Mali : le plan d’action gouvernemental de Choguel Maïga divise la classe politique

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Mis à jour le 04 août 2021 à 15h11
Fer de lance de l’opposition au Conseil national de transition, Choguel Kokalla Maïga a été nommé Premier ministre le 7 juin.
Fer de lance de l’opposition au Conseil national de transition, Choguel Kokalla Maïga a été nommé Premier ministre
le 7 juin. © HADAMA DIAKITE/MAXPPP

Dispositif sécuritaire, gouvernance, corruption… Le Premier ministre Choguel Maïga déploie une feuille de route ambitieuse qui laisse certains observateurs dubitatifs.

Sans surprise, le plan d’action gouvernemental (PAG) a été largement adopté lundi 2 août au soir, par le Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif, avec 102 voix pour, deux voix contre et neuf abstentions. Si l’issue du vote était quasiment connue d’avance, l’enjeu est tel qu’il a fallu attendre dix heures de débats intenses entre les membres du CNT pour en arriver à l’épilogue.

Pour faire approuver sa politique par les représentants du CNT et convaincre l’ensemble des Maliens, Choguel Kokalla Maïga avait présenté avec une certaine gravité, ce vendredi 30 juillet, son PAG qui doit conduire le pays à la fin de la transition. « Nous prenons en charge le destin de la Nation en un moment crucial », a-t-il souligné. Face au Conseil, le Premier ministre a qualifié le Mali de « grand corps malade qui a besoin d’une thérapie ».

Persuadé d’avoir la recette pour sortir le Mali de l’ornière, Choguel Maïga a dressé une feuille de route gouvernementale qu’il a déclinée en quatre principaux axes. Son coût s’élève à plus de 2 000 milliards de F CFA (environ 3 milliards d’euros).

Renforcement sécuritaire

Ces axes reposent principalement sur les grandes préoccupations actuelles du pays, au premier rang desquelles l’aspect sécuritaire. Le Premier ministre a promis de renforcer la formation des forces de sécurité et de défense, et de mettre à leur disposition des moyens humains et matériels supplémentaires pour permettre le redéploiement de l’administration, et des services sociaux de base, dans les zones qu’elle a désertées – principalement dans le nord du Mali – à cause de l’insécurité.

Cette stratégie de sécurisation du pays doit également passer par l’appui et le déploiement de l’armée reconstituée. Un dispositif cher aux membres de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), et prévu par l’accord de paix de 2015, mais qui a eu du mal à prendre forme.

Sans donner plus de détails, le chef du gouvernement prévoit de s’attaquer aussi à la relecture « intelligente et consensuelle » de cet accord pour en garantir « une appropriation collective et le renforcement de son caractère inclusif ».

Bien que la CMA défende l’application stricte de l’accord, la classe politique a pour sa part demandé sa relecture avec insistance à l’issue du dialogue national inclusif (DNI) de 2019. « Le Premier ministre a bien précisé qu’on ne toucherait pas à l’ensemble de l’accord, tempère Jeamille Bittar, porte-parole du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP). Certains points, comme la laïcité et l’intégrité territoriale du Mali, ne seront pas négociables. »

« Rupture et exemplarité »


Choguel Kokalla Maïga présente le plan d’action du gouvernement au Conseil national de transition à Bamako, le 30 juillet 2021

 

S’il a largement été question du renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire, Choguel Maïga, qui était l’une des figures de proue du M5-RFP, a manifesté sa volonté de marquer une rupture avec l’ancien système. Ce qui implique des réformes politiques et institutionnelles destinées à « rénover le cadre politique » afin de « doter le pays d’institutions fortes et légitimes » qui permettront d’instaurer une « stabilité politique et une paix durable », a-t-il déclaré devant le CNT.

Comme le Premier ministre l’avait déjà annoncé dans les jours qui ont précédé sa prise de fonctions, des assises nationales conduites par le ministre de la Refondation, Ikassa Maïga, vont se tenir dans les prochaines semaines pour encadrer la mise en place de ce futur cadre politique. Elles s’appuieront principalement sur les conclusions du DNI.

Au cœur de sa stratégie de bonne gouvernance – un volet scruté avec attention par les membres du M5 –, Choguel Maïga a choisi de placer « la rupture et l’exemplarité ». Ce qui va, entre autres, demander « une réduction drastique » du train de vie de l’État et la création d’« espaces budgétaires pour améliorer les conditions de vie des populations ». Ainsi, il engage son gouvernement à trouver 100 milliards de F CFA qui seront « réalloués » aux secteurs sociaux prioritaires comme la santé et l’éducation.

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LE GOUVERNEMENT VA RÉCUPÉRER UNE MANNE FINANCIÈRE IMPORTANTE EN LUTTANT CONTRE LA CORRUPTION

Le Premier ministre a prévenu que des audits sur les bâtiments publics seraient réalisés et qu’une commission d’enquête sur les démolitions réalisées dans la zone aéroportuaire de Bamako allait être lancée.

« La stratégie du gouvernement est claire. Pour financer son PAG, il va essayer de récupérer une manne financière importante en luttant contre la corruption. L’idée est de procéder à l’arrestation de barons de l’ancien système qui ont détourné des deniers publics pour s’enrichir, et de leur demander de les restituer à l’État », explique l’analyste Mohamed Maïga, qui travaille sur les politiques socioéconomiques de territoire.

