Le Père Jean ChardinRéflexions sur le paludisme

Étant donné l’ampleur que prend cette endémie, qui tue dans le monde plus de personnes que le VIH SIDA, nous sommes amenés à réfléchir, à échanger sur cette maladie qui nous a tous atteints un jour ou l’autre. Nos expériences mises en commun peuvent être utilisées pour sensibiliser d’autres personnes et se défendre contre ce fléau. Celui qui rédige n’est autre qu’un sujet “lambda” au même titre que tous ses autres frères et sœurs victimes du paludisme.

Deux types de palu. Une classification de base est indispensable. Il y a un palu déclenché par le ‘Plasmodium Vivax.’ C’était le palu le plus répandu il y a 50 ans, sur toute l’Afrique du Nord et à l’intérieur de l’Afrique. Il se soignait sans trop de complications avec des médicaments comme la Nivaquine ou des médicaments similaires. 36 heures suffisaient pour se débarrasser de la crise. Il provoquait une profonde anémie qu’il fallait soigner avec vigilance pour remonter la pente.

J’ai eu mes premières crises de palu en Algérie en 1943, et en France en 1945. Une des composantes de la crise est l’aspect psychologique : le besoin d’assistance, d’attention, et d’affection. La crise de palu crée une détresse de l’âme, tout aussi dommageable que la fièvre elle-même.

Puis va surgir un nouveau palu issu du ‘falciparum’, palu redoutable parce qu’il s’incruste dans le sang, un peu comme le SIDA. Les effets physiques et psychologiques n’ont fait que s’accentuer par rapport au premier paludisme. Ce palu attaque fortement le foie. Il produit une sévère destruction des globules rouges et conduit dans un certain nombre de cas à la mort. Il produit des vertiges, un délire, et peut aller jusqu’au coma. Il est très difficile de s’en débarrasser. Les anciennes médications, comme la Nivaquine, deviennent totalement inopérantes. Il peut réapparaître après des premiers soins mal conduits et déboucher sur une situation catastrophique. Il est particulièrement redoutable pour les enfants en bas âge. Ce type de palu s’est répandu en particulier dans toute l’Afrique de l’Ouest. Quand on parle de malaria, c’est pour n’importe quelle sorte de paludisme. C’est sur cette forme du falciparum que portera le reste de cet entretien.

Diagnostic et médicaments. Il est nécessaire de diagnostiquer le paludisme – sans le confondre avec une grippe ou avec de la fièvre typhoïde (également répandue) avant de commencer un traitement typique. Pourtant, les premières sensations ne trompent pas : courbatures, maux de ventre, mal de tête, frissons, poussées de fièvre, diarrhées. Mais les gens répugnent à se rendre à l’hôpital ou à un dispensaire pour être bien fixés. Alors qu’il ne faudrait pas tarder pour commencer un traitement.

À notre connaissance, dans l’état actuel de la médication anti-paludéenne, seul un médicament à base de deux molécules peut arriver à détruire le falciparum. Prenez donc comme référence un médicament largement utilisé : le Coartem.

Que de gens je rencontre qui ne prennent pas d’autres médicaments que les anti-douleurs pour soigner leur palu… en vain évidemment. Que de cas rencontrés où la médication a été insuffisante. Il faut le savoir : la crise va reprendre en force, d’une manière plus sournoise, et conduira peut-être à un état catastrophique. À combien de décès n’assistons-nous pas suite à un traitement insuffisant ?

En général les médicaments à deux molécules se présentent sous une forme de comprimés à prendre pendant 3 jours. La médication est énergique. En particulier, les 2 premiers jours sont très difficiles. Le premier jour se passe souvent dans le délire et le deuxième jour, on ressent fréquemment de grandes douleurs au ventre. Mais la délivrance assurée apparaît quand le médicament a été complètement ingéré. Il va rester ensuite des séquelles : une faiblesse extrême. Et ne pas omettre l’aspect psychologique de déréliction par lequel passe le patient. Une profonde détresse s’empare de lui. Beaucoup d’attention et d’affection feront autant pour aider le patient à sortir de sa crise que l’ensemble des soins.

Le prix des médicaments. Certains médicaments coûtent 10 fois plus cher que le Coartem généralement prescrit en Afrique. C’est le cas du Malarone prescrit aux touristes européens qui partent en Afrique. Mais pour une population ordinaire, le prix du Coartem est déjà trop élevé. Voilà pourquoi il y a tant d’échecs dans le traitement. Les gens du peuple ne peuvent se payer le médicament qui les sauverait en 3 jours. Pour que le médicament puisse être à la portée de tous, il faudrait que le prix baisse (sans doute par une subvention…)

Les instances internationales. Nous assistons régulièrement à des réunions internationales sous l’égide de l’OMS. Environ quatre cents délégués y viennent de tous les pays du monde. Je ne veux pas être de mauvaise foi, mais que sort-il de ces réunions ? D’abord, le coût démentiel de tels rassemblements ! Ensuite, comment se fait-il qu’on n’arrive pas à trouver une solution pour mettre à la disposition du peuple des médicaments moins chers – et qui pourraient d’ailleurs aller jusqu’à des soins gratuits si l’on avait bien pesé les dégâts mondiaux du paludisme. C’est pourquoi on s’interroge sur l’efficacité de ces réunions internationales.

