Nigeria : en attendant la présidentielle, la farce électorale des collectivités locales

Alors que s’ouvre la campagne pour les élections générales du 25 février 2023, seule la présidentielle semble préoccuper observateurs et médias, au détriment des élections locales, qui sont un désastre démocratique.

Mis à jour le 28 septembre 2022 à 11:54
 
Marc-Antoine Pérouse de Montclos
 

Par Marc-Antoine Pérouse de Montclos

Directeur de recherches à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), à Paris.

 

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Lors d’une élection locale, dans un camp de déplacés, à Mafoni, près de Maiduguri (Nord-Est), le 28 novembre 2020. © Audu Marte/ AFP

Au Nigeria, la campagne électorale de la présidentielle et des législatives de février 2023 retient toute l’attention des médias. Mais on ne parle quasiment pas des élections locales. C’est regrettable, car celles-ci résument parfaitement les déboires d’une démocratie défaillante depuis la fin de la dictature militaire, en 1999. Dans le pays le plus peuplé d’Afrique, en outre, les dysfonctionnements de ces scrutins locaux illustrent bien les limites du système politique mis en place pendant le boom pétrolier des années 1970, au sortir de la guerre de sécession du Biafra.

Maillon faible

Dans un gouvernement fédéral divisé en trois : pouvoir central à Abuja, États fédérés et collectivités locales, ces dernières représentent le maillon le plus faible. Statutairement, leur mode de représentation est d’autant plus déséquilibré que certaines d’entre elles sont plus peuplées que certains États, tels que le Bayelsa. C’est par exemple le cas des collectivités locales d’Alimosho (à Lagos), d’Ado-Odo (dans l’État d’Ogun) ou d’Obio-Akpor (dans le Rivers). D’autres, en revanche, continuent de bénéficier d’un nombre constant de sièges, de quotas et d’allocations budgétaires alors qu’elles se sont vidées de leur population du fait des affrontements avec la mouvance de Boko Haram, dans le Borno rural.

Culture de la fraude

Dans un pays réputé pour sa corruption et sa culture de la fraude, les élections municipales n’en paraissent que plus factices. Plus de 70% des 202 scrutins locaux organisés depuis la toute fin de la dictature militaire, en décembre 1998, ont été remportés haut la main par les partis des gouverneurs en place, la plupart à la majorité absolue.

Dans les autres cas, l’opposition a dû se contenter de gagner la présidence de quelques-unes des collectivités constitutives d’un État. Encore s’agissait-il surtout d’exceptions restreintes au territoire de la capitale, Abuja, et à la période antérieure à décembre 1998, quand la commission électorale nationale était autorisée à superviser les scrutins municipaux pour éviter des conflits d’intérêts avec les gouvernements régionaux.

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Depuis lors, la situation ne s’est guère améliorée. Entre 2011 et 2021, 87 des 88 consultations locales ont été remportées à la majorité absolue par des candidats inféodés aux gouverneurs en place. Bien souvent, il est aussi arrivé que les autorités reportent ou annulent des élections municipales pour nommer, à la place des édiles, des intérimaires à leur solde. Le problème est connu des Nigérians, et personne n’est dupe.

Criminalité organisée

À Abuja, un ancien président du Sénat, David Mark, n’hésitait pas à déclarer publiquement qu’aucune collectivité locale ne fonctionnait. Un responsable de la commission électorale nationale, organisme à qui on a retiré le droit de superviser les municipales, y voyait quant à lui une forme de criminalité organisée entre les mains de politiciens mafieux. L’opposition n’a pas non plus ménagé ses critiques. « Un hold-up politique », « une fraude institutionnalisée » : les mots n’ont pas manqué pour dénoncer les dysfonctionnements du système.

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On en est même arrivé au point que, désormais, certains recommandent tout simplement de supprimer les collectivités locales du Nigeria. Selon eux, cela réduirait considérablement les possibilités de détournements de fonds publics. De plus, l’abolition de cet échelon local permettrait de limiter les dépenses d’un pays en pleine crise économique et budgétaire. Autre avantage, elle obligerait les gouverneurs des États à assumer publiquement leurs responsabilités, tout en laissant à des initiatives communautaires le soin de se substituer à des pouvoirs publics défaillants.

« Gâteau national »

De manière très pragmatique, il n’y aurait de toute façon pas grand-chose à regretter. Très corrompus, les gouvernements locaux du Nigeria n’apportent quasiment rien à leurs administrés, qui ont appris à se débrouiller sans eux. Leur suppression ne menacerait pas non plus les grands équilibres de la fédération et les arrangements d’une classe politique qui a l’habitude de se réunir dans la capitale pour se partager le « gâteau national », essentiellement les revenus de la manne pétrolière.

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Reste à savoir si les Nigérians n’iront pas un jour jusqu’à demander la révocation du gouvernement à Abuja ! En son temps, Bertolt Brecht proposait avec ironie de dissoudre le peuple s’il votait contre les édiles de la nation. Aujourd’hui, les Nigérians pourraient renouveler le débat en demandant à dissoudre non seulement l’Assemblée nationale, à Abuja, mais aussi les plus hautes instances d’un système fédéral en voie d’essoufflement.