Côte d’Ivoire : entre Jean-Marc Yacé et Yasmina Ouégnin, une bataille fratricide au sein du PDCI pour Cocody

C’est à la fois un duel politique et familial. La députée de Cocody est bien décidée à ravir à son oncle, le maire sortant de cette commune d’Abidjan, l’investiture du PDCI pour les municipales de 2023.

Mis à jour le 26 septembre 2022 à 08:09
 
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Jean-Marc Yacé et Yasmina Ouégnin visent tous deux l’investiture du PDCI pour la mairie de Cocody. © Montage JA : Mairie Cocody ; Vincent Fournier/JA

LE MATCH DE LA SEMAINE – L’annonce par Yasmina Ouégnin qu’elle était candidate à l’investiture du PDCI pour la mairie de Cocody, le 28 juillet, sur sa page Facebook, n’a surpris personne ou presque. Les rumeurs prêtant à la députée de Cocody l’ambition de devenir maire circulaient depuis plusieurs mois déjà sur les bords de la lagune Ébrié. Si la quadragénaire avait pris garde de ne pas le confirmer publiquement, elle affichait ses intentions en privé, notamment auprès de la jeune garde du PDCI.

En franchissant le pas, Yasmina Ouégnin s’est pliée au processus interne du parti : elle a déposé sa candidature devant le comité de gestion et de suivi des élections du PDCI-RDA. En mettant fin à ce faux suspens, elle a tout de même créé l’événement. Car la fille cadette de Georges-François Ouégnin, qui fut le directeur du protocole de Félix Houphouët-Boigny trois décennies durant, sera confrontée à un adversaire de taille : le maire sortant, Jean-Marc Yacé.

Yacé, le fidèle

En 2018, lorsque l’alliance entre le PDCI et le RHDP prend fin, c’est en effet Jean-Marc Yacé que le PDCI choisit pour affronter l’édile sortant, Mathias Aka N’Gouan. Issu d’une grande famille ivoirienne, cet officier à la retraite est le neveu de Philippe Yacé, qui fut le premier président de l’Assemblée législative (puis nationale) ivorienne. Proche d’Henriette Bédié, l’épouse du Sphinx de Daoukro, il avait remporté la mairie de Cocody à l’issue d’un scrutin très disputé. En sa qualité de coordinateur des délégués communaux de Cocody, il a joué, depuis, un rôle très actif dans l’animation de la base du parti.

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Le comité d’investiture, dirigé par le professeur Niamkey Koffi – un proche d’Henri Konan Bédié –, devra donc décider laquelle de ces deux personnalités représentera le parti en 2023. Si les critères de désignation et les délibérations sont tenus secrets, plusieurs cadres du mouvement estiment que Jean-Marc Yacé part favori. Il a fait un premier mandat de maire et le parti a tendance à privilégier les candidats sortants. Ses proches mettent également en avant sa fidélité au parti et son respect de la discipline.

Pour l’heure, ni Yacé ni Ouégnin ne se risquent à commenter le processus en cours. Nul doute cependant que Jean-Marc Yacé mettra en avant son bilan. Il revendique la réalisation de 75% des chantiers engagés et le remboursement de près de 60% des 9 milliards de F CFA de dette de la mairie, qu’il dit avoir trouvés en prenant les rênes de Cocody. Le 31 août, il a organisé une cérémonie pour célébrer le prix de « troisième meilleur élu local 2021 » qu’il s’était vu remettre par les autorités.

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Ce jour-là, une forte délégation du parti avait fait le déplacement pour manifester sa solidarité à l’équipe municipale en place. Cette délégation était composée notamment du général Gaston Ouassénan Koné, vice-président du PDCI, qui représentait Henri Konan Bédié, de l’ancien ministre Émile Constant Bombet, ainsi que de plusieurs vice-présidents et secrétaires exécutifs.

La veille, Bédié avait reçu le maire de Cocody et son équipe, à Daoukro, afin de les « féliciter pour le travail accompli ». Autant de signaux de nature à rassurer l’édile sortant. Car, sur les investitures comme sur de nombreux autres sujets, le dernier mot revient à Bédié.

Ouégnin, l’indépendante

Yasmina Ouégnin devra, elle, batailler contre certains cadres du parti, qui lui reprochent son manque de loyauté. De fait, ses relations avec cette formation politique n’ont pas toujours été un long fleuve tranquille. En 2016, après avoir échoué à obtenir l’investiture du RHDP – alors que le PDCI faisait encore partie de l’alliance –, elle s’était présentée en candidate indépendante. Un temps suspendue du mouvement, elle semble désormais attachée à respecter les logiques d’appareil. En 2021, elle a été réélue pour un troisième mandat de députée à Cocody, sous l’étiquette de la coalition de l’opposition PDCI-RDA/EDS. Autre signe de son retour en grâce, elle avait été désignée pour lire les résolutions finales du colloque consacré à la commémoration du 75e anniversaire du PDCI, en octobre 2021.

Figure incontournable de la génération des « quadras qui montent », réputée pour sa propension à bousculer les caciques – elle a fait partie des cadres qui avaient rejeté l’appel de Daoukro, en 2018 –, Yasmina Ouégnin a toujours rejeté en bloc les critiques mettant en doute sa loyauté, insistant sur le fait que le parti est « dynamique et se nourrit de débats contradictoires ».

Si elle a décidé de se porter candidate face à Jean-Marc Yacé, c’est, explique-t-elle, pour « répondre à l’appel des militants ». En respectant les procédures internes, elle entend démontrer sa volonté de jouer selon les règles du parti.

Qu’adviendra-t-il si sa candidature vient à être rejetée ? Tournera-t-elle, une fois de plus, le dos à sa famille politique pour se présenter en indépendante ? « On répondra en temps voulu », avait-elle indiqué à Jeune Afrique, en avril. Près de six mois plus tard, Yasmina Ouégnin continue de se refuser à tout commentaire, affirmant vouloir respecter le processus en cours.

Duel familial

Dans l’hypothèse où Jean-Marc Yacé obtiendrait l’investiture du PDCI et où il serait opposé à une Yasmina Ouégnin candidate indépendante, l’issue du scrutin n’irait pas de soi tant cette dernière est une redoutable adversaire politique. Au fil de son mandat, Yacé a pu paraître discret et n’a que peu communiqué sur ses réalisations ; la députée, au contraire, a montré, lors de ses précédentes campagnes, sa parfaite maîtrise des outils de communication.

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Le duel qui se joue est aussi familial. Jean-Marc Yacé est en effet l’oncle de Yasmina Ouégnin. Marie-Georgette, l’une des sœurs de Philippe Yacé – qui fut un compagnon de route d’Houphouët –, a épousé en secondes noces François Ouégnin, le grand-père de Yasmina. Plusieurs membres de la famille ont d’ailleurs tenté de dissuader la députée de se présenter contre son oncle. En vain.

En attendant que les instances tranchent, chaque candidat se prépare à la bataille tout en tentant de préserver les apparences. Jean-Marc Yacé et Yasmina Ouégnin sont bien conscients du risque qu’ils prennent à étaler leurs divergences sur la place publique. Éric Taba, le directeur du protocole d’Alassane Ouattara, est actif depuis plusieurs mois dans la commune, et l’éventualité qu’il se présente sous les couleurs du RHDP semble de plus en plus probable. Si Cocody devenait le théâtre d’une guerre fratricide au sein du PDCI, nul doute que le candidat du RHDP pourrait en tirer profit.