Côte d’Ivoire-Ghana : le « cartel du cacao » a-t-il visé trop haut ?

Mis à jour le 7 octobre 2021 à 10:49


Des cultivateurs de cacao, au Ghana, en juillet 2021. © Muntaka Chasant/Shutterstock/SIPA

Plus de deux ans après la création du « cartel » visant à influencer le marché international de l’or brun, Jeune Afrique dresse un premier bilan des objectifs fixés par les deux plus grands producteurs mondiaux de cacao.

La campagne de commercialisation de la récolte 2021-2022 de cacao a été simultanément lancée à la fin de septembre au Ghana et en Côte d’Ivoire, les deux leaders mondiaux (60 % de la production annuelle). Mais, deux ans après l’alliance formée par ces deux pays pour instaurer un prix plancher sécurisant un revenu supérieur pour les producteurs de cacao, diverses failles apparaissent dans leur stratégie commune.

Différentiels de prix et de production

Premièrement, la stratégie de plafonnement de la récolte à 2 millions de tonnes pour la Côte d’Ivoire et à environ 900 000 tonnes pour le Ghana n’a pas eu le succès escompté. Environ 2,4 millions de t sont sorties des plantations ivoiriennes lors de la saison 2020-2021 qui a pris fin le 30 septembre. Chez le voisin ghanéen, la récolte a été estimée à 1,06 million de t. Pour la nouvelle campagne – en cours –, les deux pays tablent sur une production de 2,1 millions de t pour la Côte d’Ivoire et de 950 000 t au Ghana. Il n’y a pas plus de garantie que ces nouveaux plafonds seront respectés.

Dans un deuxième temps, l’harmonisation des systèmes de commercialisation n’est toujours pas affinée. Le Ghana a un mécanisme comptant moins d’intermédiaires que la Côte d’Ivoire. Depuis Accra, le régulateur du secteur (le Ghana Cocoa Board – Cocobod) emprunte chaque années entre 1,3 milliard et 1,5 milliard de dollars, via des prêts syndiqués auprès de banques locales et internationales, pour financer directement l’achat des fèves auprès des planteurs. En Côte d’Ivoire, le Conseil café-cacao (CCC) attribue, lui, des agréments aux exportateurs, ainsi qu’aux intermédiaires traitants et aux coopératives de paysans. Cette chaîne de sous-traitants est pesante pour les planteurs de cacao.

NI LE NIGERIA NI LE CAMEROUN N’ONT REJOINT LE CARTEL IVOIRO-GHANÉEN

Enfin, si les deux pays ont lancé en 2021 l’Initiative Cacao Côte d’Ivoire-Ghana, avec un siège à Accra, pour mieux coordonner leurs stratégies, des différentiels de prix importants subsistent, créant des distorsions et incitations délétères pour les producteurs. Ainsi, pour la nouvelle saison cacaoyère, la Côte d’Ivoire a fixé le prix bord champs à 825 F CFA (1,26 euro) le kilogramme de fèves de cacao, en baisse de 175 F CFA sur un an.

Les autorités ghanéennes ont, elles, annoncé un prix de 10 566 cédis la tonne, environ 989 F CFA par kg, soit un prix resté stable par rapport à la saison dernière. « Ce prix est le plus élevé de la sous-région. Tous les pays producteurs envisageaient une réduction des prix bord champs à la suite de l’effondrement du marché terminal du cacao en raison de la pandémie de Covid-19 », s’est réjoui Owusu Akoto, le ministre ghanéen de l’Alimentation et de l’Agriculture.

Conséquence : les autorités ivoiriennes suspectent les Ghanéens de contrebande de la production dans la mesure où les prix avantageux du Cocobod incitent les paysans de l’Est ivoirien à écouler leur production au Ghana… Pour ne rien arranger, Abidjan et Accra restent esseulés dans le « cartel » lancé en 2018. Les autres pays producteurs africains comme le Nigeria et le Cameroun n’ont pas encore rejoint l’alliance.

NOUS N’AVONS PAS ENCORE HARMONISÉ NOS SCHÉMAS, MAIS NOUS AVONS PROGRESSÉ SUR PLUSIEURS ASPECTS


Traitement des fèves de cacao au Ghana. Les producteurs de cacao sont confrontés à la vulnérabilité économique. 23 juin 2021. © Muntaka Chasant/Shutterstock/SIPA

Des progrès revendiqués par les autorités

« Nous n’avons pas encore harmonisé nos schémas de mise sur le marché du cacao, mais nous avons progressé sur plusieurs aspects », insiste Yves Koné, le directeur général du CCC. Le dirigeant ivoirien pointe, entre autres, l’entrée en vigueur depuis le début de 2021 du différent de revenu décent (DRD). Cette « prime » de 400 dollars par tonne imposée aux multinationales du cacao (une « taxe » selon elles) sur les contrats de fourniture en or brun. Mais des tensions sont apparues au cours de l’année entre les multinationales et les autorités ivoiriennes comme ghanéennes, qui ont reproché aux premières d’opérer diverses manœuvres pour ne pas s’acquitter du DRD.

« Les exportateurs ont été très fins dans leurs démarches. Ils ont accepté la nouvelle taxe censée améliorer le revenu des planteurs mais, dans le même mouvement, ils ont refusé de s’acquitter ou ont rogné sur la prime de qualité [également appelée ‘différentiel pays’ et dépendante de la qualité des fèves et cabosses de cacao, elle s’ajoute au DRD, ndlr] », décrypte un spécialiste de la filière café-cacao.

LES EXPORTATIONS DE FÈVES BRUTES CONTINUENT DE DOMINER LA FILIÈRE OUEST-AFRICAINE

« Sur la base des ventes anticipées, les paysans auraient dû obtenir 771 F CFA [1,17 euro] par kilogramme au cours de la campagne écoulée. Mais grâce au DRD, les producteurs ont pu recevoir une prime de 229 F CFA le kilogramme, pour un prix bord champs fixé à 1 000 F CFA. Au total, près de 500 milliards de F CFA supplémentaires ont été obtenus par les producteurs », répond Yves Koné.

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L’Italien Claudio Corallo fabrique a Sao Tome l’un des meilleurs chocolats du monde en provenance de sa plantation de cacaoyers de l’ile de Principe © Vincent Fournier/JA

Du côté d’Abidjan, les autorités se disent toujours déterminées à accroître la part de la valeur ajoutée de la richesse cacaoyère qui revient aux producteurs et aux acteurs locaux. Elle est estimée à environ 5 % de l’ensemble de la chaîne de valeur, alors que les exportations de fèves brutes continuent de dominer les opérations de la filière sur le continent. La saison 2021-2022 sera un nouveau test sur la solidité et la consolidation du cartel du cacao face aux parades des multinationales du cacao, aux stratégies d’arbitrage des producteurs jouant des différentiels de prix et à l’indifférence d’Abuja et de Yaoundé aux appels du pied d’Abidjan et Accra.