Côte d’Ivoire : pourquoi Bédié est contesté en son parti

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Les forces de sécurité ivoiriennes entourent la résidence d'Henri Konan Bédié à Abidjan, le 3 novembre 2020

 Les forces de sécurité ivoiriennes entourent la résidence d'Henri Konan Bédié à Abidjan, le 3 novembre 2020 © Luc Gnago/REUTERS

Tenus à l’écart des décisions stratégiques, les jeunes cadres du PDCI ruminent leur amertume à l’égard d’Henri Konan Bédié et se préparent, prudemment mais sûrement, à prendre la relève.

On les a peu entendus quand une vingtaine de personnes ont été arrêtées au domicile abidjanais d’Henri Konan Bédié, le 3 novembre. Pas davantage quand leur aîné de 86 ans, président désigné du Conseil national de transition (CNT) formé après l’annonce de la réélection d’Alassane Ouattara, a tenté d’engager le bras de fer avec le pouvoir. Ni quand il a rencontré le chef de l’État à l’hôtel du Golf, le 11 novembre, en vue d’amorcer un dialogue – officiellement suspendu, mais qui continue en coulisses – pour mettre fin aux tensions postélectorales.

Faut-il voir dans ce silence une forme de désaveu, voire un début de fronde ? Les anciens du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) assurent que non. Que tous seraient soudés et engagés derrière Henri Konan Bédié. « Nous sommes bien organisés et disciplinés, fidèles à la culture de notre maison, assure un des barons du PDCI. Chacun joue un rôle bien précis dans le parti. Untel ne peut pas se lever comme ça et prendre la parole. La ligne est fixée par le président et chacun s’y tient. »

Les « jeunes loups » sur la touche

Et pourtant. Sous couvert de l’anonymat, le discours de leurs cadets est tout autre. En réalité, voilà des mois que plusieurs « jeunes » cadres du parti – comprendre : ceux qui ont entre 40 et 60 ans – ruminent leur aigreur et critiquent la stratégie adoptée par Bédié et son premier cercle. « Comment voulez-vous que l’on défende des choix auxquels nous n’avons jamais été associés ? », résume un député de la nouvelle génération. Le problème, selon eux, est toujours le même : absence de démocratie interne et toute-puissance du « Sphinx de Daoukro » et de son état-major, Maurice Kakou Guikahué (le secrétaire exécutif du PDCI) en tête. 

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NOUS N’AVONS JAMAIS ÉTÉ CONSULTÉS SUR CETTE AFFAIRE DE CNT. BÉDIÉ NE NOUS A RIEN DIT »

La jeune garde du parti se plaint ainsi de ne pas avoir été consultée sur les dernières décisions majeures prises au nom de tous. Ainsi, le 2 novembre, quand l’ancien Premier ministre Pascal Affi N’Guessan annonce que le CNT sera présidé par Bédié, plusieurs cadres du PDCI ont sursauté. « Nous n’étions pas au courant, souffle un membre du bureau politique. Nous n’avons jamais été consultés sur cette affaire de CNT. Bédié ne nous a rien dit et a tout géré avec les responsables de la plateforme de l’opposition. Nous avons découvert ça dans les médias, en même temps que les Ivoiriens. C’est quand même un peu fort ! »

Idem quelques semaines plus tôt, lorsque le président et candidat du PDCI avait lancé son appel à la « désobéissance civile ». Ce 20 septembre, après la validation par le Conseil constitutionnel de la candidature d’Alassane Ouattara à un troisième mandat, Henri Konan Bédié et les principales forces de l’opposition organisent une grande conférence de presse à la maison du parti, à Cocody. Face aux médias, Bédié appelle ses compatriotes à se mobiliser en masse contre la « forfaiture » de Ouattara. Là encore, de nombreux cadres, y compris parmi ceux présents dans la salle, n’en avaient pas été informés au préalable.

