Idriss Déby Itno face à Abubakar Shekau : duel sans fin sur les rives du lac Tchad

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Le président tchadien Idriss Déby Itno et le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau

Depuis cinq ans, le chef de Boko Haram défie le président Idriss Déby Itno. Attaquée le 23 mars à Bohoma, l’armée tchadienne entend bien laver l’affront et a lancé une vaste offensive sur le nord du lac Tchad.

On l’a dit fou, excentrique, mort même. Pourtant, à la fin du mois de mars, lorsque Abubakar Shekau enregistre un message qui sera diffusé le 1er avril, le leader historique de Boko Haram est toujours menaçant. S’adressant en haoussa à Idriss Déby Itno, le Nigérian met en garde le président tchadien, l’estimant incapable de « combattre ceux qui ont choisi de se battre pour le jihad ». « Il fanfaronne », commentera auprès de JA un haut responsable à N’Djamena.

Au même moment, l’armée tchadienne lançait une offensive de grande envergure sur le nord du lac Tchad. Objectif : anéantir les jihadistes et laver l’affront de l’attaque du 23 mars à Bohoma, dans laquelle au moins 98 soldats tchadiens ont été tués. Martial, Idriss Déby Itno a endossé ses habits de chef de guerre.

« Seul face à Boko Haram »

Ses cibles : les combattants de Boko Haram, aujourd’hui affiliés à l’État islamique et divisés en deux groupes dans la région du Lac. Le premier, et le plus important en nombre, est mené par Abou Abdullah Ibn Umar al-Barnaoui et opère sous le nom d’État islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap).

Le second, qui a aussi prêté allégeance à l’EI mais refuse de se soumettre à Barnaoui, se fait appeler Jama’tu Ahlis Sunna Lidda’awati wal-Jihad (JAS). Il est mené par Ibrahim Bakoura, un vétéran de Boko Haram dont les hommes occupent des territoires aux alentours de Nguigmi (Niger) et mènent des attaques dans toute la zone du Lac.

Capture d’écran d’une vidéo de propagande de Boko Haram datant de 2014.

Invectiver les présidents de la région permet à Shekau de rester sur le devant de la scène.

Déclaré mort par l’armée nigérienne en février, Bakoura pourrait en réalité avoir survécu – une de nos sources fait état d’une preuve de vie en mars. Fidèle de Shekau, qu’il a choisi de suivre au détriment de Barnaoui, il aurait lui-même planifié l’attaque sur Bohoma qui a provoqué l’ire d’Idriss Déby Itno.

Lorsque ce dernier vient passer ses troupes en revue, à la fin de mars, aux confins du lac, c’est bien Shekau, replié dans la forêt nigériane de Sambisa, et son bras armé, Ibrahim Bakoura, qui occupent ses pensées. Le Tchadien est agacé. Environ 6 000 de ses soldats sont engagés contre Boko Haram, dont 3 000 au sein de la Force multinationale mixte, qui regroupe le Nigeria, le Niger, le Cameroun et le Tchad. Mais il fustige le manque d’implication d’Abuja et de Niamey. « Le Tchad est seul face à Boko Haram », déplore-t-il.

Stratégies de communication

Le président tchadien Idriss Déby Itno, lors de l'opération "Colère de Bomo", fin mars 2020.

Idriss Déby Itno n’aime rien tant que revêtir son habit de chef de guerre

A-t-il encore en tête le cri qu’Abubakar Shekau a lancé en janvier 2015 : « Idriss Déby, je vous défie ! » ? Le président avait répondu deux mois plus tard : « Nous allons anéantir Boko Haram ! » Cinq ans plus tard, le voilà dans la même situation.

Le 4 avril, il félicitait ses « forces de défense et de sécurité », « qui ont nettoyé toute la zone insulaire ». « Déby Itno n’aime rien tant que revêtir son habit de chef de guerre. Il s’en sert à merveille diplomatiquement, notamment dans sa relation avec la France, et politiquement, en tablant sur une union sacrée derrière lui », analyse un spécialiste de la zone, qui rappelle que la présidentielle tchadienne doit se tenir en 2021.

« Il préfère que les Tchadiens aient le regard tourné vers l’ennemi de l’extérieur plutôt que sur les crises internes. Quant à Shekau, invectiver les présidents de la région fait partie d’une stratégie de communication qui lui permet de rester sur le devant de la scène », ajoute un diplomate sahélien. Le match pourrait donc encore durer. « Boko Haram a une résilience extraordinaire », reconnaissait le président dans nos colonnes en novembre 2019. Et ce n’est pas Shekau qui le contredira.

 
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