Côte d’Ivoire : le Dycoco Comedy Club, un tremplin pour le rire nouvelle génération

Mis à jour le 21 mars 2022 à 17:02
 

 

Le Dycoco Comedy Club, inauguré fin 2020 à Cocody.

 

Inauguré il y a un peu plus d’un an à Cocody, au nord d’Abidjan, ce temple de l’humour compte révéler les talents locaux et exporter ses jeunes poulains à l’international.

Dans la commune de Cocody, la jeunesse ivoirienne s’est longtemps donné rendez-vous au Bao, lieu de vie alternatif sans prétention proposant spectacles d’humour, soirées slam et concerts à géométrie variable. À la nuit tombée, la façade, aujourd’hui complètement rénovée, se révèle désormais à la lueur des lettres en néons du Dycoco Comedy Club. Une enseigne surmontée d’un cocotier lumineux déployant ses feuilles sur la rambarde d’un immense roof top.

Ce soir de début mars, alors que le Marché des arts du spectacle d’Abidjan (Masa) bat son plein, les spectateurs ont tout de même répondu présent. Le très jeune public d’alors a laissé place à une population de trentenaires, en grande majorité ivoirienne, prête à débourser de l’argent pour un spectacle et à s’endimancher pour l’occasion.

Avec trois tarifs différents – allant de 5000 F CFA (7 euros) pour les étudiants, à 10 000 F CFA (15 euros) pour le carré or, en passant par 8000 F CFA (12 euros) pour la moitié des billets –, chacun y trouve son compte. À l’intérieur, une petite salle de 1000 places assises accueille la scène éclairée de spots roses, au-dessus de laquelle trône fièrement le nom Dycoco.

Le mot-clé : modernité

À quelques jours du 8 mars, les dix humoristes ont rôdé leur show pour un plateau spécial Journée internationale des droits des femmes. Le duo d’animateurs s’est grimé pour l’occasion, à coup de robes à froufrous, de perruques afro et de rouge à lèvres, se revendiquant avec esprit du pronom « iel ». Une entrée en matière qui s’aventure sur le terrain de la confusion des genres. Il fallait oser. Le public rit sans retenue. Le premier tandem d’humoristes femmes – l’une en boubou traditionnel et l’autre perchée sur des talons de 12 cm, une tenue plus sexy confectionnée à partir du même tissu wax que sa camarade sur le dos – se lance ensuite dans une réjouissante querelle des anciennes et des modernes.

La modernité, voilà sans doute le terme qui définit le mieux le Dycoco Comedy Club. Un nouveau temple de l’humour autofinancé et piloté par Thomas Furrer, fils de Grégoire Furrer, à l’origine du Montreux Comedy Festival – rendez-vous du rire qui a lieu chaque année en Suisse, depuis 1990. Installé depuis six ans à Abidjan, le jeune Français décrit cette scène ivoirienne comme résolument tournée vers la nouvelle génération d’humoristes. « On pense que l’Afrique est un terrain vierge rempli de jeunes talents », résume-t-il.

Organisé autour d’une troupe de dix comédiens formée sur place, le club mise sur la rigueur – avec des shows qui commencent, dans la mesure du possible, à l’heure – et sur le professionnalisme. « Nous recrutons une nouvelle génération très connectée, ayant un œil neuf, qui s’est formée à l’extérieur et qui est familière de la culture du stand-up », précise Clément Michels, 28 ans, directeur artistique de l’espace et ancien gérant du volet humour au Bao. Objectif de l’écurie : codifier la scène humoristique locale, jusqu’à présent « enfermée dans l’improvisation et l’autodérision », estiment les deux partenaires.

L’AGENDA EST SERRÉ POUR LES JEUNES POULAINS DE LA TROUPE, TOUS SALARIÉS ET CONTRACTUALISÉS

Avec deux séances de coaching par semaine, une séquence d’écriture hebdomadaire pour la préparation d’un spectacle collectif, un one man show à préparer pour chacun et des master class, l’agenda est serré pour les jeunes poulains de la troupe, tous salariés et contractualisés.

Humoriste, un vrai métier

Professionnaliser le secteur de l’humour, tel est le défi que s’est fixé le gérant. « En Côte d’Ivoire, être humoriste n’est pas perçu comme un métier, observe-t-il. Au début, les artistes ne comprenaient pas le principe de jouer de manière répétée. Or se confronter très régulièrement au public est essentiel ». C’est pourquoi différents styles d’expressions sont proposés dans ce lieu de rodage un peu unique en son genre.

Après un lancement avec une ouverture chaque soir de la semaine, l’équipe a dû s’adapter à la dynamique d’Abidjan, et propose désormais de trois à quatre spectacles hebdomadaires, du mercredi au samedi. « Nous voulons que l’Afrique s’approprie les codes du stand-up. Il faut donc que nos artistes apprennent sur le terrain et travaillent pour pouvoir ensuite s’exporter à l’international, sous notre bannière. L’ancienne génération ne comprend pas cela », juge le jeune patron, qui ne cache pas son esprit critique envers le Gondwana club initié par une star du rire, le Nigérien Mamane. « Il y a des grands noms de la scène qui animent encore des mariages et refont les mêmes vannes depuis des années », pointe Thomas Furrer. Son équipe, elle, s’appuie sur deux axes : les comédiens à l’humour très ivoirien – destinés à briller dans leur pays – et les autres, qui ont le potentiel de s’internationaliser.

CRÉER UN PATRIMOINE HUMORISTIQUE, TELLE EST L’AMBITION DU DYCOCO

C’est le cas du gamin d’Abobo connu sous le sobriquet de « Clentélex » – de son vrai nom Niamké André Wandan –, 25 ans, qui a déjà conquis le public suisse en participant au festival de Montreux, mais aussi le public français en montant sur la scène de six comedy clubs parisiens, avant de se rendre au Festival Lillarious, à Lille, en février dernier, dans le cadre des Pépites de l’humour francophone. Pour celui qui suit en parallèle des études à l’Isaac (Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle d’Abidjan), il y a un triptyque gagnant à respecter : « un contexte, une mise en suspens et une chute. »

« Clentélex a réussi à conserver sa vision d’Ivoirien tout en parvenant à la rendre exportable, car s’il y a bien quelque chose de commun à toutes les scènes qu’il a foulées, c’est la francophonie », précise Thomas Furrer. « J’ai adapté le style stand-up aux réalités ivoiriennes, témoigne de son côté la jeune pousse du rire. Auteur d’un film documentaire au titre bien senti – J’irai faire rire les Blancs. Le Voyage de Clentélex, d’Abidjan à Montreux –, il précise, ironique : « J’utilise le nouchi et un langage relâché, tout en mêlant absurde et philosophie liés à l’observation de notre monde vulnérable. Ces thèmes parlent à tout le monde, même si je les aborde à la “façon stand-up abobolais” ».

Créer un patrimoine humoristique, telle est l’ambition du Dycoco, qui mobilise une équipe pour la captation de ses spectacles. Un bon réflexe acquis grâce à l’expérience du Montreux Comedy Festival, dont les spectacles sont filmés depuis 1995. Le défi des contenus et la numérisation des shows passera également, à terme, par le lancement d’un studio de création de mini-séries taillées pour les différents réseaux sociaux comme Youtube et TikTok. En attendant, le Dycoco lance la deuxième édition de son festival, à l’occasion de la semaine de la francophonie, pour un grand gala d’humour et autres rendez-vous avec des artistes venus de toute l’Afrique francophone, d’Europe et du Canada, qui se tiendra du 20 au 26 mars.