Promesses déçues

Il faut remonter dans le temps pour percevoir les premiers signes de défiance à l’égard de Bédié. En juin, lors du processus de désignation du candidat du PDCI, plusieurs « jeunes loups », comme l’ex-ministre Jean-Louis Billon ou le député Patrice Kouassi Kouamé, n’avaient pas caché leur envie de participer à la compétition en interne. Mais de primaires, il ne fut jamais question, et les prétendants s’étaient finalement effacés devant la candidature de leur aîné – à l’exception de Kouadio Konan Bertin (KKB) qui maintiendra la sienne et sera finalement exclu du parti.

« Comme dans toute formation, certains de nos membres ont des ambitions. Mais comme le président se présentait, ils n’avaient aucune chance et ils le savaient. Ils se sont donc rangés derrière lui », assure une vieille figure du PDCI.

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BÉDIÉ A FAIT SON TEMPS, COMME OUATTARA ET GBAGBO. SA STRATÉGIE N’A PAS ÉTÉ PAYANTE »

À tous, Bédié a fait la même promesse : s’il est élu, il nommera une équipe dans laquelle il fera la part belle aux jeunes pour préparer la relève. Aux journalistes qui soulignent l’âge du capitaine, ses lieutenants répondent avec des éléments de langage choisis avec soin : « Peu importe l’âge, Bédié est surtout à la tête d’un collectif compétent et multigénérationnel ». « Il nous a dit qu’il nous donnerait des responsabilités s’il gagne. En même temps, il est évident qu’il n’aurait pas pu diriger le pays tout seul », ironise un membre de la relève annoncée.

Bien que sa réélection soit contestée par ses opposants, Alassane Ouattara a pour l’instant remporté son pari et obtenu un troisième mandat. Henri Konan Bédié, son éternel rival, fait lui figure de grand perdant et la séquence électorale qui vient de s’achever laisse un goût amer à toute une frange du PDCI.

« Dans tous les secteurs, y compris la haute fonction publique, le départ en retraite se fait vers 65 ans. Pourquoi certains continuent-ils à s’obstiner et restent-ils en politique bien au-delà de cette limite ? », s’agace une de nos sources au sein du parti. « Nous n’étions pas favorable à sa candidature à cause de son âge. Il a fait son temps, comme Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo. Sa stratégie n’a pas été payante. Il est maintenant clair qu’il faut opérer des changements en profondeur et tirer les conséquences de cette débâcle », lâche une autre.

Pousser les « vieux » vers la sortie

Difficile de voir comment Bédié peut conserver la main. À en croire certains membres de son entourage, lui-même en est conscient. Mais dans l’immédiat, il n’envisage aucun changement majeur. La jeune garde le dit elle-même : la priorité est de faire libérer les différents responsables du parti arrêtés le 3 novembre et de contraindre Ouattara à faire des gestes d’ouverture. « Bédié reste un acteur incontournable de la crise politique actuelle. Il a donc son mot à dire tant qu’elle n’est pas réglée », estime Arsène Brice Bado, professeur de sciences politiques et vice-président de l’Université jésuite du centre de recherche et d’action pour la paix (Cerap/UJ) à Abidjan.

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LES JEUNES AMBITIEUX DEVRONT VEILLER À NE PAS SE MONTRER TROP FRONTAUX À L’ÉGARD DE LEURS AÎNÉS

Ensuite, pour les jeunes ambitieux qui souhaiteraient prendre la relève, la partie sera serrée. Ils devront veiller à ne pas se montrer trop frontaux ou irrespectueux à l’égard de leurs aînés, au risque de voir leurs chances de percer s’amenuiser. C’est le cas dans de nombreuses organisations, et le PDCI, plus vieux parti de Côte d’Ivoire, ne fait pas exception. « L’opération est délicate : il faut les pousser poliment vers la sortie, sans les brusquer et tout en obtenant leur bénédiction pour l’avenir », résume un bon connaisseur du marigot politique ivoirien.

Les mois qui viennent promettent donc d’être agités au PDCI, d’autant que les élections législatives doivent se tenir durant le premier semestre 2021. Nul doute que la jeune garde du parti, qui s’est sentie mise à l’écart durant la présidentielle, y verra une occasion de « prendre le contrôle ».