne Nouvelle et du dialogue dont nous parlions dans notre dernier Chapitre M.Afr., à pratiquer d’abord entre nous. Par ailleurs, le dialogue interreligieux et interculturel fait partie des alternatives offertes par l’Église à une globalisation tentée par les fanatismes. Cependant, il semble que l’Église, comme institution centralisée à Rome, a du mal à réaliser que désormais la plus grande partie des catholiques habite l’hémisphère Sud. En effet, les postes clés de la curie restent aux mains d’Européens.

Le fait que l’Église fasse les frais de la sécularisation la rend très préoccupée du rejet du christianisme – et avant tout de l’institution ecclésiale – dans les cultures contemporaines et les médias occidentaux. Les dérives signalées ci-dessus la mettent aussi au défi de sauvegarder les valeurs chrétiennes – qui fondent la société occidentale – afin de résister contre la déshumanisation matérialiste. À ce propos, elle se trouve au coude à coude avec les autres religions et certains humanismes.

Le nouveau projet pastoral de Rome est la “nouvelle évangélisation” qui reste un concept flou qui cherche à se définir. En tout cas, il ne s’agit pas de reconquête ni d’essayer d’imposer la loi chrétienne aux États contemporains. Il s’agit d’aimer le monde et de dialoguer avec ces cultures contemporaines, sans les condamner a priori. À côté de certaines crispations de l’institution, l’engagement des laïcs dans les communautés de base et l’efflorescence de nouvelles communautés ecclésiales sont des signes d’espérance pour l’avenir, dans les hémisphères Nord et Sud. Ces dernières représentent un réel atout pour l’évangélisation dans la mesure où elles ne restent pas centrées sur leur propre projet d’expansion ou tentées par le repli fondamentaliste.

Bernard Ugeux

Tiré du Petit Echo N° 1053 2014/7