Depuis que Choguel Maïga a pris la tête de la primature, les arrestations de grandes figures médiatiques se multiplient. Dernière cible en date : Adama Sangaré, l’influent maire de Bamako, qui a été placé sous mandat de dépôt par le pôle économique et financier.

Prolongement de la transition ?

Renforcement du dispositif sécuritaire du pays, instauration de la bonne gouvernance, lutte contre la corruption… Sur le papier, la feuille de route gouvernementale proposée par Choguel Maïga voit donc très grand, mais elle est loin de faire l’unanimité, surtout au sein de la classe politique. Que lui reproche-t-on réellement ?

« À la lecture de ce PAG, force est de constater qu’il présage d’ores et déjà un prolongement de la transition parce qu’il est très ambitieux, observe Boubacar Haïdara, enseignant en sciences politiques à l’université de Ségou et chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le monde (LAM). On se demande d’emblée comment ils vont pouvoir exécuter tout ce que contient ce plan en seulement huit mois. »

Si, ces derniers jours, le chef du gouvernement n’a cessé de répéter qu’il s’engageait à respecter les délais de la transition en organisant les élections présidentielle et législatives le 27 février prochain, la classe politique reste pour le moins dubitative. La gestion des scrutins constitue l’un des points de discorde. Malgré quelques critiques, le Premier ministre a maintenu son choix de mettre en place un organe unique pour les organiser, un projet qui avait été adopté le 7 juillet dernier en conseil des ministres. Il est pourtant jugé « irréalisable » par de nombreux observateurs.

« Le baromètre de réussite d’une transition est la bonne organisation des élections dans le but de retourner à une vie constitutionnelle normale. Nous nous félicitons que le Premier ministre s’engage à respecter le délai [prévu]. Néanmoins, à l’Adema [Alliance pour la démocratie au Mali], nous jugeons que cette déclaration n’est pas compatible avec le plan d’action que Choguel Maïga a proposé puisque celui-ci valide la mise en place d’un organe unique », regrette Adama Diarra, secrétaire politique de l’Adema-Parti africain pour la solidarité et la justice (PASJ).

Et d’ajouter : « Nous l’avions demandé à long terme, dans la perspective d’une transition. Aujourd’hui, sa mise en place est impossible puisqu’elle nécessite d’une part l’adoption de textes portant le règlement de cet organe, et d’autre part des moyens financiers et humains. Ce qui ne peut se réaliser en cinq mois. »

« Les critiques de l’organe unique n’ont pas lieu d’être, balaie pour sa part Jeamille Bittar, un soutien de Choguel Maïga. Il faut rappeler qu’il s’agissait au départ d’une revendication de l’ensemble de la classe politique. Le temps que demande la mise en place une autre commission électorale est aussi long que celui que va prendre la création de l’organe unique. »

Scission au sein du gouvernement

En ce qui concerne l’organe unique, des divergences se manifestent aussi au sein du gouvernement. « Au niveau de l’État, il y a une scission entre le Premier ministre et le MATD [le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, le lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga], qui avait organisé un atelier sur instruction de Choguel Maïga pour évaluer la faisabilité de la mise en place de cet organe unique. Cet atelier a conclu qu’il était l’impossible de mettre en place ledit organe dans le temps disponible, assure Adama Diarra. »

Choguel Maïga a quant à lui demandé à recevoir un comité d’experts électoraux nationaux – auquel Ibrahim Sangho, président de l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali, a participé – qu’il a reçus le 16 juin dernier. Composé d’enseignants-chercheurs et de magistrats, ce comité indique qu’il est encore possible de créer l’organe unique en trois mois. Et dans ce nouveau dispositif, le MATD, qui était la pièce maîtresse dans l’organisation des élections, doit lui transférer ses compétences actuelles. Il jouera désormais un rôle d’appui territorial auprès de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni).

Un budget onéreux

Outre la gestion des élections, le budget alloué à ce plan gouvernemental pose question : il atteint plus de 2 000 milliards de F CFA – pour un gouvernement auquel il ne reste que sept mois pour agir – alors que le budget annuel du Mali est de 2 500 milliards de F CFA pour l’année 2021.

Mohamed Maïga juge que « certaines réformes de ce PAG ne peuvent pas aboutir dans le temps qu’il reste et seront mises en œuvre pendant et après la transition. Ce budget sera donc en réalité étendu à 2022. Ça reste un budget de transition très important mais, dans l’esprit de Choguel Maïga, le futur gouvernement qui sera mis en place après les élections va poursuivre les projets en cours. Reste maintenant à trouver des fonds auprès des bailleurs. »

« Si l’on passe par les procédures habituelles du FMI et de la Banque mondiale, il va être difficile de se doter des fonds nécessaire, reconnaît Jeamille Bittar. Mais on peut solliciter des organismes autres que les partenaires classiques. » Reste à savoir si les bailleurs de fonds vont prendre le risque de prêter de l’argent à un Mali dont l’instabilité sécuritaire et  institutionnelle inquiète.