De grands groupes de laboratoires défendent leurs intérêts. Il n’y a guère de place pour des chercheurs isolés dans le Tiers-monde et en recherche de solutions valables. Pour le SIDA, la lutte a été longue. Nous sommes arrivés maintenant à une médication à bas prix et même gratuite. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour traiter le paludisme ?

La lutte contre le paludisme. En fait, il y a plusieurs domaines concomitants pour faire face à la malaria, et il faut les diriger simultanément. Les aspects de sensibilisation de la population ne sont pas à négliger. Il y a aussi l’entretien de la voirie publique de façon à ne pas laisser d’eaux croupissantes où se développent les moustiques. Il y a encore le traitement des ordures ménagères qui laisse beaucoup à désirer. La santé de la population est agressée de tous côtés.

Les causes de malaria et de quantité d’autres maladies sont là… laissant la plupart du temps tout le monde indifférent.
Je voudrais m’arrêter sur la moustiquaire imprégnée. Curieuse solution qui prend ses origines dans les services de l’OMS et donne prise à bien des interrogations. Chaque année, lors de la journée internationale du paludisme, le ministre de la santé en fait la promotion dans son discours à la télévision. Mais si vous allez chez ce même ministre, vous ne trouverez jamais une moustiquaire imprégnée ! (Par contre, il y a des grillages à chaque fenêtre de sa villa…)

Donc, tu te demandes quels sont les enjeux qui font que chaque ministre fasse la même promotion, sans même dire un jour qu’il faudrait peut-être commencer par protéger les fenêtres ! Quels sont donc les groupes financiers internationaux qui profitent de cette manne ? Il y a un programme de distribution gratuite de ces moustiquaires. Vous ne saurez jamais à qui. Et si quelqu’un recherche une moustiquaire imprégnée, il n’en trouvera nulle part.
Il ne faut pas non plus ignorer que l’imprégnation ne dure que quelques mois, et qu’il faudra pouvoir la renouveler ensuite, ce qui ne peut se faire… En regardant la vie familiale, je suis d’accord pour une moustiquaire qui protège le bébé quand il dort dehors ou dans une chambre infestée.

L’aménagement de la maison. Voilà le premier endroit où il faut agir. On aimerait avoir des émissions de télévision et de radio sur le sujet, qui sensibilisent la population et montrent comment s’y prendre. Rien ! Jamais rien à ce sujet. On nous rabâche tout le temps avec les moustiquaires imprégnées.

Première chose à faire : poser des grillages anti-moustiques à chaque fenêtre des chambres à coucher. Ensuite, si possible, aux autres pièces de la maison. Instaurer les réflexes de fermer les portes des chambres, d’isoler les couloirs. Vous me direz : “Le moustique arrivera toujours à rentrer dans la chambre”. C’est exact ! Vous allez sourire : “Tout moustique qui entre dans une chambre, mourra !” car on va le traquer. Il finira bien par se poser sur un mur ou sur un carrelage. Il est bon d’avoir des bombes de destruction des moustiques : Choisir celles qui tuent instantanément. Vous souriez de tout ce que je vous raconte : depuis 40 ans que je suis en Côte d’Ivoire, je n’ai jamais mis une moustiquaire au-dessus de mon lit.

Les communautés chrétiennes. Il faudrait dénombrer toutes les visites aux malades que font les communautés chrétiennes, toutes les prières qui sont récitées autour du lit du malade par les parents, les groupes de prières, les CEB, le Renouveau. Si je disais combien de fois au repas de la paroisse, un prêtre a dit : Je pars à l’hôpital prier pour un malade. Je crois que cette dimension est vécue dans nos chrétientés africaines, peut-être plus qu’en Europe.

N’y aurait-il pas d’abord à donner une formation sur le paludisme, étant donné que des connaissances manquent souvent. Que nos communautés chrétiennes soient les premières à faire un effort pour aménager leurs maisons. Mais n’y aurait-il pas une démarche de plus à faire du point de vue international afin de mieux prendre en compte cette maladie ? Que l’on puisse obtenir de la soigner par des médicaments bon marché, et même par des soins gratuits ?

Quand on mesure tous les acquis que l’on a obtenus pour la lèpre, pour le VIH SIDA, pourquoi ne pas lutter pour venir en aide à tant de paludéens, alors que l’on connaît l’ampleur des dégâts engendrés par le paludisme dans le monde ?

Jean Chardin