Covid-19 en Afrique: «Les pays africains ont pris des mesures au bon moment»

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                                 Le docteur Ngoy Nsenga est responsable du Programme de la réponse aux urgences du bureau Afrique de l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé.
                                Le docteur Ngoy Nsenga est responsable du Programme de la réponse aux urgences du bureau Afrique de l’OMS, l’Organisation                                                                          mondiale de la santé. © Dr Ngoy Nsenga
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Depuis le début de la pandémie du Covid-19, plus de 1,4 million de personnes ont été contaminées sur un continent où aucun pays n'a été épargné. Pourtant, si ce n’est en Afrique du Sud, aucun pays d’Afrique sub-saharienne n’a connu de propagation exponentielle, comme on l’a vu dans le reste du monde. Pourquoi l'Afrique est-elle beaucoup moins impactée que d'autres continents ? Aucune certitude encore mais des pistes de réponses avec le docteur Ngoy Nsenga, responsable du Programme de la réponse aux urgences du bureau Afrique de l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé.

RFI : La pandémie du Covid semble évoluer différemment en Afrique subsaharienne que dans le reste du monde. Y-a-t-il des spécificités en Afrique ?

Ngoy Nsenga : Il y a des spécificités, oui. Nous pensons que c’est expliqué en partie par plusieurs facteurs. Et le premier c’est que, les pays africains ont pris des mesures au bon moment, au moment opportun. Cela veut dire, par exemple, au moment où ils n’avaient pas encore de cas ou alors très peu de cas. Donc il n’y avait pas encore une transmission communautaire très élevée. L’autre chose que l’on évoque, c’est que la plupart des pays ont pris des mesures pour justement limiter les contacts entre les milieux urbains et les milieux ruraux, puisque dans la plupart de nos pays la maladie a commencé à se développer d’abord dans les capitales. Donc la maladie ayant commencé dans les villes, n’a pas été disséminée à grande échelle dans les villages et dans les milieux ruraux régulés.

Est-ce que le fait qu’il y ait moins de trafic aérien à l’international a pu jouer ?

À l’international, non, puisque les premiers cas que nous avons reçus étaient des cas importés, donc je ne pense pas que cela ait pu jouer un rôle. C’est vrai qu’il y a eu un retard, si je peux dire. L’Afrique a été parmi les derniers pays à avoir des cas. Mais je pense encore une fois que, c’est aussi dû aux mesures, déjà, que les pays africains avaient prises à ce moment-là.

Au-delà des mesures prises, le docteur sénégalais, Massamba Sassoum Diop, président de SOS Médecins Sénégal, évoque une hypothèse. En mai, juin et septembre, chaque année, circuleraient déjà sur le continent des Coronavirus qui créeraient une forme d’immunité. Qu’en pensez-vous ?

C’est possible qu’il y ait une immunité croisée en Afrique, c’est vraiment possible. Toutefois, ce que je peux dire, c’est que, les Coronavirus -ou la famille des Coronavirus qui est une famille de virus- ne circulent pas seulement en Afrique. Il y a d’autres régions du monde où d’autres Coronavirus circulent. Maintenant, la question, c’est : pourquoi il y aurait immunité croisée en Afrique et pas dans d’autres régions ? Comme je dis, c’est une hypothèse plausible, mais il faut, encore une fois, vérifier toutes ces hypothèses-là par des études scientifiques, pour apporter des preuves.

Une récente étude a évoqué de possibles prédispositions génétiques. Est-ce que cela vous semple crédible ?

Cette hypothèse, aussi, je la mettrais en adéquation avec les données. Quand vous regardez les populations noires en général, et pas seulement en Afrique. Aux États-Unis, par exemple, les populations sont disproportionnellement plus affectées que les autres. On parlait de la génétique, je ne sais pas si la population africaine a une génétique différente de la population noire américaine. Scientifiquement, nous n’avons pas de preuves que la génétique ait pu jouer un rôle. À ce stade, je ne n’ai pas ces preuves-là.

Autre singularité, celle des cas asymptomatiques. En Europe, par exemple, le taux des asymptomatiques se situe entre 40 ou 50%. En Afrique, ce serait beaucoup plus.

Les données que nous avons, montrent généralement que nous sommes autour de 80% des cas asymptomatiques dans notre région. Une des raisons, ce serait que la population, la structure de notre population est jeune et nous savons que les jeunes, généralement, ont tendance à faire une maladie bénigne, souvent asymptomatique ou paucisymptomatique -qui veut dire avec peu de symptômes. Ce serait cela, l’une des hypothèses.

Et est-ce que le virus pourrait avoir d’autres caractéristiques en Afrique ?

Non, pour le moment nous n’avons aucune preuve qu’il y ait eu une mutation ou d’autres caractéristiques du virus dans la région. Nous n’avons aucune preuve de cela.

Finalement, l’OMS avait prédit pour l’Afrique une véritable catastrophe, mais cette catastrophe n’a jamais eu lieu…

Oui, tout à fait. Au début, en voyant ce qui s’est passé dans les pays d’Asie et en Europe, et en tenant compte de certains facteurs de vulnérabilité que l’on connaît en Afrique, tels que la faiblesse des systèmes de santé dans la plupart des pays, la surpopulation dans certains milieux, comme les bidonvilles, on a pensé que l’Afrique aurait surement une épidémie de grande ampleur, avec une transmission communautaire de grande ampleur. Il faut préciser, ici, que cette projection-là s’est basée sur l’hypothèse que les pays ne prennent pas les mesures, hypothèse qu’il n’y a aucune intervention qui est mise en œuvre. Donc c’était beaucoup plus pour éveiller l’attention des pays que, si nous ne prenons pas des mesures, voilà ce qui peut arriver.